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Enquête

Un simple distributeur de chèques-cadeaux

Enquête | publié le : 01.06.2010 | Laure Dumont

Sous la pression de salariés plus individualistes et exigeants, les CE ont tendance à offrir des chèques-cadeaux et autres bons d’achat. Peu résistent et gardent un esprit collectif et solidaire.

Le voyage en groupe n’a plus la cote. La perspective de partager des heures de car ou de deviser au bord d’une piscine avec des collègues ne fait plus rêver grand monde. « Aujourd’hui, les voyages collectifs ne représentent que 10 % de notre offre, reconnaît Sandra Le Grand, P-DG du prestataire de services Canalce, et beaucoup de CE ne s’en plaignent pas, car réussir un voyage collectif est une gageure : il faut trouver la bonne destination, le tarif attractif et, surtout, remplir le séjour réservé. » Difficile de contenter tout le monde, d’autant que les salariés se montrent de plus en plus exigeants. Non seulement ils préfèrent voyager seuls et à la carte, mais voilà qu’ils attendent désormais des prestations dignes des meilleurs voyagistes. Une montée en gamme qu’entérine par exemple le CE de Michelin à Clermont-Ferrand : « Nous vendons progressivement notre parc de mobile homes, raconte Alain Chabanon, le secrétaire, et nous venons de rénover notre colonie à l’île de Ré pour la transformer en centre de vacances familial. » Patrick Blamoutier, le président CFDT du Cosog, le CE de la Caisse des dépôts, affiche pour sa part sa déception face à cette tendance : « Les salariés veulent leur forfait sur le lit à l’arrivée à Courchevel et souhaiteraient manger à toute heure de la journée. La majorité se comporte en consommateurs. » Même son de cloche au sein d’une association du secteur médico-social : « Les gens se plaignent souvent sur le mode : vous ne m’avez pas donné ce à quoi j’ai droit. Leurs réclamations sont plus personnelles et assez terre à terre. Mais on ne peut pas leur en vouloir. Les prestations du CE sont la plupart du temps perçues comme un complément de salaire. C’est du vrai argent et de la reconnaissance », explique la secrétaire du CE.

Plus simple à organiser qu’un arbre de Noël. Lassés de jouer les bureaux des réclamations, de plus en plus de CE optent donc pour les chèques-vacances et autres bons cadeaux, un secteur en pleine expansion. En huit ans, l’ANCV, l’Association nationale pour les chèques-vacances, créée en 1982, a presque doublé son volume d’émission, passant de 0,68 milliard d’euros en 2000 à 1,2 milliard en 2008. Les émetteurs de chèques-cadeaux, plébiscités par les salariés, connaissent le même développement fulgurant sur un marché très concurrentiel. Parallèlement, accentuée par la crise, une nouvelle offre, axée sur l’aide à la vie quotidienne, se développe : ce sont les bons d’achat et les achats groupés qui permettent aux salariés de bénéficier, par l’intermédiaire de leur CE, de réductions toute l’année dans des enseignes allant de Darty à Auchan en passant par la Fnac. D’après l’enquête réalisée en 2009 par Officiel CE, plus de 56 % des CE proposent ainsi des chèques-vacances et deux sur trois organisent des achats groupés avec une prédilection pour les parfums, les produits alimentaires et d’équipement pour la maison. Quant aux élus, ils s’y retrouvent aussi, car proposer des chèques-cadeaux est mille fois plus simple qu’organiser un arbre de Noël ou une colonie. Débordés par leurs missions économiques en ces temps de crise, ils sont ainsi soulagés de voir s’alléger les tâches liées aux activités sociales et culturelles. « Beaucoup d’élus gèrent le CE en dehors de leurs heures de délégation, sur leur temps personnel, constate Catherine Bouillard, de Cezam. Sur notre site, les pics d’activité ont lieu le soir et le week-end. »

Il est bien loin l’esprit fondateur, tourné vers le tourisme social et l’ouverture culturelle des salariés

Les bibliothèques de CE ferment. Il est bien loin l’esprit fondateur, tourné vers le tourisme social et l’ouverture culturelle des salariés. Aujourd’hui, seulement 20 % des CE proposent des chèques-culture et les bibliothèques de CE ferment les unes après les autres, faute d’animateurs… et de lecteurs. « En décembre 2006, nous avons décidé de remplacer le chèque-cadeau de Noël par un Chèque Lire pour les enfants. Échec total : nous avons dû revenir en arrière l’année suivante. Le chèque-cadeau est devenu intouchable », constate Sophie Carreno, trésorière CFDT du CE de Lyreco (2 170 salariés). Jean-Philippe Milesy, militant de longue date de l’économie sociale, regrette ce constat et en relève les effets pervers : « En distribuant des bons d’achat, le CE affaiblit de fait la revendication salariale des syndicats, puisque les produits qu’il offre augmentent le pouvoir d’achat des salariés. »

Les CE ont-ils définitivement cédé au consumérisme ambiant ? « Voyons les choses autrement, modère Marie-Hélène Nivollet, de l’Acener, Inter-CE basé à Nantes. Les CE ne seraient-ils pas plutôt victimes de leur succès ? Ils ont appris aux salariés à partir en vacances et à aller au théâtre. Les gens sont devenus autonomes, ce qui est une vraie victoire. À nous d’inventer de nouvelles activités pour créer du lien dans les entreprises. »

Le réseau Cezam a ainsi lancé un prix littéraire, un prix de la BD et un prix cinéma qui rencontrent un grand succès. « Chaque année, 4 000 lecteurs, dans 360 CE, lisent les 10polars sélectionnés par deux bibliothécaires, et 1 000 personnes votent pour le meilleur, explique Catherine Bouillard. J’y vois un signe encourageant. Il faut que les CE puissent affirmer que si l’argent des CE est bien celui des salariés, il l’est collectivement. » Si les salariés ne veulent plus partir en vacances avec leurs collègues, ils semblent toujours prêts à partager leurs impressions autour d’un bon bouquin… Tout n’est pas perdu.

Auteur

  • Laure Dumont