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Fiançailles dans l’économie sociale

Dossier | publié le : 01.06.2010 | Valérie Devillechabrolle

La concurrence des assureurs privés, le développement des contrats collectifs et la prime à la diversification poussent mutuelles et institutions de prévoyance paritaires à nouer des alliances.

La Mutuelle générale en négociation exclusive en vue d’une alliance avec le Groupe Mornay ; Macif Mutualité qui choisit AG2R La Mondiale pour se développer sur les contrats collectifs en santé-prévoyance ; Agrica, Groupama et le Crédit agricole qui confortent leur partenariat dans la protection sociale du secteur agricole… Les annonces de rapprochement entre les mondes mutualiste et paritaire, qui se sont multipliées ces derniers mois, marquent un nouveau tournant dans le mouvement de consolidation des organismes complémentaires en santé. Face à des assureurs privés qui, avec près de 30 % des cotisations, ne cessent de grignoter des parts de marché, des acteurs issus de l’économie sociale, des mutuelles et des institutions de prévoyance ont en effet décidé de faire cause commune, par-delà leurs différences culturelles historiques. « Les guéguerres entre paritarisme et mutualisme sont terminées », veut ainsi croire Roger-Pol Cottereau, administrateur (CFTC) du Groupe Mornay, estimant que « les mutuelles sont en train de s’apercevoir qu’elles peuvent développer des synergies avec les institutions de prévoyance paritaires pour faire face aux difficultés communes ». « Le rapprochement avec d’autres acteurs de l’économie sociale est souhaitable, voire nécessaire », confirme-t-on chez Harmonie Mutuelles, pourtant en passe de constituer avec Prévadiès le premier groupe mutualiste interprofessionnel.

Directive Solvabilité II en perspective. Plus que la recherche d’une taille critique – un « prétexte », selon Guillaume Leroy, consultant du cabinet Winter –, la mise en œuvre prochaine de Solvabilité II pousse aux regroupements. En accordant une prime à la diversification des risques, la directive européenne pourrait, à terme, précipiter les mutuelles dont la santé reste la principale (sinon la seule) activité dans les bras d’acteurs plus diversifiés, comme les mutuelles d’assurance. « Tout devrait se jouer d’ici un à deux ans », estime un responsable d’une grande institution mutualiste. Dans l’immédiat, « la recherche d’une complémentarité entre assurances individuelles et collectives incite mutuelles et institutions de prévoyance à sortir de leur famille d’origine », observe Emmanuel Sève, consultant du cabinet Xerfi. En assortissant les couvertures collectives obligatoires d’exonérations sociales et fiscales, l’article 113 de la loi Fillon d’août 2003 pousse, selon Daniel Thiriet, président de Prévadiès, les contrats collectifs à prendre le pas sur les contrats individuels facultatifs. Au risque de mettre à mal une chasse gardée des mutuelles. Exemple chez Harmonie où la mise en place de contrats obligatoires dans les entreprises s’est soldée en 2008 par une hausse de 8,2 % des radiations en un an. De la même façon, l’introduction, dans la loi relative au changement de statut de La Poste, de la possibilité de couvrir les 154 700 fonctionnaires de l’établissement via un contrat collectif obligatoire a amené La Mutuelle générale à accélérer les discussions avec le Groupe Mornay. Cette alliance la mettrait en effet en meilleure posture pour remporter le futur appel d’offres et conserver dans son giron les 140 000 agents actuellement couverts par l’ex-mutuelle historique des PTT via un contrat individuel facultatif. Le développement, ces dernières années, des contrats de branche obligatoires en santé pousse aussi les mutuelles à nouer des alliances. Comme en attestent les accords récemment conclus dans les hôtels-cafés-restaurants ou la négociation en cours dans le transport, les socles de couverture obligatoire de branche en santé se diffusent. Or, sur ce marché dominé à 90 % par les groupes de protection sociale paritaires, « les mutuelles s’aperçoivent que les partenaires sociaux sont incontournables », se félicite Roger-Pol Cottereau, administrateur du Groupe Mornay. Tel est notamment le sens de l’accord conclu au printemps entre AG2R La Mondiale, l’un des leaders du marché de branche, et Macif Mutualité. Mais ces partenariats relèvent aussi de l’intérêt bien compris des institutions de prévoyance. Sur un marché devenu national et multiproduit, « ces alliances permettent aux groupes paritaires de compléter leur offre en individuel », souligne BernardDevy,vice-président (FO) du Groupe Mornay. Et notamment de développer des prestations globales quel que soit le statut des assurés : salariés, chômeurs et retraités. Alors que la jurisprudence tend à renforcer les obligations en matière de maintien des contrats collectifs pour les retraités, « l’offre de produits en commun devrait nous permettre de baisser les coûts des contrats proposés aux retraités », ajoute le syndicaliste.

Encore traumatisés par l’annonce à la hussarde, en mars 2007, de la fusion d’AG2R La Mondiale, les partenaires sociaux ne manqueront pas d’étudier ces rapprochements à la loupe afin d’éviter toute dilution de leur emprise sur ces groupes au nom de la protection des intérêts des caisses de retraite complémentaire Agirc-Arrco. Si « l’accord sur la gouvernance des groupes de protection sociale paritaires, signé en juillet 2009 par les partenaires sociaux, doit faciliter les choses en identifiant clairement la place de chaque famille et la façon de consolider les comptes des différentes entités », estime Bernard Devy, on peut compter sur la nouvelle instance de coordination installée en mars entre le Centre technique des institutions de prévoyance et le GIE Agirc-Arrco pour étudier, dans le détail, chaque dossier de rapprochement. Mais ces alliances risquent d’être également difficiles à avaler à la Mutualité française. « Quelle sera la place de l’adhérent dans ces mariages contre nature ? » s’interroge un responsable mutualiste. Politiquement aussi, la pilule risque d’avoir du mal à passer alors que la FNMF et les mutuelles de fonctionnaires ne ratent pas une occasion de pourfendre les avantages sociaux et fiscaux dont bénéficient les contrats collectifs du privé. « La seule façon de s’en tirer par le haut sans se taper dessus serait de promouvoir pour tous un crédit d’impôt pour les contrats santé des retraités », reconnaît un syndicaliste. À voir…

Réseaux de santé en commun

Dans un contexte, enfin, de désengagement de la Sécurité sociale, mutuelles et institutions de prévoyance sont tentées de faire cause commune pour essayer de réguler les coûts de l’offre de soins. Pro BTP et Groupama d’un côté, Harmonie Mutuelles et Malakoff Médéric de l’autre viennent ainsi tour à tour d’annoncer la constitution de réseaux de professionnels de santé en commun. 1 500 opticiens et 3 400 chirurgiens-dentistes dans le cas de Sévéane (Pro BTP/Groupama) et 3 500 opticiens dans celui de Kalivia (Harmonie/Malakoff Médéric). Avec, dans les deux cas, le même argumentaire : « Un portefeuille de 6 millions d’assurés nous permet d’avoir la taille critique suffisante pour peser sur les pratiques tarifaires de professions générant un reste à charge important », estime Norbert Bontemps, directeur santé individuelle de Groupama. En particulier lorsqu’il s’agira de peser sur les tarifs de nouvelles professions, comme les audioprothésistes, dont le taux de fréquentation est beaucoup plus faible que celui des opticiens.

Auteur

  • Valérie Devillechabrolle