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Vie des entreprises

Un petit point sur une grande loi

Vie des entreprises | Chronique juridique | publié le : 01.05.2010 | Jean-Emmanuel Ray

La loi du 20 août 2008 est en train de bouleverser le paysage syndical français : au fur et à mesure des élections professionnelles, des syndicats disparaissent de la table des négociations, y compris ceux du “club des cinq”. Ces derniers désignent alors un représentant de la section syndicale, ce qui a pour conséquence d’en faire voir de toutes les couleurs au DRH.

Même si le sens ou la portée de certains arrêts posent problème, il faut féliciter la chambre sociale de la célérité avec laquelle elle s’est attelée à interpréter cette loi complexe, permettant aux partenaires sociaux d’y voir plus clair. Ce qui ne lui interdit pas de s’intéresser à sa propre charge de travail ; sans doute un peu effrayée par les centaines de pourvois non filtrés par les cours d’appel qui risquaient de lui parvenir, elle a décidé, le 13 janvier 2010, « qu’à moins qu’elles soient directement contraires aux principes généraux du droit électoral, les irrégularités commises dans l’organisation et le déroulement du scrutin ne peuvent constituer une cause d’annulation que si elles ont exercé une influence sur le résultat des élections ou si, s’agissant du premier tour, elles ont été déterminantes de la qualité représentative des organisations syndicales dans l’entreprise, ou du droit pour un candidat d’être désigné délégué syndical ». Bref, le cœur des deux fonctions des élections professionnelles depuis 2008 : comme d’habitude, la désignation des élus, mais aussi la sélection des syndicats représentatifs et des délégués syndicaux, avec le double seuil de 10 % des suffrages exprimés. Le problème est que l’effet tartine de confiture fonctionne aujourd’hui à plein : ici, la CFTC rate les 10 % à 47 voix sur 35 000 ; là, FO a obtenu 10,1 %, incitant au contentieux permettant l’annulation rétroactive d’élections déjà hautes en couleur.

L’AUDIENCE ÉLECTORALE VALIDÉE

Cassant une décision rendue par le tribunal d’instance de Brest le 29 octobre 2009, l’arrêt SDMO du 14 avril 2010 était très attendu. Car, sur demande de FO, le juge avait ciblé le cœur même de la loi du 20 août 2008 : l’audience électorale comme critère essentiel de sélection des syndicats représentatifs, à tous les niveaux : de l’entreprise, bien sûr, mais aussi et après consolidation fin 2012 des branches, puis de l’interprofessionnel. Un rejet du pourvoi formé par l’employeur mais aussi par l’UD CFDT, confédération signataire de la position commune, aurait donc fait imploser tout le système se mettant lentement et difficilement en place depuis deux ans.

Utilisant les textes internationaux évoqués à tort et à travers par le juge du Finistère mais effectivement les seuls à pouvoir s’opposer avec succès à une loi française, soit deux conventions de l’OIT, le droit européen (CESDHLF, Charte sociale européenne) puis le droit communautaire (article 28 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE pourtant entrée en vigueur le 1er décembre 2009), la chambre sociale casse sans renvoi la décision du tribunal d’instance de Brest.

Elle remet d’abord le droit européen dans le bon sens, en reprenant mot à mot mais sans le citer l’arrêt Demir et Baykara de la CEDH, revirement intervenu le 12 novembre 2008 et dû à la « prise en compte des développements du droit du travail, tant international que national, et de la pratique des États contractants »: la loi française du 20 août précédent n’a pas dû être absente des débats à la Cour de Strasbourg : « Le droit de mener des négociations collectives est, en principe, devenu l’un des éléments essentiels du droit de fonder des syndicats et de s’affilier à des syndicats pour la défense de leurs intérêts, les États demeurant libres de réserver ce droit aux syndicats représentatifs. »

L’apport essentiel de la loi du 20 août est effectivement de séparer droit syndical (locaux, réunions, tracts) dont peut bénéficier n’importe quel (vrai) syndicat et l’accès à la table des négociations, réservé aux syndicats représentatifs. Comme l’explique bien l’arrêt : « Le fait pour les salariés, à l’occasion des élections professionnelles, de participer à la détermination des syndicats aptes à les représenter dans les négociations collectives n’a pas pour effet d’affaiblir les représentants syndicaux au profit des représentants élus, chacun conservant les attributions qui lui sont propres. »

Le but de la loi du 20 août est justement, par cette légitimation électorale, de renforcer les syndicats français dont le taux d’adhésion reste le plus faible des Vingt-Sept ; un délégué syndical d’aujourd’hui, désigné par un syndicat représentatif mais aussi sur le nom duquel se sont portés plus de 10 % des suffrages exprimés, est plus « représentatif » que celui bénéficiant hier de la seule présomption irréfragable de représentativité tombant d’en haut. Car, comme l’indique l’attendu final : « L’obligation faite aux syndicats représentatifs de choisir, en priorité, les délégués syndicaux parmi les candidats ayant obtenu au moins 10 % des voix […] tend à assurer la détermination par les salariés eux-mêmes des personnes les plus aptes à défendre leurs intérêts dans l’entreprise et à conduire les négociations pour leur compte ; elle ne constitue pas une ingérence arbitraire dans le fonctionnement syndical. »

DEMAIN LA CFE-CGC ?

Si la non-invalidation de l’audience électorale était prévisible, la question la plus délicate et qui n’est pas tranchée reste le privilège donné par la loi à la CFE-CGC. Si, par exemple, FO a obtenu 6 % des suffrages exprimés tous collèges confondus mais 13 % dans l’un d’entre eux, cela ne lui sert pas à grand-chose. À l’inverse, la CFE-CGC qui a fait 13 % dans le collège cadres mais 6 % dans tous les collèges pourra valablement désigner un délégué syndical et accéder à la table des négociations : cette différence de traitement sert d’ailleurs aujourd’hui abondamment la CFE-CGC, qui n’a plus du tout les mêmes craintes que FO ou la CFTC.

Si la chambre sociale n’a, hélas, apporté aucune réponse sur ce point, c’est qu’elle a estimé que le moyen était inopérant puisque, à la SDMO, la CGC n’avait présenté aucun candidat. On a connu le juge du droit plus volontaire : car, pour l’instant, ce suspens est difficilement gérable puisqu’il peut aboutir à une implosion presque équivalente au tonnerre de Brest.

Cet épisode est le premier, mais certainement pas le dernier de la stratégie juridictionnelle collective et concertée que mettent en place les deux grands perdants de la loi : FO et la CFTC. À FO, où l’on se souvient avec émotion de l’action très ciblée menée auprès du conseil de prud’hommes de Longjumeau qui avait abouti le 1er juillet 2008 à la censure judiciaire globale du CNE, la contestation judiciaire de la loi en utilisant le nécessaire contrôle de conventionnalité que doit effectuer le juge judiciaire. À la CFTC, intervenante volontaire dans l’arrêt SDMO, la première question prioritaire de constitutionnalité du droit du travail le 2 avril 2010 grâce au tribunal d’instance du Raincy, portant toujours sur la loi du 20 août 2010 : mais qui doit passer par le filtre nécessaire de la Cour de cassation. Bien que les deux questions et les deux approches soient différentes, le rejet sans appel des singulières prétentions du tribunal de Brest par l’arrêt du 14 avril devrait logiquement conduire la Cour à ne pas transmettre le dossier au Conseil constitutionnel. Surtout lorsque l’on sait que ce dernier avait été saisi de la loi du 20 août 2008 (voir la seconde édition de l’ouvrage de G. Bélier et H.-J. Legrand, la Négociation collective après la loi du 20 août 2008, nouveaux acteurs, nouveaux accords, éd. Liaisons, juin 2010).

PÉRIODE TRANSITOIRE ET PRÉSOMPTION IRRÉFRAGABLE DE REPRÉSENTATIVITÉ

Contrairement à une idée reçue, la période transitoire est déjà achevée pour les entreprises dont les élections ont eu lieu depuis septembre 2008 : celles-là ont entièrement basculé dans le nouveau système, la présomption irréfragable de représentativité ayant disparu en remettant la notion même de représentativité sur ses pieds : car elle doit se démontrer sur le terrain, avec des adhérents et désormais au minimum 10 % des suffrages exprimés.

Est-ce à dire que tout processus électoral opère automatiquement ce basculement On pouvait le penser : c’était sans compter sur la subtilité de la chambre sociale. « L’organisation dans l’entreprise d’élections ayant donné lieu à l’établissement d’un procès-verbal de carence, impliquant qu’aucune organisation syndicale ne s’est présentée au scrutin, il en résulte que ces élections, qui ne permettent pas d’évaluer l’audience syndicale, ne mettent pas fin à la période transitoire instituée par la loi du 20 août 2008, laquelle prend fin au plus tard le 22 août 2012. » (CS, 10 février 2010, société Sterna). Il est vrai que l’audience électorale étant la clef de voûte du nouveau dispositif, des élections sans fixation du score de chacun ne permettent pas de passer au nouveau système dont c’est la base. Aux syndicats qui seraient éventuellement tentés de jouer la montre en provoquant systématiquement un constat de carence, la Cour précise que « la période transitoire prend fin au plus tard le 22 août 2012 ».

Alors, jusqu’en 2012, que reste-t-il de notre franco-française présomption irréfragable de représentativité, initialement destinée à contourner la puissante CGT ? Tout, pour l’instant, au niveau interprofessionnel ; presque tout dans des branches, et même jusqu’en 2017 ; rien dans les entreprises ayant organisé leurs élections. Mais dans les autres ? A-t-elle survécu au tsunami du 20 août ? La question était ouverte, et la chambre sociale a répondu dans l’arrêt Okaidi du 8 juillet 2009 repris dans celui du 30 mars 2010 : la présomption profitant aux cinq grands est maintenue, et elle demeure irréfragable : « La représentativité de la Fédération CGT commerce, distribution, affiliée à l’une des confédérations reconnues représentatives sur le plan national antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi, ne peut être contestée pendant la période transitoire prévue par la loi. »

Continuité, donc, mais aussi sympathique soutien à nos confédérations historiques, leur permettant de consacrer temps et argent à se maintenir dans les entreprises plutôt qu’à plaider. Effet très concret : un petit syndicat indépendant, voyant avec terreur les élections arriver, peut in extremis décider de rejoindre une grande confédération et bénéficier ainsi de cette présomption (CS, 10 mars 2010). Que du bonheur pour le « club des cinq »! Pour l’instant.

FLASH
Toujours plus

« Les nouvelles dispositions légales n’excluent pas qu’un syndicat puisse établir sa représentativité soit par affiliation postérieure à l’une des organisations syndicales représentatives au niveau national ou interprofessionnel, soit en apportant la preuve qu’il remplit les critères énoncés à l’article L. 2121-1 du Code du travail dans sa rédaction issue de cette loi, à la seule exception de l’obtention d’un score électoral de 10 % auquel il devra satisfaire dès les premières élections professionnelles organisées dans l’entreprise. »

Alors qu’il semblait entendu que la photo de famille syndicale prise le 21 août 2008 était figée jusqu’aux prochaines élections, l’arrêt du 10 mars 2010 permet d’élargir le cercle à de nouveaux syndicats, à qui sont donc appliqués les nouveaux critères, « à la seule exception de l’obtention d’un score électoral de 10 % ».

Singulier. Certes, appliquer les anciens critères était impensable, les articles en cause ayant été abrogés. Et appliquer tous les nouveaux est impossible, puisqu’il manquera le critère d’audience. Conséquence de cette immense créativité : dès avant les prochaines élections professionnelles, de nouveaux syndicats vont pouvoir s’implanter à l’ancienne, et surtout négocier.

Auteur

  • Jean-Emmanuel Ray