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Idées

Un effort doit-il être demandé aux retraités pour financer la réforme ?

Idées | Débat | publié le : 01.05.2010 |

L’ampleur des déficits à venir des régimes de retraite révélée par le Conseil d’orientation des retraites et la nécessité de maintenir la cohésion du système par répartition pose la question de la participation des retraités à son financement. Au nom de la solidarité intergénérationnelle.

Bruno Palier Chercheur au CNRS au Centre d’études européennes de Sciences po.

Notre système de retraite financé en répartition ne prévoit pas que les retraités participent à son financement. Deux raisons peuvent être avancées. D’une part, pendant longtemps, les personnes âgées étaient particulièrement pauvres, le principe de redistribution devait donc plutôt organiser une solidarité entre les actifs, qui bénéficiaient de la croissance, et les retraités, qui ont longtemps été laissés en marge du miracle économique des années 60. En outre, notre système étant financé par des cotisations sociales alors perçues comme du salaire différé, personne n’aurait compris que l’on prélève des cotisations sur du revenu indirect, lui-même acquis au titre des cotisations versées précédemment.

Mais la situation sociale et celle de notre système de retraite ont bien changé. Tout d’abord, les études sur les revenus des Français montrent que les retraités ne sont plus la catégorie regroupant les plus pauvres en France. Aujourd’hui, le risque d’être pauvre est beaucoup plus élevé chez les jeunes que chez les personnes âgées. Les taux de pauvreté en France sont les plus bas pour les hommes âgés de 65 à 74 ans (6,1 %) et les femmes de cette tranche d’âge (7,6 %), tandis qu’ils sont beaucoup plus élevés chez les moins de 18 ans (15,5 %), et surtout chez les 18-24 ans (16,4 % pour les garçons, 18,6 % pour les filles). Si l’on souhaite que notre système continue d’assurer une solidarité entre les générations, c’est donc dans l’autre sens que la solidarité collective doit aujourd’hui fonctionner : des jeunes retraités vers les jeunes tout court.

Cependant, ce n’est pas par le prélèvement d’une cotisation retraite payée par les retraités qu’il convient d’agir, mais par une contribution des retraités aux prélèvements obligatoires équivalente à celle des actifs. Aujourd’hui, les retraités bénéficient de prélèvements fiscaux dérogatoires par rapport à ceux des actifs. Par exemple, le taux de CSG n’est que de 6,6 % sur les revenus des retraités alors qu’il est de 7,5 % sur ceux des actifs ; et les retraités qui ne paient pas d’impôt sur le revenu ne versent pas ou très peu de CSG, alors que les actifs, même si leurs revenus sont trop bas pour être taxés, sont assujettis à la CSG à taux plein. Dès lors, il s’agit moins de demander aux retraités de payer les retraites que de participer comme tout le monde au financement de la solidarité.

Monika Queisser Chef de la division des politiques sociales à l’OCDE.

Les questions de l’équité entre les générations et de la distribution du coût du vieillissement de la population ont été un moteur important pour les réformes des retraites dans les pays de l’OCDE. Plusieurs pays ont en effet décidé que les retraités devraient à l’avenir contribuer à assumer le fardeau du financement des pensions. La façon dont la charge est partagée entre générations diffère selon les pays. En Allemagne, il a été décidé que les conséquences financières du vieillissement démographique sur le système de retraite devraient être partagées entre les travailleurs actifs, les nouveaux et les anciens retraités. L’Allemagne a un système de points pour la pension. Le calcul de la valeur d’un point est fondé sur l’évolution des salaires, le niveau des taux de cotisation et le rapport entre cotisants et retraités. Lorsque le poids du financement des retraites augmente pour les travailleurs par le biais de l’augmentation des taux de cotisation ou de la réduction du nombre de cotisants par retraité, une modification de l’indexation de la pension intervient. Dans ce cas, l’ajustement est moindre ou le niveau de pension est même réduit. Néanmoins, la crise économique a montré que ce n’est pas toujours facile politiquement d’appliquer ces mécanismes automatiques et que le fait d’amputer les retraites quand on essaie en même temps de stabiliser la demande peut même être contre-productif.

En Suède, il existe un mécanisme d’équilibre dans le système : quand le fonds de réserve descend au-dessous d’un certain seuil, les retraites sont ajustées par un montant inférieur à ce qu’il serait autrement ou elles sont réduites. L’Autriche, l’Italie, la Grèce et le Portugal ont décidé d’augmenter les petites retraites plus que les retraites les plus élevées, ce qui signifie que les retraités les plus aisés sont invités à contribuer davantage au financement du vieillissement. Une autre façon de faire participer les retraités est évidemment d’utiliser les taxes à la consommation comme la TVA pour financer une partie des dépenses de pension. Comme les retraités sont aussi des consommateurs, ils contribuent ainsi au financement du système. Mais il y a des limites à l’effort demandé aux retraités, puisque les personnes ayant quitté le marché du travail, parfois depuis longtemps, ont une moindre capacité et moins de possibilités de s’adapter à des revenus inférieurs que les personnes encore en activité.

Henri Sterdyniak Économiste à l’OFCE, professeur associé à Paris Dauphine

Depuis quinze ans, les retraités ont déjà beaucoup été mis à contribution : la réforme Balladur de 1993 peut provoquer à terme une baisse de l’ordre de 28,5 % du niveau moyen des retraites du régime général. Dans les régimes complémentaires, le refus du patronat d’accepter des hausses de cotisation a fait que, depuis 1996, la valeur du point n’évolue que comme les prix, tandis que le prix d’achat du point évolue généralement comme les salaires. Le taux de rendement affiché a ainsi baissé de 11,5 % en 1995 à 8,30 % en 2009. Les retraités, jadis exonérés de cotisations sociales, ont subi la création puis la montée en puissance de la CSG. Les taux de remplacement nets, mesurés au moment du départ à la retraite, ont nettement diminué de 1990 à 2008, régressant de 91 % à 76 % pour les non-cadres, de 76 % à 60 % pour les cadres. Depuis 1980, la faiblesse de leur revalorisation a induit une perte de pouvoir d’achat de 3,3 % de la retraite du régime général ; depuis 1995, la valeur du point des régimes complémentaires a baissé de 4 % en pouvoir d’achat.

En 2007, la retraite nette moyenne représente environ 72 % du salaire net moyen. Le niveau de vie médian des retraités est de l’ordre de 92 % de celui des actifs. Ce chiffre passe à 97 % si on intègre le revenu implicite que représente le loyer du logement si on le possède et l’occupe. Le taux de pauvreté des plus de 65 ans est de 10,3 % contre 13,4 % pour l’ensemble de la population. Globalement, la situation relative des retraités apparaît satisfaisante. Mais les réformes en cours amènent sa détérioration progressive. Il ne serait pas justifiable socialement de leur demander davantage. La retraite est un droit, acquis par les cotisations, et non une variable d’ajustement des comptes publics.

Certes, les retraités les plus riches devraient être frappés par les mesures visant à augmenter le caractère redistributif de notre fiscalité (suppression du bouclier fiscal, hausse des droits de succession, taxation généralisé de toutes les plus-values, création d’une tranche supplémentaire de l’impôt sur le revenu). Certes, la non-imposition des suppléments familiaux de retraite, comme l’abattement de 10 % pour frais professionnels, pourrait être supprimée ; certes, le taux de CSG sur les retraites pourrait être porté au niveau du taux de CSG sur les salaires. Mais, en contrepartie, il faudrait redonner aux retraités du pouvoir d’achat dans les périodes fastes et stopper la baisse des taux de remplacement.