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“Le bénévolat d’entreprise favorise l’engagement politiquement correct”

Actu | Entretien | publié le : 01.05.2010 | Sandrine Foulon, Anne-Cécile Geoffroy

À la fois outil de communication et moyen de cohésion, le mécénat social influe sur les choix des pouvoirs publics, au détriment des besoins sociaux prioritaires.

Le bénévolat d’entreprise est-il répandu en France ?

Le vrai tournant date du début des années 90. Jusque-là, les entreprises avaient essentiellement recours au mécénat culturel incarné par l’Admical et Jacques Rigaud. Mais la crise, le chômage de masse et quelques scandales financiers comme celui du Crédit lyonnais signent la fin des entreprises flamboyantes. Elles doivent redorer leur blason et le mécénat de solidarité, qui occupe aujourd’hui la moitié des entreprises mécènes, peut le leur permettre. Le mouvement est notamment impulsé par Claude Bébéar, à l’époque patron d’Axa, qui, inspiré par ce qu’il a vu aux États-Unis, souhaite promouvoir un « rôle social » pour l’entreprise. En 1986, il crée l’Institut du mécénat humanitaire, qui devient l’Institut du mécénat de solidarité. Et c’est à partir du début des années 2000 que le bénévolat d’entreprise décolle.

Comment les salariés y sont-ils associés ?

Au début, il s’agissait de bénévolat collectif qui n’impliquait pas de compétences particulières. Une entreprise envoyait ses salariés, volontaires, repeindre un local Emmaüs ou servir des repas au Secours populaire… Au milieu des années 2000, on commence à recourir aux compétences professionnelles. Un informaticien, un juriste va exercer bénévolement son activité pour le compte d’une association sur son temps de travail, voire en dehors. Difficile de quantifier le nombre de salariés qui s’investissent ainsi, mais la fourchette se situerait entre 10 000 et 20 000 personnes par an.

Est-ce un outil managérial ?

C’est pour l’entreprise un instrument de communication institutionnelle. Nous sommes en pleine responsabilité sociale des entreprises (RSE). En interne, ce doit être un outil d’épanouissement personnel et de cohésion. Les salariés se rencontrent dans un environnement différent, reçoivent une reconnaissance qu’ils n’ont peut-être pas par ailleurs et voient leur hiérarchie autrement. Celle-ci est d’ailleurs très impliquée dans ces opérations et il est frappant de voir combien les salariés, plutôt des femmes et des employés, rarement des ouvriers ou des cadres, sont mitraillés de photos avec leur chef en tenue décontractée. La valorisation picturale de ces événements, toujours conçus dans une dimension festive, est très forte. En externe, c’est plus compliqué. Contrairement aux États-Unis, la presse française est très réticente à communiquer sur ce type d’opérations et les mécènes ont tendance à s’en plaindre.

Comment les syndicats perçoivent-ils ces démarches ?

Ils ont bien conscience que l’entreprise favorise un engagement consensuel, parfois très éloigné de celui du syndicalisme. Le bénévolat d’entreprise s’inscrit dans la solidarité de groupe réparatrice. En fait, en mouillant sa chemise avec son patron, on est moins susceptible d’exploser. Mais, pour les syndicats, il est difficile de s’opposer à ce type d’événement solidaire. D’autant qu’il repose sur le volontariat. Aux États-Unis, en revanche, il n’est pas rare que les entreprises obligent leurs salariés à participer au bénévolat sur leur temps de travail. En France, je l’ai constaté pour un groupe de téléphonie mobile qui s’installait à Saint-Ouen : tous les salariés ont dû participer à une journée de bénévolat dans une association locale.

Les salariés se sentent-ils récupérés ?

Ils ne sont pas dupes. Ils savent les bénéfices que l’entreprise peut en tirer. Et eux-mêmes peuvent y trouver un certain profit. Ils créent leur réseau et s’en servent parfois pour changer de poste.

Ce mécénat a-t-il des conséquences sur la sphère associative ?

C’est sans doute la partie immergée de l’iceberg, l’aspect le plus troublant et le plus politique. Les salariés doivent être au centre des partenariats noués entre associations et directions. Ce qui revient à flécher un certain type d’engagement. Et à favoriser les associations politiquement correctes. Une entreprise n’hésitera pas à travailler avec Aides, mais évitera Act Up, dont les manifestations sont trop subversives. L’aide à l’enfance, aux plus démunis est assez plébiscitée. C’est moins le cas pour les publics plus délicats comme les toxicomanes. Certes, les entreprises sont libres de s’investir où elles veulent. Mais l’on constate malheureusement que les pouvoirs publics ont tendance à s’aligner sur le privé. Ils considèrent que si les entreprises nouent des partenariats avec telle association, c’est qu’elle est digne de confiance. Du coup, les critères de choix ne sont pas essentiellement orientés vers des besoins sociaux prioritaires et une myriade d’associations pâtit du manque de soutien public.

ANNE BORY

Postdoctorante au Centre d’études de l’emploi.

PARCOURS

Titulaire d’un DEA de politiques sociales et société à Paris 1, Anne Bory s’est spécialisée dans le bénévolat d’entreprise qu’elle a étudié aux États-Unis et en France et dont elle a fait le sujet de sa thèse au laboratoire Georges-Friedmann (accessible sur le site http://tel. archives-ouvertes.fr/tel-00348309). Elle travaille aujourd’hui sur les salariés sans papiers dans la restauration.

Auteur

  • Sandrine Foulon, Anne-Cécile Geoffroy