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Vie des entreprises

Relocalisations, la grande illusion

Vie des entreprises | Zoom | publié le : 01.04.2010 | Anne Fairise

Minoritaires, les relocalisations sont chiches en emplois. La nouvelle aide publique n’inversera pas la tendance.

N’attendre aucune déclaration sur les relocalisations chez Oxylane(ex-Décathlon). « Nous ne faisons pas de marketing sur le sujet », assène en effet le distributeur nordiste d’équipements sportifs qui ouvrira, après l’été à Lille, son « village B’Twin », siège mondial de la marque devélos. Sur les 19 hectares de l’ex-usine Altadis, fermée dans la douleur en 2005 avec 540 suppressions d’emplois, le groupe ch’ti regroupe sa recherche, des espaces d’essais, un magasin de 5 000 mètres carrés… et ouvre sa première usine française d’assemblage de deux-roues, jusqu’alors made in China et montés en Europe de l’Est. Sans aide. « Notre objectif n’était pas une opportunité financière ni foncière », a toujours répété Yves Claude, directeur général du groupe, parlant d’innovation en toute confidentialité.

En pleine polémique sur la désindustrialisation, la chaîne d’articles de sport joue les discrètes, centrée sur les recrutements (une centaine cette année), très attendus. Comme pour s’extraire du débat : la maire de Lille et patronne du PS, Martine Aubry, a grillé la politesse à Nicolas Sarkozy en dévoilant, dix jours avant lui, un programme pour doper l’industrie tricolore… n’incluant aucune prime à la relocalisation. Alors que le président, qui multiplie les sorties sur le thème « arrêtons les délocalisations et, si possible, relocalisons », vient de réitérer son choix de consacrer 200 millions d’euros à une prime à la relocalisation pour les entreprises industrielles de moins de 5 000 salariés. Sous forme d’avance remboursable et conditionnée aux emplois créés (25 au minimum).

Scepticisme. Du marketing politique ? Rares sont les dirigeants ayant relocalisé à afficher leur intérêt pour le dispositif comme le fait Marc Toillier. « Une prime peut permettre de couvrir en partie les coûts de restructuration engendrés par la relocalisation », avance le dirigeant du métallurgiste Gantois qui, six ans après avoir installé ses métiers à tisser le métal en Roumanie, les a rapatriés en octobre à Saint-Dié-des-Vosges (en Lorraine) pour monter en qualité.

La plupart des « relocalisateurs » sont sceptiques sur l’impact d’une prime, même ceux devenus les ambassadeurs du sujet. « La décision de relocaliser relève d’arbitrages entre coûts, qualité, délais, innovation. C’est un choix d’entreprise », note Philippe Peyrard, directeur général de la coopérative d’opticiens Atol (600 salariés). La capacité d’innovation des lunetiers jurassiens a emporté la décision de cet ex-L’Oréal. Peu convaincu par la collection de montures sous-traitée en Chine, « sans saveur », il en a relocalisé la production, un an après, en 2004, en faisant le pari du haut de gamme à Morbier (Jura). La fabrication tricolore a eu son prix : 500 000 euros de manque à gagner en raison du surcoût de la main-d’œuvre, que la hausse du prix des montures de 130 à 135-140 euros n’a pas compensé. Mais elle a été récompensée en 2007 par la trouvaille de la monture interchangeable, vendue… 200 euros.

Pas question pour Philippe Peyrard de fanfaronner sur le made in France :« C’est antinomique, dépassé, à l’heure européenne. » Cohérent aussi, car Atol ne sous-traite que 30 % de ses marques propres dans l’Hexagone. « On relocalise par conviction et stratégie entrepreneuriale, pas pour des aides », renchérit Vincent Gruau, directeur du fabricant de mobilier de bureau Majencia, dont le prédécesseur avait transféré à Canton en 2000 la production de 30 000 caissons, amputant le site de Noyon (Oise) de 50 % de la production. Retour en 2006, après « une analyse différentielle, économique, sociale, environnementale ».

La prime à la relocalisation ne convainc pas non plus les économistes. Pointé : le crédit d’impôt créé en 2004 sur le même thème par le gouvernement Raffarin et son ministre de l’Économie, Nicolas Sarkozy. « Aucune évaluation n’a été réalisée », déplore El Mouhoub Mouhoud, professeur d’économie à Paris-Dauphine, qui pronostique « un impact des plus limités » de la prime 2010. Pas de quoi conforter un mouvement de retour, jamais avéré. Les relocalisations restent ultraminoritaires : « Un cas, en moyenne, pour 10 délocalisations, d’après des enquêtes en Europe et aux États-Unis. »

Les études hexagonales font défaut. La liste d’« une trentaine d’entreprises ayant relocalisé en 2009 », agitée par le ministre de l’Industrie, laisse de marbre le terrain. « Ce sont des cas isolés. Et la crise fausse l’observation, certaines sociétés rapatriant temporairement des productions sur les sites français en sous-activité », note Dominique Gillier, de la Fédération CFDT de la métallurgie, qui a enquêté en 2008 sur le sujet. Sans conclure, faute de matière. Chose certaine pour Gilles Le Blanc, économiste à l’École des mines, « les emplois industriels créés par les relocalisations ne compenseront jamais ceux détruits lors des délocalisations ». Que l’Insee estimait à 13 500 par an dans la période 1995-2001. Cela n’a pas échappé au gouvernement, qui attend à peine 2 000 créations d’emplois de sa mesure.

Gains deproductivité. De fait, les relocalisations s’accompagnent d’une recherche de gains de productivité, pour compenser les surcoûts, souvent réalisées par l’automatisation. Majencia a ainsi investi 150 000 euros à Noyon avant d’y rapatrier ses caissons. Bilan : aucune création directe d’emplois, mais un site pérennisé, où 29 salariés ont été embauchés… trois ans après. Pas d’emplois créés, non plus, chez Gantois, mais le retour des métiers à tisser a évité un plan social. Il faut du temps. Six ans après sa relocalisation, Atol estime à 60 les postes créés ou sauvegardés chez ses sous-traitants. Reste que les emplois « relocalisés » sont plus qualifiés que ceux hier détruits. Au risque de déconvenues. À Lille, les 50 postes de l’usine B’Twin, qui a promis un recrutement local, suscitent une énorme attente. Douze postes sont destinés aux chômeurs, trois fois plus ont passé l’entretien.

36 %

C’est la chute des effectifs industriels, qui ont baissé de 5,32 à 3,41 millions entre 1980 et 2007. 25 % ont été externalisés dans les services.

(Source : Direction générale du Trésor et de la politique économique.)

6 milliards d’euros

Somme consacrée en 2004 au développement économique par les collectivités territoriales.

(Source : Cour des comptes).

Auteur

  • Anne Fairise