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Vie des entreprises

Le juteux marché du bilan retraite

Vie des entreprises | Zoom | publié le : 01.04.2010 | Emmanuelle Souffi

Innovation de la réforme de 2003, le droit à l’information des futurs retraités aiguise les appétits. Pour aider les salariés à traquer les erreurs, des cabinets proposent un service sur mesure, mais payant.

Jean-Charles a eu beau retourner les chiffres dans tous les sens. Las ! À défaut d’y comprendre quelque chose, il a confié son dossier retraite à une experte. Sandrine Denais, ancienne salariée d’une caisse complémentaire, a repris l’historique de sa carrière. Et découvert qu’une partie de la prime de licenciement touchée par ce cadre à l’aube de ses 60 ans et soumise à cotisation retraite n’avait pas été prise en compte. En tout, elle a récupéré 3 600 points. Soit près de 5 700 euros ! Si cette pro des calculs de pension a créé sa société de conseil, Liaison Retraite, en 2007, c’est parce qu’elle était pressée de demandes de la part de proches désemparés. « Il n’y a pas un dossier où l’on ne trouve pas une erreur, surtout dans les reconstitutions de carrière, affirme-t-elle. Il faut avoir l’œil. Je recalcule tout, y compris les points gratuits. »

Les ratés des organismes de retraite, c’est l’argument massue des cabinets spécialisés dans les bilans de retraite. Entre les plans seniors obligatoires depuis le 1er janvier et l’angoisse des actifs quant à ce qu’ils vont toucher à leurs vieux jours, le marché est en plein boom. Près de 25 000 bilans auraient été réalisés ces dernières années. Et, sur le Net, pullulent des dizaines de sites avec simulateur gratuit plus ou moins fiable.

Plus de transparence. Les leaders du secteur, comme France Retraite ou Novelvy, affichent un chiffre d’affaires en hausse de plus de 20 %. Entreprises ou salariés, tous exigent plus de pédagogie pour pouvoir mieux anticiper « l’après-travail ». « Les règles changent tous les deux ans et le système est très complexe, regrette Pierre Péchery, directeur général de France Retraite. C’est inacceptable de cotiser pendant des années sans savoir pour combien ! » Depuis la création du droit à l’information (DAI) en 2003 par François Fillon, alors ministre du Travail, le système est certes plus transparent. Le GIP Info Retraite est chargé de la mise en œuvre du DAI et, surtout, de faire collaborer ensemble les quelque 35 régimes existants. Ce qui n’est pas une mince affaire. « C’était une grande aventure, se souvient Pierre Chaperon, directeur de cabinet au GIE Agirc-Arrco, car il s’agissait de mettre en commun des informations avec des régimes n’ayant pas l’habitude de travailler ensemble. »

Malgré les réticences, de nouveaux outils sont nés. Depuis 2007, plus de 8 millions de relevés individuels de situation (RIS) et d’estimations indicatives globales (EIG) ont été envoyés par vagues aux Français de 50 et 45 ans. À partir de cette année, il sera distribué à tous ceux qui fêtent leurs 35, 40, 45 ou 50 ans. Puis tous les cinq ans. De quoi suivre l’évolution de ses droits pas à pas et rectifier le tir en cas d’erreur. Car ce document synthétise tous les trimestres cotisés dans le régime général et les points acquis à l’Arrco et à l’Agirc.

Un taux de retours à la baisse. Pour connaître le montant de sa pension et surtout sa date de départ à taux plein, il faut attendre de recevoir l’EIG, envoyée dès 55 ans, puis tous les cinq ans jusqu’à la « quille ». Cette estimation précise l’impact d’un départ avant l’heure, via la décote, ou, au contraire, plus tardif, avec la surcote. Indispensable pour prendre la bonne décision. À condition qu’elle soit juste. « Une mère de famille cadre reçoit une estimation à des années-lumière de la réalité car le chiffrage est fait sans tenir compte de sa situation personnelle, du nombre d’enfants… », dénonce Pierre Péchery. En fait, le taux de retours, soit les erreurs repérées par ceux qui ont reçu un RIS ou une EIG et signalées à leur caisse, avoisine 4 % en 2009, soit moitié moins qu’en 2007. Grâce aux systèmes informatiques, les renseignements sont de plus en plus fiables.

Entre le régime d’assurance vieillesse et les cabinets spécialisés dans les bilans de retraite, le torchon brûle. Les premiers n’apprécient pas le procès en incompétence qui leur est fait. Et les seconds d’être traités comme des profiteurs. Car, à la différence du RIS et de l’EIG, le bilan de retraite est payant. Entre 700 euros hors taxes chez France Retraite et 2 500 euros hors taxes pour Novelvy. Or, pour travailler, ils ont besoin des caisses qui leur transmettent les informations. « On leur mâche le travail », enrage l’une d’elles. Pour justifier leurs tarifs, ces cabinets mettent en avant le suivi individuel. « On fait un travail que l’administration ne peut pas réaliser, c’est du cousu main. Nous fonctionnons comme un guichet unique », résume Bruno Renardier, directeur d’Assistance Retraite (Novelvy).

Là où les agents de la Cnav manient sur le bout du doigt le régime général, les salariés de Novelvy – formés sur le tas ou titulaires de BTS – sont capables de calculer les pensions dans tous les secteurs et métiers. Ils établissent la date de départ, l’impact de la surcote ou de la décote, émettent des hypothèses en cas de rachat d’années d’études, de cumul emploi-retraite. Agissant au nom du salarié, ils font rectifier les erreurs.

France Retraite définit également les droits à réversion du conjoint et même le montant mensuel à épargner pour ses vieux jours ! Certains, comme les banques ou les caisses de retraite complémentaire (AG2R…), se sont mis à faire du bilan de retraite en vue de placer des produits financiers (assurance vie, Perco, Perp…). Le service est souvent gratuit. Pour vendre autre chose…

Mais, lorsqu’il est payant, le bilan n’est pas accessible à tous. « C’est un marché de niche, pense Pierre Chaperon. Car la situation des actifs est relativement contrainte. 40 % sont au chômage avant la retraite. La part de ceux qui sont susceptibles de faire des choix (cumul emploi-retraite, rachat d’années d’études) est limitée. » Avec 20 000 bilans réalisés en dix ans, France Retraite travaille à 80 % avec des entreprises (CNP Assurances, Lilly, AstraZeneca…). Les clients sont surtout des cadres supérieurs ou des dirigeants à la carrière éparpillée. Novelvy s’est ainsi fait une spécialité des impatriés.

Les parcours étant de plus en plus chaotiques, les caisses vont à l’avenir devoir gérer davantage de polypensionnés. Le défi étant de bien les informer, au risque, sinon, de laisser le privé combler les manques. Pierre Péchery a fait ses calculs : « 3,5 millions de personnes vont partir à la retraite d’ici à cinq ans. Si 10 % sont intéressées, cela représente 350 000 bilans à réaliser. » Un sacré business en perspective…

Pierre Mayeur
“Notre rôle n’est pas de vendre des prestations”

Quel bilan tirez-vous du droit à l’information sept ans après sa création ?

C’est un succès incroyable. Au départ, ça n’était pas évident de faire travailler ensemble 36 régimes qui n’ont pas l’habitude de se parler. Trois millions de relevés de situation individuelle ont été envoyés en 2008 et 4 millions en 2009. À terme, toutes les générations à partir de 35 ans en recevront un tous les cinq ans. Et l’estimation indicative globale sera adressée à partir de 55 ans. Avant, les Français n’avaient aucune idée de ce qu’ils allaient toucher. Le DAI change la manière d’appréhender la retraite, c’est structurant.

Face à la concurrence, quels sont vos projets ?

La prochaine étape, c’est le RIS électronique, consultable en ligne à tout moment. Déjà, le relevé de carrière du régime général est accessible sur notre site Internet. Trois millions de personnes se sont inscrites. En tant que service public, financé par une fraction des cotisations sociales, il est normal que nous informions chacun sur ses droits.

Comment vous situez-vous face aux cabinets privés ?

Notre métier est en pleine mutation. Nous allons apporter une offre de conseil interrégimes car les assurés veulent appréhender leur retraite dans sa globalité. Nous expérimentons un nouveau service : le diagnostic-conseil personnalisé. Des conseillers retraite appellent des salariés ayant reçu une EIG pour leur apporter une aide spécifique.

Notre rôle n’est pas de vendre des prestations ni des compléments de retraite. Il est primordial que chacun ait accès, par l’intermédiaire du service public de la retraite, à une information de qualité. Ce service, nous le devons à l’ensemble de nos salariés.

Auteur

  • Emmanuelle Souffi