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Politique sociale

Le jackpot du travail dominical

Politique sociale | publié le : 01.04.2010 | Stéphane Béchaux

Quand ouvrir le dimanche sans autorisation coûte cher aux enseignes et rapporte gros aux syndicats qui les attaquent.

L’homme qui valait 20 millions d’euros, c’est lui. Depuis plus de trois ans, Vincent Lecourt s’en prend au portefeuille des magasins du Val-d’Oise qui s’entêtent à ouvrir sans autorisation le dimanche. Au tableau de chasse de cet avocat très pugnace, sept trophées principaux : Conforama, Ikea, Alinea, Casa, Leroy Merlin, Castorama et la librairie Le Grand Cercle. Des enseignes condamnées à payer des astreintes parfois considérables – jusqu’à 100 000 euros par infraction – pour avoir ignoré les décisions de justice leur enjoignant de fermer leurs portes le dimanche.

Des sommes qui ne vont ni dans les poches de l’État ni dans celles des travailleurs concernés. Mais dans les caisses des syndicats, étiquetés Force ouvrière pour l’essentiel. « Tout le monde accuse les syndicats de faire du gras sur le dos des salariés. Mais mes clients essaient simplement de faire respecter la loi en lieu et place des pouvoirs publics, qui ne manifestent aucune volonté », justifie Vincent Lecourt. Au début, l’avocat plaidait pour la CFTC locale qui, la première, s’est lancée dans la guérilla juridique. Contre Conforama. Sauf qu’au moment d’exiger le paiement des astreintes fixées par le juge, début 2007, le syndicat a renoncé. Contre signature d’une transaction tenue secrète, comme nous l’a confirmé un ex-dirigeant de Conforama. Mi-2007, Vincent Lecourt prend langue avec l’union départementale FO, qui reprend le flambeau.

Depuis trois ans, l’UD a cumulé les gros chèques, dont quatre définitivement acquis. Ils émanent de Conforama (700 000 euros), Alinea (400 000 euros), Ikea (150 000 euros) et Casa (60 000 euros), des enseignes punies pour des ouvertures illégales, en 2007, à Franconville et Herblay. Des quatre, c’est Casa qui s’en tire le mieux. Initialement condamnée à payer 300 000 euros, la société n’en a finalement versé qu’un cinquième, contre promesses de ne plus ouvrir illégalement le dimanche et d’entamer des négociations salariales. Bien joué ! À peine signé, le protocole est rattrapé par la loi Chatel du 3 janvier 2008 qui autorise les magasins d’ameublement à déroger au repos dominical… Avec cet accord amiable, le syndicat apporte néanmoins la preuve que ses actions judiciaires ne sont pas dictées par l’appât du gain. D’autant plus qu’il récidive fin 2008 en proposant le même type d’arrangement à Leroy Merlin et au Grand Cercle. Cette fois-ci, en vain.

Que faire du butin ? Parmi les militants, le 1,2 million d’euros encaissé – soit quatre années de budget – crée néanmoins des tensions. Pas simple d’utiliser à bon escient un tel trésor dans un syndicat aux troupes clairsemées, ne comptant que deux salariées. L’an dernier, le sujet a fait l’objet de très vifs échanges lors du congrès du syndicat. Aucune décision n’en est sortie, sinon l’engagement de faire valider les propositions par la commission exécutive. Parmi les pistes évoquées, l’ouverture de permanences et la création d’un fonds de soutien. « Pour l’instant, les sommes sont placées. Mais nous n’avons pas à justifier leur utilisation, sinon à nos adhérents », prévient le peu loquace secrétaire général de l’UD, Christian Debuire. Une petite partie du butin aurait néanmoins déjà servi à payer les arriérés de cotisations dus à la confédération, acheter une nouvelle camionnette et soutenir des grévistes d’Ikea.

Au sein de l’UD, qui doit désormais faire certifier ses comptes, on n’a pas fini de parler gros sous. Car le syndicat pourrait bientôt crouler sous les billets. Si les tribunaux confirment les jugements rendus dans les procédures en cours, l’organisation disposera, à terme, d’un pactole considérable. « Jusqu’à maintenant, la cour d’appel de Versailles a systématiquement réduit les montants des astreintes de 30 à 50 % », indique Vincent Lecourt. Pour l’heure, l’UD a bloqué sur des comptes séquestres, ouverts à la Banque populaire de Pontoise, 2 millions d’euros versés par Castorama, Leroy Merlinet Le Grand Cercle. Des sommes qui pourraient encore gonfler : Leroy Merlin, qui n’a jamais fermé le dimanche ses trois magasins valdoisiens, doit potentiellement à l’UD quelque 3,2 millions d’euros supplémentaires. Des sommes que l’enseigne refuse de payer – gare aux indemnités de retard ! – tant que la Cour de cassation, saisie, ne s’est pas prononcée sur le principe même des astreintes.

Pour le géant du bricolage, l’addition pourrait s’avérer salée. Car l’UD FO n’est pas la seule organisation à l’avoir attaqué. S’y sont joints sa Fédération des employés et cadres (FEC), son minisyndicat valdoisien du commerce et… l’union départementale CFTC, qui s’est raccrochée à la procédure. Quatre structures qui pourraient se partager, à parts égales, jusqu’à 16,5 millions d’euros, dont 3,56 millions déjà bloqués sur des comptes séquestres. Création d’un fonds de grève, refonte du site Web, mise en place d’une aide juridique… À la FEC on réfléchit à l’utilisation de cette manne, à laquelle s’ajoute un gros million d’euros versé par Castorama. « Aucune décision n’a été prise par nos instances. On ne veut pas faire des châteaux en Espagne avec des sommes qui ne sont pas définitivement acquises », explique Françoise Nicoletta, responsable de la section commerce à la FEC. Restent les 150 000 euros réglés une fois pour toutes par Ikea en 2008. « Ils ont été largement mangés par les coûts des procédures judiciaires et de nos actions contre le travail du dimanche », assure Serge Legagnoa, secrétaire général de la FEC.

Au palmarès des sanctions pécuniaires, le Val-d’Oise fait largement la course en tête. Mais le contentieux ne se limite pas aux frontières de ce département. En décembre, la CFDT, la CGT et la CGT-FO du Finistère ont fait plier Ikea. Menacé de lourdes astreintes, le géant suédois a renoncé à l’ouverture dominicale de son magasin brestois. Idem à Saint-Herblain, dans la banlieue nantaise. Dans le Val-de-Marne, aussi, la bataille fait rage, au centre commercial Thiais Village. L’initiative en revient à la CFTC qui, via son union départementale et sa fédération du commerce (la CSFV), tente d’obtenir, à coups d’astreintes, la fermeture dominicale des boutiques. Un combat éreintant et très onéreux. « J’ai face à moi 25 confrères. Assigner des dizaines de gérants, c’est autrement plus compliqué que de cibler une grosse enseigne. Et nettement moins lucratif », explique Thierry Doueb. L’avocat de la CFTC du commerce est lui aussi un coriace. Parmi ses victimes, La Halle aux chaussures, Naf Naf, La Halle aux vêtements et Tara Jarmon.

Un beau butin… provisoire

Le montant des astreintes dues par les enseignes du Val-d’Oise, Leroy Merlin en tête, dépasse 20 millions d’euros. Sans compter les indemnités de retard et les condamnations aux dépens. Un butin provisoire, peu de jugements étant définitifs. En appel, les entreprises ont obtenu jusqu’alors des réductions de 30 à 50 %.

Auteur

  • Stéphane Béchaux