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Politique sociale

L’Allemagne des vaches maigres

Politique sociale | publié le : 01.04.2010 | Thomas Schnee

Minijobs, libéralisation de l’intérim et absence de smic universel ont favorisé l’essor de la pauvreté outre-Rhin.

Imbattable, le salaire payé par une pizzeria de Stralsund, une petite ville côtière de la Baltique. À raison de 1,14 euro par heure versé à ses salariés, ce restaurateur décroche un des tristes records enregistrés en Allemagne en matière de bas salaires. En janvier, un tribunal du travail l’a condamné à dédommager ses salariés et même à verser 6 600 euros à leur coplaignante, l’agence pour l’emploi locale. « Certaines entreprises abusent en payant un minimum et en laissant l’État apporter le complément. Nous essayons seulement de limiter les abus et de récupérer l’argent du contribuable », expliquait alors Peter Hüfken, patron de l’agence de Stralsund. Avec de tels salaires, les employés de la pizzeria s’étaient en effet vus dans l’obligation de demander l’allocation Hartz IV, un mélange de RMI et de RSA qui permet, en principe, d’atteindre le minimum vital.

En Allemagne, de tels cas ne sont plus une exception. On recense actuellement près de 6,5 millions d’emplois à bas salaires (inférieurs à 9,62 euros brut l’heure à l’Ouest et 7,18 euros à l’Est), soit près d’un salarié sur cinq, particulièrement dans les services, le commerce et la restauration : « Dans certains secteurs économiques, on ne peut plus que qualifier l’Allemagne de pays à bas salaires », estimait Ingrid Schmidt, présidente de la Cour fédérale du travail, lors de la présentation de son bilan 2009, fin janvier. Les conséquences sociales sont là. En dix ans, le nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté (11 millions) a augmenté d’un tiers, et les classes moyennes représentent aujourd’hui 50 % de la population, contre 62 % en 2000.

Outre-Rhin, le développement d’un secteur d’emplois à bas salaires remonte aux années 90. Mais il s’est nettement accéléré avec l’adoption des réformes du marché de l’emploi du gouvernement Schröder (réformes Hartz de 2003 à 2005), et l’essor des « minijobs » non soumis à cotisations sociales patronales, la création de l’allocation Hartz IV ou encore la libéralisation totale du secteur de l’intérim : « Nous devons créer un secteur à bas salaires pour que les gens qui vivent actuellement de transferts sociaux puissent retrouver un travail et gagner leur pain », déclarait Gerhard Schröder dès 1999.

L’intérim entré dans les mœurs. L’opération lancée par Schröder a réussi au-delà de toute attente. À côté des 6,5 millions de bas salaires, le secteur de l’intérim est passé d’environ 200 000 salariés en équivalent temps plein au début de la décennie à 850 000 en 2008. Le travail temporaire est entré dans les mœurs des entreprises, de l’exemplaire à l’insupportable. Dans le secteur automobile, où jusqu’à 5 % des salariés sont des intérimaires, IG Metall a pu signer avec de nombreuses entreprises, dont BMW, une convention sur le principe « même travail, même salaire », primes maison en moins. Dans d’autres secteurs comme celui du commerce, on assiste en revanche à d’étonnantes dérives. Il y a un an, la chaîne de drogueries Schlecker, leader européen avec 14 000 points de vente et 52 000 salariés, a lancé une opération destinée à remplacer la majeure partie de son personnel fixe par des intérimaires payés 50 % moins cher. En novembre 2008, le groupe Schlecker a créé la Schlecker XL GmbH ainsi que Meniar, une entreprise d’intérim, toutes deux officiellement indépendantes de la maison mère. Puis, début 2009, Schlecker a commencé à fermer ses petites surfaces pour les remplacer par des « Schlecker XL Markt » à raison d’une grande surface ouverte pour trois à cinq magasins fermés. Sur le carreau, les salariés ont été placés devant l’alternative suivante : le chômage ou un emploi temporaire chez Meniar, qui ne travaille que pour… Schlecker XL GmbH.

Afin d’enrayer cette spirale descendante, syndicats et partis de gauche ont revendiqué la création d’un salaire minimum universel (8,50 euros), inexistant en Allemagne. Sans nier le problème, la droite d’Angela Merkel a d’abord bloqué sur le caractère universel d’un tel salaire. Finalement, le précédent gouvernement de grande coalition a trouvé un compromis. Aujourd’hui, les partenaires sociaux majoritaires d’un secteur, c’est-à-dire représentant plus de 50 % de ses salariés, peuvent négocier un salaire minimum de branche. Celui-ci doit recevoir l’aval d’une commission tripartite installée au ministère de l’Emploi. En cas de feu vert, la disposition est applicable à toutes les entreprises du secteur.

Ce compromis a permis d’installer un salaire minimum dans 13 branches d’activité, pour près de 2,8 millions de salariés. Mais rien ne garantit la pérennité du dispositif. En effet, ces accords doivent être renégociés régulièrement et restent donc soumis à la bonne volonté du gouvernement en place. Or la coalition de droite actuellement au pouvoir n’est guère favorable à l’extension du salaire minimum. De plus, dans certains secteurs, comme celui des services postaux, il n’est pas rare que les partenaires sociaux se disputent entre eux sur le juste niveau du salaire minimum.

Fin janvier, le Tribunal administratif fédéral a estimé que le salaire minimum négocié en 2007 (9,80 euros l’heure) entre une fédération patronale dominée par la Deutsche Post et le syndicat Verdi ne pouvait être valable pour toutes les entreprises du secteur et surtout qu’il ne pouvait annuler un accord sur un salaire minimum inférieur (de 6,50 à 7,50 euros) négocié entre les « nouvelles » entreprises privées du secteur et un petit syndicat chrétien. D’un seul coup, des dizaines de milliers d’employés ont vu leurs perspectives d’évolution salariale s’effondrer.

Une période de vaches maigres que devraient aussi connaître les 3,4 millions de salariés de la métallurgie de Rhénanie-du-Nord-Westphalie. Tous ne sont pas abonnés aux bas salaires mais, en contrepartie du maintien de l’emploi dans un secteur durement touché par la crise, IG Metall vient d’accepter de ne pas demander d’augmentation de salaire ; soit un gel durant les vingt-trois mois que va durer l’accord. Les employeurs pourront même réduire le temps de travail jusqu’à vingt-huit heures par semaine. Le manque à gagner ne sera qu’en partie compensé par une prime unique de 320 euros versée en 2010.

6,5 millions, c’est le nombre d’emplois à bas salaires en Allemagne, et 11,5 millions le nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté. Sources : Institut d’études sur le travail et la qualification professionnelle (université Duisburg-Essen) et Institut de l’économie allemande.

Haro sur les allocations !

Celui qui promet au peuple un État providence sans effort invite à une décadence digne du Bas-Empire romain », a déclaré Guido Westerwelle, vice-chancelier et leader du Parti libéral, en réaction au jugement rendu en février par le Tribunal fédéral constitutionnel. Estimant que le calcul du revenu minimum (Hartz IV) était « éloigné de la réalité » et n’offrait pas les bases d’une « existence décente », les juges ont ordonné au législateur de redéfinir le calcul de l’allocation. Sans préciser s’il fallait l’augmenter ou la réduire. Une partie de la droite penche pour la seconde solution afin de « motiver les chômeurs à chercher un emploi ».

Auteur

  • Thomas Schnee