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Enquête

Chacun cherche son poste

Enquête | publié le : 01.04.2010 | Sabine Germain

Sans marges de manœuvre, débordées, les RH gèrent les affaires courantes et délaissent la gestion des carrières. Aux salariés de se débrouiller.

Pour Sanofi-Aventis, la mobilité est un vecteur essentiel du développement des collaborateurs et de l’entreprise. » Marie aimerait croire à cet engagement affiché par la DRH groupe. « Ça fait dix ans que je suis au même poste, soupire cette assistante. Je commence à m’ennuyer sérieusement. Pourtant, je ne demande pas la lune : je sais bien que pour ce type de poste administratif les possibilités d’évolution sont réduites. Non, j’aimerais juste changer un peu d’air, de missions, de collègues… » Elle consulte régulièrement les offres d’emploi sur l’intranet : « J’ai postulé cinq fois à des postes qui me semblaient tout à fait à ma portée. » Pas de chance : tous ont été pourvus avant même que sa candidature soit examinée. « Parce que mon manager, qui n’a pas envie de me voir partir, court-circuite mes démarches. Et parce que les postes intéressants échappent toujours aux procédures classiques : ils sont pourvus entre amis. » Marie aurait aimé en parler à un cadre RH : « Ils sont noyés sous le nombre de cas à traiter. Au point qu’à ma dernière demande de rendez-vous il m’a été répondu : “Si l’on devait recevoir tous les salariés qui le réclament, on ne ferait que ça !” [sic]. »

Inégalité de traitement. « Phagocytées par leurs missions juridiques et techniques, les équipes RH n’ont plus le temps de sortir de leur bureau, commente Xavier de Yturbe, consultant au sein du cabinet Securex. Pourtant, un cadre RH devrait aller prendre le café tous les matins avec les équipes pour comprendre la réalité du travail de chacun. Il doit aussi accepter de passer 30 % de son temps à jouer le bureau des pleurs. Cela fait clairement partie de ses missions. » Face à l’emploi du temps surchargé des équipes RH, certains salariés semblent toutefois un peu plus égaux que d’autres. « On dirait que les ressources humaines ne s’intéressent qu’aux carrières des cadres identifiés comme hauts potentiels. La piétaille les indiffère », poursuit Marie.

Sans être à proprement parler un haut potentiel, Félix a effectivement eu le sentiment, il y a quelques années, que le groupe mondial qui l’emploie croyait en lui : ingénieur système, il a vu ses responsabilités s’élargir au fil de ses neuf ans d’expérience. Il y a cinq ans, il a été nommé chef d’un projet à plus de 150 millions d’euros, dont il a entièrement dessiné les contours techniques, juridiques et humains. Il a recruté, formé et animé son équipe de 30 ? collaborateurs. « Dans quelques mois, ce projet va arriver à son terme. J’ai beau tirer la sonnette d’alarme, personne ne semble se soucier de l’avenir de mon équipe. » Sans préjuger de l’avenir, Félix est convaincu que le groupe va adopter ce qui ressemble à une solution de facilité : des licenciements. « La procédure est rodée : le groupe enchaîne les plans sociaux depuis des années. Tout le monde connaît la musique : la DRH aussi bien que les partenaires sociaux, qui ont pris l’habitude de négocier les indemnités de départ au lieu de défendre l’emploi. » Félix a, bien entendu, saisi la DRH du cas de son équipe : « Elle est consciente du gâchis, mais n’a aucun pouvoir de l’empêcher. Le groupe est tellement cloisonné qu’il est plus simple de dissoudre l’équipe que de trouver un point de chute à 30 ? techniciens expérimentés. » Et la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences ? « Un accord de GPEC a été signé en 2008. La DRH a sans doute mis des mois à le négocier… », ironise Félix, devant le peu de portée de ce document.

Le désengagement des équipes RH, Martin Richer le date très précisément : « Depuis deux ans, avec le développement des plans de départs volontaires, les DRH ont laissé les clés de la mobilité aux salariés, estime le directeur général de Secafi (Groupe Alpha), conseil et expert auprès des instances représentatives du personnel. Dans le cadre d’un plan social, l’entreprise doit travailler sur une organisation cible, prévoyant – le cas échéant – un redéploiement des effectifs. Mais, lors d’un plan de départs volontaires, les salariés qui restent doivent se débrouiller tout seuls pour retrouver un poste. Les équipes RH sont tellement sollicitées qu’elles ne sont pas d’un grand secours… »

Fondateur de DreamGroup, agence-conseil en communication RH, Didier Pitelet plaide pour une certaine indulgence à l’égard des DRH, « qui, dans le contexte économique actuel, n’ont plus guère de marge de manœuvre ». Il les appelle néanmoins à faire preuve d’un peu plus de courage face à ce qu’il considère comme des aberrations : « Licencier des salariés de valeur sans véritable raison, c’est un gâchis humain, mais c’est aussi un non-sens économique. Et je ne parle même pas du risque de réputation : l’entreprise laisse filer dans la nature des salariés pleins de rancœur, qui ne manqueront pas de dire tout le mal qu’ils pensent du management de leur ex-employeur. »

La réputation ? C’est un souci de riche, aux yeux de David, éditeur depuis plus de quinze ans dans le groupe Sejer (Nathan, Bordas, Le Robert, etc.). Sur le marché sinistré de l’édition, les possibilités de changer d’employeur sont proches du néant. Cela n’a pas échappé à la DRH, qui ne prend même plus la peine de faire semblant de retenir ses collaborateurs : « Elle se contente d’expédier les affaires courantes (paie, congés, récupération et, éventuellement, formation), constate David. Pour tout ce qui relève de ma carrière, j’ai compris que je ne devais compter que sur moi. » La preuve : son dernier poste, il l’a trouvé tout seul, par son réseau interne. « De toute façon, la DRH est systématiquement court-circuitée lors des recrutements. Un éditeur n’imagine pas une seconde se laisser imposer un candidat par qui que ce soit ! Il est seul décisionnaire… et tant pis pour les objectifs de parité ou de rééquilibrage de la pyramide des âges. Dans l’édition, les cadres continuent à se cloner, avec une majorité de femmes de plus de 50 ans. » Des dossiers sur lesquels les DRH sont pourtant censés travailler activement…

* À la demande des témoins, les prénoms ont été changés.

RENAULT

groupe

AVANT LA VAGUE DE SUICIDES DE 2007 : 1cadre RH pour 500 salariés

AUJOURD’HUI, après redéploiement sur le terrain : 1 cadre RH pour 350 salariés

Auteur

  • Sabine Germain