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Les RH, parents pauvres des MBA

Dossier | publié le : 01.04.2010 | Sarah Delattre

La crème des masters se concentre sur le développement du leadership et la conduite du changement. Les conséquences sociales des choix stratégiques ne sont guère au programme.

Le monde du travail n’est pas un monde bienveillant, c’est un environnement hostile. » Bienvenue à l’ESCP, où Philippe Gabilliet commence son cours sur l’action managériale devant une trentaine de cadres, majoritairement des hommes. Ancien spécialiste du terrorisme politique à la Direction générale des collectivités locales puis consultant en management des forces de vente, le directeur académique de l’EMBA connaît son affaire. Depuis 1995, il enseigne les comportements organisationnels. Plus exactement, l’organization behaviour dans les programmes MBA, qui affectionnent le jargon anglo-saxon. En résumé, un mélange de sociologie des organisations et de psychologie appliquée, où il s’agit d’appréhender l’influence des organisations sur les hommes et vice versa.

À quelques encablures de République et de Bastille, symboles de la contestation, la business school inculque plutôt quelques préceptes de guérilla à l’usage des futurs dirigeants. Mêlant anecdotes personnelles et théorie, Philippe Gabilliet décrit un univers impitoyable où « le premier qui s’endort a perdu » et où « un homme poursuivi par un tigre court plus vite qu’un homme poursuivi par 100 poules »! Oui, Philippe Gabilliet parle comme ça, avec un léger accent du Sud-Ouest. « Comment passer de l’efficacité professionnelle au succès managérial ? Comment le manager peut réguler par son comportement une organisation plombante ? Quelle posture adopter dans les organisations modernes pour se protéger soi-même et son équipe ? Comment le milieu influence les comportements ? » interroge-t-il. Et, plus prosaïquement, il parle de l’art de s’appuyer sur des réseaux, de décrypter les luttes de pouvoir pour s’en sortir. « L’enjeu est de former des leaders qui seront amenés à prendre des décisions parfois lourdes de conséquences, explique Philippe Gabilliet pendant la pause. Nous leur donnons des grilles de lecture qui leur permettent de mieux comprendre leur environnement. Et, pour devenir agent d’influence, il faut apprendre à jouer fin. »

L’art du management. Globalement, les MBA ne s’intéressent pas tant aux champs des ressources humaines stricto sensu qu’au développement du leadership, le maître mot, et à la conduite du changement, l’autre tarte à la crème. Les enseignements se nourrissant en grande partie de l’expérience des participants aux prises avec les réalités des entreprises et de témoignages de dirigeants racontant leurs réussites et leurs échecs. À l’Insead, par exemple, la seconde partie du programme se concentre sur les pratiques de management et les fondamentaux du leadership. À la fin, les participants éprouvent leur esprit stratège à travers un jeu de simulation. « Le management est une science, mais aussi un art. Qui exige développement de l’intuition et du jugement », lit-on sur le site Internet.

Même chose pour l’EMBA d’HEC, où « la seconde partie du programme s’attache au développement du leadership dans un contexte international et à la prise de position en tant que dirigeant face aux problèmes de société ». Concrètement, chaque programme comporte un module organization behaviour d’environ vingt-quatre heures que chaque professeur assaisonne à sa sauce en fonction de son vécu. « Méfiez-vous comme de la peste de la psychologie appliquée au monde du travail, les managers font l’erreur de croire qu’ils sont psychocliniciens, or chacun est bien souvent en représentation dans le monde du travail et il est compliqué d’accéder à la personnalité de quelqu’un », conseille par exemple Philippe Gabilliet.

À l’Essec, Alan Jenkins, directeur académique de l’EMBA depuis 2006, organise son cours autour des 4 C : « contrôle et participation des salariés, coordination et structure des organisations, conflits et changement organisationnel ». Il prévient : « L’objectif du programme est de provoquer, de faire prendre du recul aux participants par rapport à leur expérience. La réflexion sur le potentiel de leader prend du temps. » « Le but est de montrer comment aligner la structure de l’entreprise sur la stratégie, en quoi l’organisation peut conditionner les pratiques de management », complète Pierre-Guy Hourquet, directeur d’Edhec executive.

Ces programmes ont aussi en commun de mettre l’accent sur l’accompagnement des participants sous forme de coaching d’équipes et individuels. C’est le cas, par exemple, à l’Essec, l’Insead ou l’Edhec. « Le coaching individuel m’aide à prendre conscience du leadership au féminin, des métiers vers lesquels je pourrais m’orienter en fonction de ma personnalité », témoigne une salariée d’un groupe de cosmétique qui suit l’EMBA de l’Essec. Pour approfondir les ressources humaines, quelques écoles enseignent un module spécifique, souvent en se concentrant sur quelques piliers. L’Essec, par exemple, aborde en vingt-quatre heures la gestion de carrière et les politiques de rémunération, sous le pilotage de Jean-Marie Peretti, par ailleurs chargé du mastère spécialisé des ressources humaines management. « Les participants s’intéressent aussi aux pratiques de négociation à travers un atelier de deux jours et demi », ajoute Alan Jenkins.

De son côté, l’Edhec insiste sur la GRH internationale. En complément d’un tronc relativement commun à tous les MBA, chaque école se distingue à travers des options obligatoires, pour plusieurs liées au management. À l’Insead, les participants peuvent piocher une matière parmi l’innovation sociale, l’entrepreneuriat, les fusions-acquisitions, les 100 premiers jours, le management des multinationales. À l’ESCP, 12 options sur 36, parmi lesquelles l’éthique, les stratégies et les tactiques de négociation, le leadership mystique (ça fait un peu peur)… Ce que les futurs leaders en retiennent Une cartographie simpliste des comportements humains, des techniques d’alliance pour s’appuyer sur les bons sujets en cas de restructuration, des recettes sur les stratégies d’entreprises. « Ingénieur de formation, j’ai un panel plus complet de ce que doit savoir un dirigeant en matière de finance, de marketing, de management, témoigne Didier Boquet, 38 ans, président de SGS CTS, qui termine un EMBA à l’ESCP. Nous avons redéfini le rôle du patron, j’ai appris comment optimiser une organisation, à mieux comprendre les comportements, les émotions pour les transformer, les utiliser. Chacun d’entre nous travaille par exemple avec des personnalités plutôt émotionnelles ou rationnelles. J’ai appris aussi à connaître mes limites et à les dépasser. »

Wolf Kunisch, 41 ans, responsable d’une filiale d’Atos Origin en Allemagne, a suivi l’EMBA de l’Insead en 2007. « Les techniques de développement personnel, le coaching individuel m’ont aidé à mener une réflexion sur mes pratiques en tant que leader. Les organigrammes ont des effets sur les modes de management. Basculer d’une organisation par pays à une organisation par fonction, avec une RH monde, a des implications fortes sur les managers, les politiques de rémunération. Un manager peut se révéler moins bon dans un nouveau contexte. » Plusieurs écoles se targuent d’attendre de leurs étudiants scepticisme et humilité. Pourtant, en pleine période de crise, les choix stratégiques ne semblent pas remis en question ; les conséquences des réorganisations sur l’emploi, les conditions de travail, la santé n’ont pas l’air de faire partie des programmes. Seule compte la conduite du changement, et vogue la galère ! « Les MBA sont critiqués car insuffisamment axés sur les questions humaines. Nous faisons des efforts pour intégrer cette dimension à travers les questions de déontologie, de développement durable », nuance Alan Jenkins. Après tout, c’est certainement à l’école de la vie que l’on apprend le mieux à douter.

Auteur

  • Sarah Delattre