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À qui profitent masters et MBA ?

Dossier | publié le : 01.04.2010 | Sarah Delattre

Rien de tel pour se prémunir contre les coups durs que d’investir dans une bonne formation. Au chômage ou en emploi, les plus qualifiés profitent des dispositifs existants pour faire un master, voire un MBA. Mais ils en sont souvent de leur poche.

Indifférents à la crise, les très élitistes masters of business administration (MBA) et les masters professionnels universitaires continuent de faire le plein. L’Insead enregistre une progression des candidats désireux d’intégrer son MBA à temps partiel, au cinquième rang du classement des executive MBA du Financial Times, qui fait la pluie et le beau temps. « Les candidats ont moins de projets professionnels, ils considèrent que c’est le moment d’investir dans leur formation », observe Patrick Parker, directeur adjoint marketing du programme. Un investissement qui n’est pas accessible à toutes les bourses, car ce master, à cheval sur trois campus, à Fontainebleau, Singapour et Abu Dhabi, coûte la bagatelle de 90 000 euros. A l’étage du dessous, l’EM Strasbourg, qui propose huit masters (audit financier et opérationnel, entrepreneuriat en PME, management des organisations de santé…) et cinq MBA spécialisés (développement durable, management hospitalier, international MBA…), observe la même tendance. « Nous recevons plus de demandeurs d’emploi, notamment des cadres victimes de plans sociaux qui en profitent pour se former », note Pia Imbs, directrice déléguée chargée de l’executive education.

Souvent diplômés, cadres expérimentés pour la plupart, les candidats au troisième cycle sont bien placés pour jauger les dispositifs de formation continue et ont intégré le discours ambiant qui fait du salarié un acteur de sa destinée professionnelle. Trentenaires et quadras, bon nombre, issus d’écoles d’ingénieurs ou d’écoles de commerce, nourrissent un insatiable besoin de diplômes, comme pour se prémunir contre les coups durs. L’économie tourne au ralenti ? Les entreprises licencient ? Qu’à cela ne tienne. Ces salariés ont pour la plupart suffisamment de ressources pour surmonter des lendemains qui déchantent.

Inégalités persistantes. « En plein cœur de la crise, les inégalités d’accès à la formation ont persisté, les salariés déjà qualifiés ont plus profité des dispositifs de formation », observe Pierre Ferracci, P-DG du Groupe Alpha. Licenciée d’une entreprise agroalimentaire, Laurence Chaumet, aujourd’hui chef de groupe marketing chez Steelcase, s’est servie du plan social pour suivre le master Entrepreneuriat en PME à l’EM Strasbourg en 2006. « Dans le cadre du congé de reclassement, je touchais l’intégralité de mon salaire et ma formation était entièrement prise en charge, témoigne cette cadre de 36 ans. Déjà diplômée d’une école de commerce, j’ai eu envie de conceptualiser mon expérience professionnelle. Le chômage peut vous déstructurer. Au moins le master m’a stimulée intellectuellement, il m’a permis de me rapprocher du tissu local et d’élargir mon réseau, grâce auquel j’ai été chassée par mon entreprise actuelle. »

Reste qu’avec la crise les masters et les MBA ne sont pas la priorité dans les entreprises. Car elles ont ainsi été fortement incitées par le secrétaire d’État à l’Emploi à former les salariés mis de force en chômage partiel. Le contrat de transition professionnelle (CTP), qui permet de combiner travail et formation pour les licenciés économiques, a, ainsi, été élargi à 40 bassins. Et la loi du 24 novembre 2009 relative à l’orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie a créé le Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels (FPSPP), qui oriente une partie des fonds de la formation vers les salariés les plus fragiles et les demandeurs d’emploi. « L’inquiétude des syndicats de cadres étant de voir se tarir les fonds à destination des plus qualifiés », commente Pierre Ferracci. Pourtant, selon le Cereq, « les entreprises forment moins quand la conjoncture se dégrade ». « Loin d’investir davantage dans la formation pour préparer la reprise, les entreprises freinent leurs dépenses en période de conjoncture difficile, écrivent Agnès Checcaglini et Isabelle Marion-Vernoux. Face à un ralentissement économique, lorsque ses carnets de commandes se dégarnissent, une entreprise peut choisir de former davantage ses salariés pour favoriser leur adaptation ou leur reconversion. Elle peut ainsi préparer la reprise en augmentant sa capacité à réagir aux mutations futures. Dans les faits, ce cas de figure semble très minoritaire […]. La formation s’intègre désormais comme un élément de la politique de gestion et peut devenir une variable ajustée au niveau de l’activité économique. Dès lors, les pratiques des entreprises n’apparaissent pas toujours cohérentes avec l’objectif de sécurisation des parcours des salariés, plus fragilisés en période de conjoncture basse, ni avec celui d’une anticipation de l’après-crise. »

Les candidats en sont de leur poche. Sur le terrain, les candidats en troisième cycle, normalement bien lotis en matière d’accès à la formation continue, en sont souvent de leur poche. Plus que jamais, les Fongecif se concentrent sur les publics prioritaires, les ouvriers ou les employés de plus de 40 ans, faiblement qualifiés, issus des TPE et des PME. Ainsi, au Fongecif d’Ile-de-France, « les chances d’être financé si l’on est un jeune cadre sont quasi nulles ». « Les formations de type MBA ou master ne sont pas retenues en priorité. » « Les dossiers concernant une formation de niveau1 (bac + 5) ne représentent que 5 % des bénéficiaires, les CSP + (ingénieurs et cadres) ne représentent que 10 % des attributaires. » En 2008, sur 1534 demandes de prise en charge concernant un troisième cycle, un MBA, une grande école ou un titre d’ingénieur, 904 ont été accordées, soit un taux d’acceptation de 59 %. Un an plus tard, le pourcentage tombe à 51 % (878 accords sur 1722 dossiers instruits). « La tendance générale est à une progression de la prise en charge financière individuelle », note Dominique Rivière, responsable de la communication à l’IAE de Paris 1 (Panthéon-Sorbonne). « La moitié des étudiants paient de leur poche, les autres peuvent être partiellement aidés par leur employeur », observe Patrick Parker, à l’Insead. Pour les coûteux MBA, les entreprises regardent plus à la dépense et les réservent à un noyau de cadres sup qu’elles jugent prometteurs. Un bonus qui s’inscrit dans une politique de gestion des carrières et de développement des hauts potentiels. « En particulier en période de crise où les GRH sont plus complexes, les entreprises remettent à plat leur politique de formation des hauts potentiels pour les garder », argumente Valérie Gauthier, directrice déléguée à HEC, qui a lancé en début d’année un nouveau MBA part time, censé être plus adapté aux besoins des jeunes cadres en début de carrière.

Chez Renault-Nissan, Jean-Baptiste Languenou, acheteur d’outillage, a puisé dans ses économies pour se payer l’EMBA de l’ESCP Europe, à 42 000 euros. « J’avais déjà dans l’idée de suivre un MBA quand j’ai été embauché par Renault en 2007, témoigne cet ingénieur de formation âgé de 32 ans. J’avais eu l’occasion de travailler en Chine chez Faurecia et je m’étais rendu compte qu’un double cursus était apprécié à l’étranger. Mais chez Renault, ces demandes de formation répondent à une procédure stricte et assez longue. Vous devez d’abord être identifié comme haut potentiel par votre direction, puis comme très haut potentiel au niveau du groupe. Je n’avais pas envie d’attendre, alors j’ai financé moi-même mon MBA. C’est clairement un investissement, mais je me dis qu’au sortir de la crise je pourrai plus facilement repartir à l’étranger. »

Un pari risqué, car le retour sur investissement est d’autant moins immédiat que les candidats ne sont pas soutenus par leur entreprise. Wolf Kunisch, aujourd’hui responsable d’une filiale d’Atos Origin en Allemagne, a eu le flair de suivre l’EMBA de l’Insead en 2007, avant que l’économie ne marche sur la tête. « Les frais de scolarité [90 000 euros] ont été intégralement pris en charge par mon entreprise, moyennant une clause de dédit formation sur trois ans. Si j’avais dû les financer, je n’aurais pas récupéré la mise en trois ans, l’investissement s’inscrit à plus long terme. »

Une visée internationale. Si le MBA est en vogue dans les cabinets d’audit, de conseil ou les banques d’affaires anglo-saxonnes, au plus haut sommet des entreprises françaises, les élites continuent de privilégier les grandes écoles comme l’ENA, Polytechnique, les Mines. Le principal atout du MBA est d’être efficace pour qui vise une carrière à l’international, car reconnu partout dans le monde. Largement plus abordables financièrement, les masters universitaires répondent aussi bien aux désirs de promotion sociale. À titre d’exemple, 23 % des salariés qui ont suivi le master MAE à l’université Paris1 en 2007 ont pu changer d’entreprise, 45 % de poste. Pour 41 % d’entre eux, l’obtention du diplôme a eu un impact positif sur leur salaire. Parmi les 2 500 masters professionnels à Paris-Dauphine, Aix-Marseille III, Lille I, Toulouse I, etc., nombreux sont ceux qui n’ont pas à rougir devant les business schools. Le plus difficile étant de s’y retrouver !

Plus accessibles par le biais de la validation des acquis de l’expérience, ces masters sont souvent plus ouverts socialement. Ainsi, à l’IAE de Paris Panthéon-Sorbonne, un salarié sur quatre a accédé au master en faisant reconnaître son expérience. Rien de tel dans les MBA, qui mettent pourtant en avant la diversité. « 10 % de nos participants ont des parcours originaux, ils sont anciens sportifs, musiciens, pilotes de ligne, par exemple », observe Pierre-Guy Hourquet, directeur des formations executive à l’Edhec, qui propose deux MBA à temps complet et à temps partiel. « Les candidats en MBA sont plus expérimentés et à des niveaux de responsabilité plus élevés. En master universitaire, ils sont un peu plus jeunes », commente Pia Imbs. Recrutant essentiellement des cadres sup, les EMBA sont à majorité masculine. À l’ESCP, par exemple, 78 % de la promotion porte costume-cravate, même si l’école s’efforce de renverser la vapeur.

* Titre du Bref n° 267 du Cereq, septembre 2009.

Damien Brochier Chargé d’études au Cereq
“Attention aux désillusions”

Comment expliquer que les troisièmes cycles accessibles en formation continue résistent à la crise ?

Ces diplômes s’adressent aux cadres, qui bénéficient déjà en temps ordinaire d’un accès privilégié à la formation continue. Même s’il y a une diminution globale des budgets de formation, ils restent ceux qui partent le plus souvent étudier. Et puis les entreprises ne coupent pas les budgets quand les formations répondent à des besoins d’organisation, quelle que soit la catégorie socioprofessionnelle.

Une majorité de ces participants sont déjà diplômés mais éprouvent pourtant le besoin de remettre l’ouvrage sur le métier.

Comment expliquer cette forme de boulimie ?

Les jeunes générations, plus diplômées, ont une accoutumance plus grande à la formation que les générations précédentes. En entreprise, ces jeunes sont plus facilement attirés par une progression de carrière via des formations. Pour eux, se sentir acteur de sa vie professionnelle passe souvent par une reprise d’études. Auparavant, les salariés pouvaient se sentir tout aussi acteurs. Mais ils apprenaient plus sur le terrain, au contact des anciens, la progression passait plus par la valorisation des expériences. Aujourd’hui, les cadres sont aussi davantage à l’affût de ce qui se passe à l’extérieur de l’entreprise. Ils s’appuient sur des valeurs externes à l’entreprise comme les diplômes pour valoriser leur expérience. Et puis cette pause permet de souffler, de faire ses humanités pour les ingénieurs aux profils techniques.

Comment les entreprises réagissent ?

Elles jouent plus ou moins le jeu. D’un côté, elles vont nouer des partenariats avec les universités, les écoles, accompagner la VAE. De l’autre, elles interprètent ce désir de formation comme une forme de détachement, l’envie d’aller voir ailleurs. Elles craignent les difficultés en termes de reconnaissance salariale, de grilles dans les conventions collectives. La plupart des grandes entreprises essaient aujourd’hui d’articuler reconnaissance à la fois des diplômes et de l’expérience professionnelle. Ce n’est pas parce que les cadres multiplient les diplômes qu’ils sont automatiquement reconnus des employeurs. Leur croyance forte dans les diplômes n’est pas nécessairement partagée par tous au sein des entreprises. Le diplôme ne se traduit pas à coup sûr en espèces sonnantes et trébuchantes. Pour certains, la déception risque d’être la même que celle d’un BTS se retrouvant ouvrier.

Auteur

  • Sarah Delattre