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Vie des entreprises

Sur la santé au travail, les juges ne transigent pas

Vie des entreprises | Zoom | publié le : 01.03.2010 | Sandrine Foulon

Après la santé physique, c’est sur les risques psychosociaux que les employeurs sont épinglés, au nom de leur obligation de sécurité de résultat.

Série noire pour Renault. Le constructeur vient par deux fois de se voir con­damné pour faute inexcusable. D’abord par le tribunal des affaires de sécurité sociale (Tass) de Nanterre, le 17 décembre, pour n’avoir pas su empêcher le suicide d’un ingénieur du Technocentre de Guyancourt en 2006. Inquiet de l’état d’anxiété du cadre, le management avait pourtant réagi, proposant une mobilité professionnelle et alertant la médecine du travail. Pas suf­fisant, ont estimé les juges, « l’employeur n’a pas pris les mesures qui s’imposaient pour le protéger de [lui-même], tant sur le plan individuel que collectif ». Le groupe est à nouveau con­damné le 4 février par la cour d’appel de Versailles à la suite de l’accident mortel d’un salarié de Flins, écrasé par un chariot en 2004. Là encore, les magistrats ont estimé que « la société Renault aurait dû avoir conscience du danger ».

Lourde de sens, la faute inexcusable fait de plus en plus trembler les directions. Certes, la notion n’est pas nouvelle. Les DRH l’ont surtout découverte en 2002, lors des arrêts amiante. « La Cour de cassation a alors changé les règles du jeu. Et considéré que tout manquement à l’obligation de sécurité de résultat constituait une faute inexcusable. Cette redéfinition en deux temps signifie surtout que les entreprises ne sont plus tenues par une obligation de moyens mais bien de résultat », relève l’avocat Jean-Paul Teissonnière. Elles doivent tout miser sur la prévention afin de préserver la santé et la sécurité des salariés. Et en huit ans, le curseur s’est déplacé. « L’obligation de sécurité de résultat a étendu son empire, confirme le professeur de droit Pierre-Yves Verkindt. En 2005, elle touche le tabagisme sur le lieu de travail ; en 2006, la visite de reprise d’activité et le harcèlement moral ; en 2008, l’exercice du droit de retrait… Son extension est permanente et ne devrait pas s’arrêter en si bon chemin. Le droit à la santé sur le lieu de travail a fait un immense bond en avant. Il surplombe tout, y compris le pouvoir de direction. La chambre sociale affirme que la santé n’est pas du domaine du négociable. »

Sur la question des risques psychosociaux, les juges viennent d’ouvrir un boulevard pour tous les avocats pro­salariés qui n’étaient pas à l’aise avec cette notion subjective. Puisque les juges ne transigent plus avec la santé au travail, autant aller sur le terrain de l’obligation de sécurité de résultat, voire, au pénal, sur celui de la mise en danger d’autrui pour faire reconnaître des pratiques managériales pathogènes (voir encadré). De quoi inquiéter les employeurs.

Retour de balancier. « Les entreprises sont très bien organisées pour gérer le risque physique. En vingt-cinq ans, le nombre d’accidents mortels a été réduit de deux tiers. En revanche, il est beaucoup plus compliqué d’appréhender les risques psychosociaux. Un suicide est souvent le résultat d’une combinaison de facteurs personnels et professionnels. Dès lors, comment interroger un collaborateur sur ses difficultés dans leur globalité alors que les entreprises s’interdisent toute ingérence dans la vie privée des salariés ? » souligne Jean-Christophe Sciberras, DRH de Rhodia France. Cette évolution jurisprudentielle préoccupe également Alain Mauriès, DRH du groupe Pochet. « Qu’une entreprise ait une obligation de moyens et qu’elle mette en place des systèmes de prévention, c’est tout à fait normal. Mais elle a beau tout faire dans les règles de l’art, elle ne peut malheureusement empêcher les drames. Aujourd’hui, on demande beaucoup à l’entreprise. Elle devient le bouc émissaire d’une société qui a du mal à trouver ses repères. En ciblant des groupes emblématiques, les juges envoient un message fort à l’entreprise, dernière garante d’une obligation que même l’État n’arrive plus à assumer, si l’on considère le nombre de suicides dans les prisons ou dans la police… »

Il n’empêche, le coût social du stress, entre 800 millions et 1,6 milliard d’euros, selon l’INRS, et les suicides sur le lieu de travail ne plaident pas en faveur des employeurs. Toutes les conditions sont réunies pour que le retour de balancier, impulsé par la Cour de cassation, frappe les entreprises. Autre motif d’inquiétude pour les directions, la montée en puissance de la faute inexcusable signifie également que l’employeur doit mettre la main au porte-monnaie. Reconnue, celle-ci donne en effet droit à une majoration de la rente versée à la victime. « Nous assistons au début de la fin du système de l’indemnisation des accidents du travail, relève Jean Néret, avocat associé du cabinet Jeantet. D’un côté, les victimes n’ont d’autre choix que d’aller devant le Tass pour obtenir de plus fortes indemnités et, de l’autre, les employeurs qui paient leurs cotisations doivent indemniser la totalité du préjudice lorsqu’un malheur survient. Ils sont ainsi tenus de rembourser les sommes avancées par une Sécurité sociale qui cherche à se désengager. C’est la logique d’un système déficitaire. Cela ne pourra pas tenir longtemps. »

Aiguillon puissant. Reste à se prémunir contre les risques. Car, pour l’heure, « beaucoup d’entreprises n’intègrent toujours pas la question des risques psychosociaux, déplore Patrice Adam, maître de conférences en droit privé à Nancy II et spécialiste de la question. Soit elles sont dans le déni, soit, lorsque le risque est identifié, c’est l’inertie qui prend le relais. Les rapports alarmants commandés par les CHSCT restent dans les tiroirs ». L’obligation de sécurité de résultat qui pèse sur les entreprises commence seulement à les pousser à agir. « Les entreprises ont des leviers d’action », renchérit Jean-Christophe Sciberras, qui vient de signer le 1er février un accord de méthode sur l’évaluation et l’analyse des risques psychosociaux avec les syndicats. « Nous allons travailler en deux étapes. D’abord évaluer et analyser les risques puis élaborer des plans d’actions correctrices. Se doter d’un observatoire du stress ne suffit pas. Cela centre les problèmes sur la personne. Chez Renault, au moment des suicides, les courbes de stress étaient à la baisse. Cela rend humble et prudent », conclut cet ancien DRH des centres d’ingénierie du constructeur automobile.

Les entreprises ne peuvent plus se permettre de rester les bras ballants, poursuit Pierre-Yves Verkindt : « Il me semble que si l’employeur prend des mesures, s’il est capable de démontrer qu’il en a pris, la probabilité de se voir condamné diminue fortement. D’où l’importance du document unique. Pour moi, dans l’expression obligation de sécurité de résultat, ce dernier mot renvoie moins au résultat lui-même qu’aux mesures que l’employeur doit prendre. Il va falloir attendre que la chambre sociale donne des signes forts de ce qu’elle entend par résultat. Si cette obligation se révèle d’une extrême exigence, elle pourrait conduire à une démobilisation, les entreprises estimant que, quoi qu’elles fassent, elles seront toujours responsables. » Tout l’inverse du but recherché.

Jean-Paul Teissonnière
“Des pratiques managériales pathogènes”

Pourquoi SUD PTT attaque-t-il France Télécom en justice ?

En général, dans les cas de suicide, les plaintes sont déposées au nom de la famille. Dans les affaires que j’ai pu observer, j’ai souvent noté une faiblesse du relais syndical. Aujourd’hui, le cas est différent. La plainte est déposée par le syndicat SUD. Le prérapport de l’inspectrice du travail nous permet en effet de cibler un certain nombre d’infractions, dont le harcèlement moral, la mise en danger d’autrui, la non-description des risques psychosociaux dans le document unique…

Pourquoi incriminer trois dirigeants ?

Cette plainte vise Didier Lombard, le P-DG, Olivier Barberot, le DRH, et Louis-Pierre Wenes, l’ancien directeur délégué. Elle est nominative parce que nous sommes face à des fautes d’organisation. Ce n’est pas un choix provocateur. Nous avons là un délit qui relève d’un dysfonctionnement au plus haut niveau de l’entreprise et qui a des conséquences dramatiques sur la vie des salariés.

Pourquoi choisir le pénal ?

Un procès au pénal est une procédure de longue haleine. Lorsque je rencontre des victimes ou leurs ayants droit, je commence par rechercher l’indemnisation et m’attache à faire reconnaître l’accident du travail et la faute inexcusable. Nous sommes, avec France Télécom, au niveau des principes. Nous avons affaire à plus d’une trentaine de suicides. Nous abordons ce dossier dans sa globalité. Il nous fallait donc trouver le bon instrument. Au pénal, les sanctions et les amendes sont dérisoires. Mais il s’agit de se donner les moyens. Et de faire reconnaître que des pratiques managériales peuvent être pathogènes.

Auteur

  • Sandrine Foulon