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Politique sociale

Les inspecteurs du travail encaissent les réformes

Politique sociale | publié le : 01.03.2010 | Anne-Cécile Geoffroy

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Les inspecteurs du travail encaissent les réformes

Crédit photo Anne-Cécile Geoffroy

Fusion des corps d’inspection et des structures régionales, personnel non remplacé…, les agents de contrôle sont inquiets pour leur mission.

Savez-vous ce que fait un inspecteur du travail ? » La question peut paraître singulière. D’autant plus qu’il s’agit du slogan choisi pour la campagne nationale de valorisation de l’Inspection du travail, lancée en décembre par la Rue de Grenelle. « Nous souhaitons apporter une meilleure visibilité à l’action des agents, indique Jean Bessière, le directeur adjoint de la Direction générale du travail. Cette campagne est annoncée dans le plan de modernisation et de développement de l’Inspection du travail (PMDIT) depuis 2006. » Et depuis ? Rien, si ce n’est un message via l’intranet du ministère pour informer les principaux intéressés de l’initiative. Pas même une annonce sur le site Internet du ministère. Mais cette campagne survient au moment où le plan de réorganisation territoriale des administrations de l’État signe la fin des directions régionales et départementales du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle (DRTEFP et DDTEFP). Des directions aujourd’hui fondues dans un service unique, la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (Direccte), au grand dam des contrôleurs et inspecteurs du travail, inquiets d’une remise en cause de leur utilité sociale et de leur action dans les entreprises.

Choc des cultures

En Direccte », « Soyons Direccte », « Ligne Direccte »: l’acronyme des nouvelles administrations ne manque pas d’inspirer les titres des newsletters envoyées aux agents pour les tenir informés. Produit de la révision générale des politiques publiques (RGPP), les premières Direccte ont été mises en place en 2009 dans cinq régions (Rhône-Alpes, Aquitaine, Languedoc-Roussillon, Paca et Franche-Comté). Elles concernent depuis janvier l’ensemble du territoire. Concrètement, neuf anciennes administrations (industrie, recherche et environnement, consommation, répression des fraudes, etc.) cohabitent désormais dans une même direction régionale. Une réforme qui arrive dans la foulée d’une autre : la fusion des trois corps d’inspection (travail, agriculture, transports) au sein du ministère du Travail. Demandée depuis plus de trente ans par les agents, elle a été réalisée à marche forcée en quatre mois courant 2009. « Depuis le 1er janvier 2010, nous sommes censés être compétents pour les transports et l’agriculture. Or les formations ont tardé. Je suis aujourd’hui incapable d’effectuer les contrôles. On n’a pas terminé de digérer la fusion des trois inspections qu’on nous demande encore de fusionner », râle un inspecteur du travail.

Un vrai choc culturel pour des agents issus, d’un côté, du ministère du Travail et, de l’autre, du ministère de l’Économie, de l’Industrie et de l’Emploi. « Nous n’avons pas du tout les mêmes logiques de contrôle, explique une inspectrice de l’une des régions tests. Notre Direccte est un ancien de la Drire. Les premiers temps, il s’est ému du fait que nous ne prévenions pas les entreprises avant d’engager un contrôle. » Surtout, l’autonomie des agents et leur indépendance irritent. « On fait cohabiter des logiques de missions différentes, pas forcément toutes contradictoires, souligne Dominique Maréchau, directeur adjoint du travail à Toulouse et secrétaire national Snutef FSU. Les inspecteurs du travail ont un vrai sentiment de régression. Nous avons participé à la construction d’un droit du travail et d’un corps d’inspection indépendants de toute logique économique. Aujourd’hui, nous craignons une remise en cause des règles de droit du travail. » « Il faudrait arrêter de se faire peur, s’agace une directrice départementale du travail. Les stratégies d’action de l’Inspection du travail sont encadrées par la DGT et par les responsables des unités territoriales. » L’inquiétude est alimentée par la mission même des Direccte, au service du développement économique. « Nous ne sommes pas dans une recherche d’accommodement, assure Jean Bessière. L’intérêt économique, c’est à la fois favoriser la concurrence entre les entreprises mais aussi faire appliquer le droit. »

Pour 2009, le ministère du Travail devrait totaliser 300 000 contrôles, deux fois plus qu’en 2006
Charge de travail en hausse

Nous sommes noyés sous la paperasse, raconte Bruno Labatut-Couairon, président du syndicat des inspecteurs du travail CFTC. Il y a quelques années, je passais trois jours par semaine sur le terrain. Aujourd’hui, j’ai du mal à sortir plus d’une journée et demie. » Pourtant, d’ici à fin 2010, 700 recrues auront renforcé les rangs des agents de contrôle du ministère du Travail. C’était l’une des mesures fortes du plan de modernisation engagé en 2006. Promesse tenue, selon Jean Bessière. « Il nous reste à créer 160 postes cette année. En additionnant les agents de contrôle du ministère du Travail, les 500 emplois déjà créés dans le cadre du PMDIT et les inspecteurs venus de l’agriculture, du transport et des affaires maritimes depuis la fusion l’an dernier, nous budgétons aujourd’hui 2 500 emplois, contre 1 400 il y a encore trois ans. » Plus d’une centaine de sections d’inspection ont été créées ces quatre dernières années. « On soutenait ce plan dans la mesure où le ministère créait des postes. Mais les moyens humains et matériels liés à la croissance du nombre de sections n’ont pas suivi », explique Dominique Maréchau. « Nous avons moins de secrétaires pour assurer nos tâches administratives, note une inspectrice. Et ceci en plus de l’accueil du public une demi-journée par semaine. »

La règle du non-remplacement d’un agent sur deux partant à la retraite est venue percuter les effets du plan de modernisation. « Ça fait des années que nous ne recrutons plus d’agents de catégorie C. À Bercy, en deux ans, ils ont obtenu 1 500 postes », assure Pierre Joanny, inspecteur du travail à Lille et secrétaire national de SUD Travail. « Nous aurons moins d’agents de catégorie C, reconnaît Jean Bessière, à la DGT. Nous devons encore trouver des solutions pour aider les agents de contrôle à faire face à l’augmentation de leur charge de travail. » Des solutions que certains directeurs départementaux mettent déjà enœuvre pour éviter les désorganisations. « Nous mutualisons, explique l’un d’entre eux. Deux sections d’inspection se partagent un secrétariat. Cela nous permet de gérer plus facilement les absences des agents. »

La pression par les chiffres

Moderniser l’État, c’est aussi évaluer ses actions. Les agents du ministère du Travail doivent réaliser 200 contrôles par an. « Une norme, un indicateur de référence, pas un objectif ferme », affirme le DG adjoint du travail qui, chaque vendredi, décompte les contrôles réa­lisés. « Les bonnes semaines, nous avons de 6 000 à 7 000 interventions. » Pour 2009, la DGT pense dépasser les 300 000. Un chiffre qui a doublé depuis 2006. Sur le terrain, inspecteurs et contrôleurs vivent les choses différemment. Nadia n’en dormait plus la nuit. « Je me levais à 3 heures du matin pour compléter les dossiers. C’était la seule solution pour continuer à faire correctement mon travail. » Très vite, elle a demandé sa mutation au sein d’un groupe départemental de contrôle, qui vient en appui des sections d’inspection. « Contrôler une entreprise de 350 salariés, c’est trois mois de boulot, tandis qu’une structure de cinq collaborateurs ne dépasse pas la demi-journée. Statistiquement, cela représente, dans les deux cas, un seul contrôle, pointe un autre agent. Du coup, il m’arrive d’organiser, avec les contrôleurs de ma section, des visites ciblées pour atteindre mes objectifs. C’est idiot, ça vide de sens mon travail. Mais je n’ai plus mon directeur sur le dos. » Pour Sylvie Catala, inspectrice du travail à Paris et membre de l’association L. 611-10, « le compte rendu est devenu plus important que la nature des actions menées. La perception du travail bien fait des agents diffère complètement de celle de la hiérarchie. Pour les premiers, mener une procédure à son terme, c’est faire du bon travail. En revanche, ça ne nourrit pas le système d’information construit pour recueillir les chiffres ».

Un Yalta régional entre fonctionnaires du Travail et de l’Économie

Une lutte au couteau ! Le choix des nouveaux directeurs régionaux des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (Direccte) a donné lieu à de vraies tensions entre le ministère du Travail et celui de l’Économie, de l’Industrie et de l’Emploi. Sur le papier, les Direccte dépendent de ces deux ministères. Ces managers ont été nommés le 3 décembre dernier par Christine Lagarde et Xavier Darcos. Au total, treize régions sont aux mains de hauts fonctionnaires issus du ministère du Travail, quand neuf reviennent à ceux du ministère de l’Économie. « Nous représentons le gros des troupes puisque 90 % de l’effectif viennent de nos services », indique Jean Bessière, le directeur adjoint de la Direction générale du travail, pour expliquer cette répartition. Une victoire de la Rue de Grenelle sur Bercy ? Peut-être pas. En région, la nomination de ces superchefs a donné lieu à une valse des directeurs du travail, qui n’ont pas tous pu accéder au prestigieux poste. Écarté du poste de Direccte en Languedoc-Roussillon, Alain Martinon a ainsi préféré prendre sa retraite. « Organiser des cocktails décidés par Bercy, trop peu pour moi, explique un ancien directeur du travail qui, lui aussi, vient de faire valoir ses droits à la retraite. Il ne faut pas se leurrer, c’est le Minefe qui a le pouvoir au sein de ces nouvelles structures. Il a la main sur tous les aspects économiques et les questions d’emploi. »

La montée en charge des Direccte est prévue jusqu’en juillet, comme en Ile-de-France, où les équipes commencent à faire connaissance depuis le mois de février. Car il reste encore à régler des questions très concrètes comme l’unification des règles de RTT, qui, d’un service à l’autre, d’un département à l’autre, sont différentes.

Dans de nombreuses régions, reste aussi à nommer les responsables des trois pôles (« travail », « entreprise, emploi, économie », « commerce, consommation, répression des fraudes, métrologie ») qui constituent ces nouvelles structures. « Nous ne sommes pas encore sortis des luttes intestines qui pourrissent la vie des agents, explique une inspectrice du travail. Car ce sont bien souvent des enjeux statutaires qui font ou pas les nominations. Un ingénieur des Mines pourrait voir de travers l’arrivée d’un directeur d’un autre statut que le sien à un poste de direction similaire. » Des enjeux hors d’âge mais réels. La modernisation de l’État ne se fera pas d’un claquement de doigts !

A.-C. G.

40 % des inspecteurs travaillent en section. On entend par section un inspecteur du travail, deux contrôleurs et deux secrétaires.

60 % travaillent hors section. Ces inspecteurs interviennent sur des sujets comme le contrôle de la formation professionnelle, le contrôle des fonds du Fonds social européen…

26 % des procès-verbaux dressés par les inspecteurs du travail entre 2004 et 2009 ont donné lieu à des sanctions pénales.

Un inspecteur du travail couvre, après effet du plan de modernisation : 7 000 salariés en moyenne.

Source : ministère du Travail.

Auteur

  • Anne-Cécile Geoffroy