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Idées

La sécurité de l’emploi des fonctionnaires est-elle menacée ?

Idées | Débat | publié le : 01.03.2010 |

Les syndicats sont vent debout contre un décret d’application de la loi du 3 août 2009 relative à la mobilité et aux professionnels dans la fonction publique, prévoyant le licenciement d’un agent dont le poste est supprimé et qui refuserait trois propositions d’emploi.

Marcel Pochard Conseiller d’État

La fonction publique serait-elle en passe d’être rattrapée par l’insécurité de l’emploi, lot quotidien de masses de salariés du privé et dont elle avait pu s’abstraire jusque-là ? Cette vision des choses, inspirée par le projet de décret dit de réorientation professionnelle et le spectre du licenciement qu’il laisse poindre, ne correspond pas à la réalité. Pour une première raison, déjà, qui est que ce décret a toutes les chances d’être un de ces textes appelés à rester inappliqués ou à la marge. Il est en effet plus facile de jouer au matamore à l’échelon interministériel, là où l’on fait les textes, que sur le terrain, là où on les applique ; et on risque d’attendre l’administration qui jouera la première le jeu jusqu’au bout. On peut gager que ce ne sera pas Bercy. À quoi bon d’ailleurs chatouiller « la bête » pour des retombées minimales. Pour une seconde raison, ensuite, tenant à ce que parler d’insécurité de l’emploi en ce cas constitue un abus de langage ; la mutation ou la réorientation professionnelle constituent la contrepartie naturelle du statut et de la sécurité de l’emploi, qui y est inhérente. La sécurité n’est pas le gel. D’ailleurs, trêve d’hypocrisie, ce dont souffre la fonction publique, ce n’est pas de mutations imposées inconsidérées (elles interviennent en toute hypothèse sous le contrôle des instances représentatives), mais au contraire de mutations de facilité selon le seul vœu des agents, dans l’ignorance superbe des besoins des services, fussent-ils les plus criants. Avant, donc, pour les pouvoirs publics de se préoccuper de faire les gros yeux aux fonctionnaires qui refuseraient une réorientation professionnelle, ce que nous ne saurions récuser pour autant, et avant, pour les organisations syndicales, de jouer aux vierges effarouchées, il serait bien de commencer par orienter professionnellement un peu plus utilement ceux dont l’emploi n’est pas supprimé. Jusques à quand acceptera-t-on ainsi que les postes les plus difficiles de l’Éducation nationale, dans les zones abusivement qualifiées de prioritaires, soient confiés massivement, année après année, aux débutants, en méconnaissance de la notion même de service public, parce que l’on ne prend pas à bras-le-corps la question de la bonne affectation des enseignants ? La vraie actualité est davantage là que dans une polémique sur l’insécurité. Il ne faudrait pas qu’une belle hardiesse fictive ne cache des inerties autrement réelles et néfastes.

Catherine Vincent Chercheuse à l’Ires

Les conditions d’emploi des fonctionnaires des pays européens sont différentes, allant de statuts de droit public à des relations contractuelles le plus souvent régies par des conventions collectives. Les deux situations peuvent même coexister, comme en Allemagne. Malgré cette diversité, jusqu’aux années 90, tous les États européens ont offert, de fait ou de droit, une garantie d’emploi à leurs fonctionnaires. Depuis, on constate un mouvement de baisse des effectifs des administrations centrales, principalement au travers de transferts vers les collectivités locales ou des agences publiques ou privées, plus rarement avec des licenciements. L’ampleur de ces réductions est variable, l’exemple suédois restant le plus spectaculaire avec un nombre d’agents publics divisé par deux. La France ne fait pas exception : les effectifs des ministères, qui diminuaient de 0,3 % en moyenne annuelle depuis 1996, ont chuté de 3,5 % entre 2006 et 2007.

C’est dans ce contexte qu’intervient le projet de décret sur la réorientation professionnelle des fonctionnaires dont le service est réorganisé ou le poste supprimé. Le texte prévoit un accompagnement protecteur de licenciements non disciplinaires déjà possibles « dans le cadre de dispositions législatives de dégagement des cadres » (loi du 11 janvier 1984) mais restés exceptionnels. Il est tout aussi vrai que la concrétisation de ces dispositifs les fait apparaître, aux yeux des syndicats, comme des outils de futures réductions massives d’effectifs et ne peut que rencontrer leur hostilité.

La question de la mobilité des fonctionnaires s’intègre également dans la mise en œuvre de la RGPP qui, afin d’accroître la performance des services publics, a eu pour conséquence, depuis 2007, des réorganisations importantes. Le gouvernement a choisi de faire bouger simultanément toutes les composantes du statut : réforme de l’évaluation et de la notation, individualisation des salaires, réforme des règles du dialogue social…, sans, hormis sur le dernier point, négociation avec les organisations syndicales. Dans l’exemple suédois, deux choix politiques ont assuré la réussite de la réforme dont le gouvernement français aurait dû s’inspirer : d’une part, la visibilité af­fichée par le gouvernement quant aux objectifs de réduction poursuivis ; d’autre part, la recherche d’un accord avec les syndicats sur l’accompagnement social des licenciements.

Jean-Ludovic Silicani Conseiller d’État

Dans le Livre blanc sur l’avenir de la fonction publiqueremisen avril 2008, j’ai proposé la mise en place d’une « fonction publique de métiers », concept retenu par le gouvernement. Dans ce modèle, le statut est maintenu : il a pour objet de définir les droits, les garanties et les obligations des fonctionnaires. En revanche, conformément au principe de distinction du grade et de l’emploi qui fonde notre fonction publique depuis plus de cinquante ans, les critères de la gestion des ressources humaines des administrations sont les fonctions, les compétences et les qualifications des agents. Le fonctionnaire est « propriétaire » de son grade. L’administration est responsable de la bonne utilisation des emplois en fonction des besoins du service public.

Un très important décret d’avril 2008 a donné un caractère interministériel aux 600 corps de la fonction publique d’État : dans leur intérêt comme dans celui de l’administration, les agents de l’État peuvent être affectés dans toutes les administrations dès lors que l’emploi qu’ils occupent est conforme aux missions de leur grade. L’élément déterminant de la situation d’un fonctionnaire n’est donc plus l’administration qui l’a recruté ou dont il relève mais les missions qu’il exerce, c’est-à-dire son métier. On passe d’une conception administrative et juridique à une conception fonctionnelle et qualitative de la fonction publique. La légalité de ce décret a été récemment validée par la plus haute formation du Conseil d’État, l’Assemblée du contentieux.

Afin de faciliter la réforme des administrations, la loi de 2009 sur la mobilité a créé un mécanisme de réorientation professionnelle. Le projet de décret qui fait actuellement débat se borne à appliquer ce texte, en précisant ses modalités d’application. Conformément au statut général de la fonction publique voté en 1983, le refus réitéré d’un fonctionnaire d’occuper les postes qui lui sont proposés à la suite de la suppression de l’emploi qu’il occupait, dès lors que ces postes correspondent aux missions de son grade et sont compatibles avec sa situation personnelle et familiale, peut conduire à son licenciement. La loi et le décret n’ajouteront rien sur ce point mais ils ont le mérite de préciser les garanties dont disposent les fonctionnaires quand cette procédure est mise en œuvre, ce qui n’était pas le cas jusqu’à maintenant. Ces réformes ne conduisent ni à méconnaître ni, a fortiori, à menacer le régime statutaire de la fonction publique.