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Éditorial

L’arlésienne de la règle des trois tiers

Éditorial | publié le : 01.03.2010 | Jean-Paul Coulange

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L’arlésienne de la règle des trois tiers

Crédit photo Jean-Paul Coulange

Le moins que l’on puisse dire est que le président de la République a de la suite dans les idées. Il vient encore de le prouver en inscrivant d’autorité sur l’agenda des partenaires sociaux l’épineuse question du partage de la valeur ajoutée et en leur donnant trois mois pour conclure un accord sur le sujet, avec, à la clé, la menace d’une intervention législative en cas d’échec. Le scénario est connu et le thème, récurrent. En 2009, Nicolas Sarkozy avait déjà tenté de faire graver dans le marbre sa règle d’or des trois tiers selon laquelle les entreprises vertueuses redistribueraient un tiers de leurs bénéfices aux salariés, un tiers revenant aux actionnaires et la dernière part du gâteau servant à financer les indispensables investissements.

On sait ce qu’il est advenu de l’obligation de négocier intimée aux partenaires sociaux l’année dernière. Refusant d’obéir à l’oukase présidentiel, le Medef a torpillé d’entrée de jeu le sujet. Quant à la mesure de rétorsion promise, projet de loi gouvernemental ou initiative parlementaire, elle n’a pas été mise à exécution. Solution qu’avait d’ailleurs vivement déconseillée les sages du Conseil d’analyse économique, agitant le spectre d’un effondrement des marchés d’actions et d’une flambée du chômage, notamment en raison d’une vague de délocalisations. Dès lors, on ne comprend pas bien pourquoi l’éventualité d’une intervention du législateur revient sur le tapis.

Surtout, tel qu’il a été mis sur la table, le débat sur le partage des fruits de la croissance est biaisé. S’il s’agit de ventiler de façon plus équilibrée les bénéfices, alors le défi est gigantesque. Comme l’a montré Jean-Philippe Cotis, le patron de l’Insee, dans le rapport ad hoc qu’il a remis à l’Élysée en 2009, les entreprises reversent un gros tiers (36 %) de leurs profits sous forme de dividendes. Mais seulement 7 % à leurs salariés, avec la participation et l’intéressement. Tandis qu’elles en réaffectent 57 % aux investissements. Une application aveugle de la règle des trois tiers aboutirait, en somme, à ce que les entreprises arbitrent en faveur de la rémunération différée, au détriment des dépenses d’avenir, ce qui n’est évidemment pas le but recherché. Chez EDF, SUD Énergie a réclamé plus de 8 000 euros par salarié au vu des bénéfices réalisés par le groupe en 2009. Alors que le nouveau P-DG venait d’accorder 4,4 % à ses troupes pour 2010…

La vraie question est ailleurs : le rapport Cotis constate également que, depuis une vingtaine d’années, les entreprises affectent une part stable de leur valeur ajoutée aux salaires, soit environ les deux tiers. Mais que cette manne est de plus en plus inéquitablement répartie entre les mieux et les moins payés. De cela, les partenaires sociaux ne parleront pas. Aux dernières nouvelles, le Medef accepterait de négocier uniquement pour améliorer l’information des institutions représentatives du personnel sur le partage de la valeur ajoutée dans l’entreprise. Sacré progrès !

Auteur

  • Jean-Paul Coulange