logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Dossier

L’avenir incertain de la norme ISO 26000

Dossier | publié le : 01.03.2010 | Sabine Germain

La norme internationale relative à la responsabilité sociétale des organisations devrait être adoptée fin 2010. Mais elle ne sera pas certifiable. On peut douter de sa portée sur les entreprises…

Engagée en 2005, l’élaboration de la norme ISO 26000 devrait – si tout se passe bien – s’achever en novembre. « Cinq ans pour ça ! » soupire Véronique Smée. La rédactrice en chef du site Novethic soulève le principal reproche fait à cette nouvelle norme de responsabilité sociétale des organisations (entreprises, mais aussi associations, collectivités publiques): « Sans audit, sans label ni cer­tification, ISO 26000 relève de la seule démarche volontaire. Or ce système atteint ses limites. On se rend bien compte que les entreprises ne progressent vraiment que sous la pression réglementaire. »

Président de la commission de normalisation ISO 26000, Didier Gauthier a l’habitude de répondre à cette objection : « Oui, cette norme n’est pas certifiable, concède-t-il. Mais elle englobe toutes les autres normes de management qui sont, elles, certifiables : ISO 9000 (qualité), ISO 14000 (environnement), ISO 22000 (sécurité alimentaire), ISO 27000 (sécurité de l’information)… » Quand on l’interroge sur le manque d’envergure d’un tel dispositif, il s’enflamme : « Je pense, au contraire, qu’ISO 26000 est d’une ambition démesurée : cette nouvelle norme devrait nous permettre de contourner par le haut des réglementations envahissantes. » Plus pragmatique, Émilie Brun, chef de projet à l’Afnor, où elle a assuré le secrétariat technique du processus de normalisation, explique : « ISO 26000 est une norme applicable dans le monde entier et dans tous les secteurs d’activité. Il était impossible de trouver un niveau d’exigence homogène entre les pays industrialisés et ceux en voie de développement, l’industrie et les services, les groupes et les PME… » Car l’une des vertus de cette norme est précisément de traduire une vision partagée à l’échelle mondiale de la responsabilité sociétale. Les normes internationales, trop souvent édictées par les seuls pays industrialisés, commencent en effet à être perçues par les pays en développement comme une nouvelle forme d’hégémonisme.

Éclairage pédagogique. Vu de France, on peut ainsi avoir le sentiment que la norme ISO 26000 enfonce des portes ouvertes en réaffirmant les principes de la Déclaration universelle des droits de l’homme et des grandes conventions de l’OIT. « J’estime toutefois qu’elle apporte un éclairage pédagogique sur la diversité des enjeux auxquels les acteurs peuvent être confrontés dans les années qui viennent », note François Fatoux, délégué général de l’Observatoire de la responsabilité sociétale des entreprises (Orse). Volontiers provocateur, Didier Gauthier est convaincu que de nombreuses entreprises « risquent de voir leurs externalisations leur revenir dans la figure »! « Le périmètre de leur responsabilité s’étend en effet à l’ensemble de la chaîne de valeur, sous-traitants, partenaires et clients compris », explique Pierre Mazeau, chef de projet à la direction du développement durable d’EDF et président du groupe de rédaction. La norme ISO 26000 peut servir de radar aux organisations afin d’identifier les problèmes qui pourront être soulevés par la société civile : « Le poids politique pris par certaines ONG et la pression de la rue ne peuvent plus être ignorés par les entreprises », observe Didier Gauthier.

La norme ISO 26000 balaie sept problématiques : la gouvernance, les droits de l’homme, les conditions et relations de travail, l’environnement, l’éthique et les bonnes pratiques des affaires, les questions relatives aux consommateurs et, enfin, l’engagement sociétal. « Elle définit également sept principes de gouvernance, détaille Pierre Mazeau : redevabilité, transparence, comportement éthique, respect des intérêts des parties prenantes, respect de la loi, des normes internationales de comportement et des droits de l’homme. » L’intitulé même de ces principes fait apparaître l’un des écueils majeurs rencontrés par la délégation française : la difficulté à traduire des terminologies anglaises issues d’une représentation très anglo-saxonne de la responsabilité sociétale, où la philanthropie et les relations avec les parties prenantes ont une place prépondérante. Autre obstacle : le lobbying intensif, mené principalement par la Chine et les États-Unis, pour réduire la portée de cette norme. Ils ont ainsi voté contre la première version du texte, en 2008. Ce qui ne l’a pas empêché d’être adoptée, en vertu d’une règle propre à l’ISO, « un pays, une voix ». « Si la Chine fait traîner les choses, c’est parce qu’elle est consciente de son retard sur les pays occidentaux, bien sûr. Mais aussi parce qu’elle veut se mettre en marche pour appliquer ISO 26000, observe Émilie Brun. Ce qui montre bien quelle importance elle accorde à cette norme, sur laquelle elle compte pour sécuriser les débouchés de ses entreprises et redorer leur image. »

Il faut croire que les entreprises françaises font le même raisonnement : une soixantaine de DRH ont assisté à la réunion d’information sur le sujet organisée par l’ANDRH d’Ile-de-France en février. Car les directions ont une carte à jouer pour trouver un équilibre entre l’économique, le social, l’environnement et le sociétal : « Les DRH ont laissé le développement durable leur échapper, note Laurence Breton-Kueny, DRH de l’Afnor. S’emparer de la norme ISO 26000 peut nous aider à nous positionner sur des sujets plus stratégiques… et à ne pas être cantonnés dans l’édition de chiffres et de statistiques. » Même si, admet Didier Gauthier, la période n’est guère propice : « C’est vrai, à l’heure actuelle, la gestion de la crise reste la priorité absolue des entreprises. Mais la nature de cette crise replace justement la responsabilité sociétale des entreprises sur le devant de la scène. » Pour que la mayonnaise de l’ISO 26000 prenne, trois conditions devront tout de même être réunies : un véritable engagement des directions générales, la mise en place d’indicateurs de performance et la valorisation des réussites. Des états généraux de la RSE seront ainsi organisés le 7 décembre 2010.

Émilie Brun fait confiance aux sociétés pour s’approprier ce qu’elle considère comme une norme de cadrage : « Certaines entreprises vont avoir envie d’aller plus loin. Elles pourront mutualiser leur démarche au niveau de leur branche, par exemple pour élaborer une norme certifiante. » Ce sera sans doute nécessaire. Notamment si ce que les observateurs redoutent se produit : un écart vraiment trop important entre les déclarations des entreprises et la réalité de leur action. Ce sera le véritable indicateur de pertinence de la norme ISO 26000…

Naissance d’une norme

2001 : à la demande du Copolco (le groupe représentant les associations de consommateurs), l’ISO étudie la faisabilité d’une norme de responsabilité sociétale des entreprises.

2005 : à l’issue de la conférence de Stockholm, 92 pays créent des groupes de travail (entreprises, États, syndicats, ONG, consommateurs…) pour élaborer cette norme.

2010 : vote sur le Final Draft International Standard (FDIS). S’il est positif, ISO 26000 entre en vigueur.

Gros plan sur la délégation française

Dès 2005, l’ISO a confié la direction de la commission de normalisation française à l’Afnor. La délégation française est constituée d’une centaine de membres représentant les six parties devant obligatoirement être impliquées dans les négociations dans chacun des pays. Didier Gauthier, du Medef (photo ci-dessus), représente l’industrie et préside la commission. Pierre Mazeau (chef de projet à la direction du développement durable d’EDF) préside le groupe de rédaction de la norme. Le groupe des consommateurs est animé par Priscilla Crubézy (Léo Lagrange), celui des syndicats par ThierryDedieu (CFDT), celui des institutions gouvernementales par Dominique Saitta (Cram Aquitaine), celui des ONG par des représentants de France Nature Environnement et les « divers » par Michel Capron (université Paris VII).

* L’ISO a signé un accord avec l’OIT donnant un quasi-droit de veto à l’Organisation internationale du travail et garantissant que la norme ISO 26000 respectera toutes ses conventions internationales.

Auteur

  • Sabine Germain