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Vie des entreprises

Un nouveau droit du travail à temps partiel

Vie des entreprises | CHRONIQUE JURIDIQUE | publié le : 01.04.2000 | Gérard Couturier

La loi Aubry II introduit une véritable réforme du droit du travail à temps partiel. L'optique du législateur est désormais moins de favoriser son développement pour dynamiser l'emploi que de « rééquilibrer » son régime juridique pour permettre au salarié de mieux le concilier avec l'organisation de sa vie personnelle.

Dans la loi Aubry II du 19 janvier 2000, plusieurs réformes significatives sont juxtaposées. Celle du régime du travail à temps partiel était prévisible. La directive européenne du 15 décembre 1997 portait en elle l'exigence d'une mise en conformité du droit français. À la définition restrictive de l'article L. 212-4-2 du Code du travail impliquant une différence d'au moins un cinquième entre le temps plein et un temps partiel digne de ce nom, elle imposait de substituer une définition simple au regard de laquelle est salarié à temps partiel tout salarié dont l'horaire de travail est inférieur à un horaire à temps plein.

Plus fondamentalement, une politique de réduction du temps de travail par l'abaissement de la durée légale du travail implique qu'on s'interroge sur la pratique du temps partiel qui pourrait être une échappatoire trop commode mettant à l'abri de l'incidence des nouvelles règles.

Dans la première loi sur les 35 heures, il s'agissait de « moraliser le recours au travail à temps partiel en faisant obstacle à certaines pratiques particulièrement perturbatrices pour la vie des salariés ». L'apport plus consistant de la seconde loi vise à « rééquilibrer » le régime du travail à temps partiel. De quel équilibre s'agit-il ? Depuis qu'il y a un droit du travail à temps partiel, ses règles s'organisent autour de deux pôles : d'un côté, celles qui visent à ouvrir aux salariés le choix du temps partiel le plus largement et dans les meilleures conditions possibles ; de l'autre, celles qui visent le développement du travail à temps partiel dans une optique de politique de l'emploi – de « partage du travail » – pour favoriser des embauches ou éviter des licenciements. Entre ces deux ordres de préoccupation, le point d'équilibre visé par la loi Aubry II n'est pas un point médian. Dans le nouveau droit du travail à temps partiel, la part du droit de l'emploi est délibérément réduite.

1° La régression des mesures favorisant l'emploi à temps partiel

Le législateur paraît avoir fait un choix : « Le recours au temps partiel n'est plus un instrument de la politique de l'emploi. » (Voir Fr. Favennec-Héry, Dr. soc. 1999, p. 1004.) De ce choix, on citera deux illustrations.

• Abandon de la politique d'incitation

La loi du 31 décembre 1992 ayant mis en place un abattement des charges sociales patronales pour toute embauche à temps partiel, il en a résulté une multiplication spectaculaire des emplois à temps partiel. À la suite d'un amendement parlementaire, la loi du 19 janvier 2000 met fin à ce puissant procédé d'incitation. La mesure a été présentée par Mme Aubry comme opérant une sorte de passage de relais de l'abattement lié au temps partiel à la baisse des charges liée à la réduction de la durée du travail (JO, déb. Ass. nat. 1999, p. 7394).

De la même mesure, la circulaire du 3 mars 2000 (fiche n° 44) indique qu'elle vise à « rééquilibrer les incitations en faveur du travail à temps partiel, trop importantes aujourd'hui et de nature à favoriser le temps partiel subi ». Il s'agirait donc de tenir la balance entre le temps partiel choisi et le temps partiel subi, et de le faire pencher dans le premier sens. La ministre de l'Emploi observait devant les députés que « les pays où le travail à temps partiel est aujourd'hui le plus développé sont des pays qui ont réussi à en faire un véritable travail à temps choisi, non précarisé, sans que l'on ait été obligé d'accorder des avantages complémentaires aux entreprises ».

• Encadrement de la flexibilité

Dans ce même débat, Mme Aubry avait clairement exprimé ses intentions : « S'agissant du travail à temps partiel…, plus il est sûr, plus il est garanti par l'entreprise, moins nous avons besoin d'apporter de contreparties ; plus il est flexible, plus il est précarisant, plus nous protégeons le salarié et plus nous avons besoin d'apporter des contreparties. » (JO, déb. Ass. nat. 1999, p. 7394.) C'est que le développement du temps partiel tient aussi à ce qu'il est un instrument de gestion de l'emploi dont la souplesse implique pour les salariés des inconvénients réels. La loi doit donc leur garantir, au moins, des contreparties significatives.

Ce schéma s'observe effectivement dans quelques-unes des nouvelles règles : quand une convention ou un accord collectif abrège le délai dans lequel l'employeur peut annoncer la modification de la répartition de la durée du travail ou quand il porte jusqu'au tiers de la durée stipulée au contrat la limite dans laquelle peuvent être effectuées des heures complémentaires (C. trav., art. L. 212-4-4 nouveau), des contreparties doivent être prévues. L'encadrement conventionnel indispensable se double donc d'une exigence légale de contrepartie.

Dans d'autres situations, en revanche, si la conclusion d'une convention ou d'un accord collectif est indispensable, l'exigence de contrepartie n'est pas explicite. Il en est ainsi pour le temps partiel modulé du nouvel article L. 212-4-6. Mais il faut surtout évoquer ici la réapparition du régime du travail intermittent. L'intermittence correspond à la situation de ceux qui travaillent à la demande, en fonction de besoins (pointes d'activité, travaux saisonniers) plus ou moins prévisibles. L'ordonnance du 11 août 1986 avait prévu une formule de contrat présentant la stabilité du contrat à durée indéterminée et utilisable seulement lorsqu'un accord collectif de branche ou d'entreprise l'autorisait. La loi du 20 décembre 1993 avait tout changé en découvrant qu'au fond le travail intermittent n'était rien d'autre qu'un travail à temps partiel dans le cadre de l'année auquel le régime du temps partiel était en général applicable. Les aides au travail à temps partiel étaient ainsi étendues au travail intermittent, en dépit de la situation très incertaine où il place le plus souvent les salariés. La loi Aubry II met un terme à cette anomalie. Elle rétablit pour l'essentiel le régime de l'ordonnance de 1986. Le contrat de travail intermittent implique à nouveau un encadrement conventionnel précis : un accord collectif dérogatoire répondant à toutes les exigences du nouvel article L. 212-4-13. Mais le contrat de travail intermittent doit-il encore être considéré, pour le reste, comme un contrat de travail à temps partiel ?

2° Les valeurs garanties par le régime du travail à temps partiel

Il est certain que les nouvelles règles vont dans le sens d'un temps partiel qui serait de plus en plus conforme au choix du salarié. Mais la liberté n'est pas tout ; on peut aussi marquer la place de l'égalité de traitement dont doivent bénéficier les salariés à temps partiel et observer les préoccupations relatives à la vie personnelle de chacun qui transparaissent dans le nouveau régime du temps partiel.

• Liberté de choix

Depuis longtemps les textes présentent le temps partiel comme une variété de « temps choisi ». Ce rattachement impliquerait que soit effectivement ouvert au salarié qui le souhaite l'accès au temps partiel choisi. Depuis la loi du 3 janvier 1991, on s'en remettait à cet égard aux dispositions d'accords ou de conventions de branche étendus. Le nouvel article L. 212-4-9 résultant de la loi du 19 janvier 2000 donne au « droit au temps partiel » plus de consistance. Les conditions de la mise en place d'horaires à temps partiel sur la demande des salariés restent fixées, en principe, par une convention ou un accord de branche ou d'entreprise. Mais, à défaut, le salarié peut aussi demander à occuper un emploi à temps partiel et c'est la loi qui précise alors elle-même les conditions de délai de cette démarche et surtout les motifs seuls susceptibles de justifier un refus : l'absence d'emploi disponible dans la catégorie professionnelle du salarié et d'emploi équivalent ou les conséquences préjudiciables à la production et à la bonne marche de l'entreprise qu'aurait le changement d'emploi demandé (ces conséquences doivent être démontrées).

La liberté du salarié au regard du passage à temps partiel se trouve aussi confortée par le nouveau régime de réduction de la durée du travail destinée à répondre aux besoins de la vie familiale (C. trav., art. L. 212-4-7 nouveau). À ce titre, le salarié « peut bénéficier » d'une ou plusieurs périodes d'au moins une semaine. Cet aménagement du temps de travail sur l'année ne nécessite pas d'accord collectif, mais s'agit-il vraiment de temps partiel ? Et s'agit-il d'un droit véritable ?

• Égalité de traitement

Le principe selon lequel les salariés à temps partiel bénéficient des mêmes droits que les salariés à temps complet n'est pas nouveau. Les textes européens font état d'un principe de non-discrimination et de l'application de principe du prorata temporis. Si elle n'avait pas à le réaffirmer, la nouvelle loi a sans doute été une nouvelle occasion d'observer les difficultés d'application de ce principe d'égalité de traitement. On a, notamment, pu discuter la règle prévoyant, en matière de compensation salariale, que « lorsque en application des clauses d'une convention ou d'un accord les salariés ayant réduit leur temps de travail perçoivent un complément destiné à assurer le maintien total ou partiel de leur rémunération, ce complément n'est pas pris en compte pour déterminer la rémunération des salariés à temps partiel dont la durée du travail n'a pas été réduite ou des salariés à temps partiel embauchés postérieurement à la réduction du temps de travail » (article 32, VI de la loi). Le raisonnement que suivait naguère la jurisprudence sur ce point conduisait à une solution plus favorable aux salariés à temps partiel (Cass. soc., 27 novembre 1986, Bull. civ. V n° 565, p. 428 et Cass. soc., 19 novembre 1987, Dr. soc., 1988, p. 447).

• Préservation de la vie personnelle

Depuis la loi Aubry I, le législateur se donne pour objectif de restreindre ce que la pratique du travail à temps partiel peut avoir de perturbateur pour la vie du salarié. Dans les dispositions de la loi Aubry II, on a déjà vu se manifester la préoccupation de l'organisation de la vie personnelle et des besoins de la vie familiale.

Le formalisme exceptionnellement minutieux qui caractérise le contrat de travail à temps partiel et que la dernière loi accentue encore doit permettre au salarié d'organiser sa vie personnelle sur des bases sûres. C'est le contrat qui prévoit explicitement la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois et qui définit les cas dans lesquels cette répartition peut être modifiée et la nature des modifications permises, à condition d'avoir été notifiées au moins sept jours à l'avance. Ainsi le salarié est-il à l'abri de changements inopinés. Il peut, d'ailleurs, refuser sans faute les modifications autorisées par le contrat lorsqu'elles ne seraient pas compatibles avec des obligations familiales impérieuses, avec le suivi d'un enseignement scolaire ou supérieur, avec une période d'activité fixée chez un autre employeur ou avec une activité professionnelle non salariée.

Pour concilier travail à temps partiel et vie personnelle, les règles légales, depuis 1998, s'opposent aux horaires de travail d'une amplitude excessive en raison de multiples interruptions d'activité ou d'une interruption supérieure à deux heures, sauf accord collectif étendu (C. trav., art. L. 212-4-4). C'est également l'effet perturbateur sur la vie du salarié des heures complémentaires excessives ou non prévues qui explique les garanties prévues par les dispositions finales du nouvel article L. 212-4-3.

La lutte contre le chômage avait conduit à doter le travail à temps partiel d'un régime de faveur, en dépit des risques qui s'y attachent : dans la France d'aujourd'hui, ceux que la pauvreté menace et ceux dont la vie est rendue difficile par de mauvaises conditions de travail sont souvent des salariés à temps partiel. Maintenant que l'on ne compte plus guère sur le temps partiel pour opérer le partage du travail, le nouveau droit du travail à temps partiel s'oriente décidément vers l'ordre public de protection.

Auteur

  • Gérard Couturier