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Enquête

LE SOCIALEMENT CORRECT GAGNE L'ENTREPRISE

Enquête | publié le : 01.04.2000 | Sabine Syfuss-Arnaud, Jacques Trentesaux

Dans les années 80, l'entreprise n'était célébrée que pour sa réussite économique. La crise et l'envolée du chômage étant passées par là, le nouveau credo, c'est la performance sociale. C'est désormais sur ce terrain que l'entreprise fait la différence. Auprès des salariés, des clients, et même des investisseurs.

Des cadeaux comme s'il en pleuvait. Rien n'est trop beau désormais pour les salariés. Ceux d'Ikea se sont partagé le chiffre d'affaires, réalisé le samedi 9 octobre 1999 par le groupe suédois. Les 350 000 employés américains du constructeur Ford ont récemment reçu un ordinateur personnel. Les français Vivendi et Alcatel ont donné une stock-option à l'ensemble de leur personnel dans le monde. Mais la palme de l'originalité revient au distributeur Géant-Casino qui, pour marquer son changement de logo, a offert au début du mois de mars un hectare de… lune à chacun de ses 22 000 salariés. « Un cadeau porteur de rêve et d'émotion », précise la direction de la chaîne d'hypermarchés. Sur le thème du « plus social que moi, tu meurs », les entreprises rivalisent d'imagination. Mais choyer leurs salariés n'est pas l'unique préoccupation, loin s'en faut. Elles s'investissent aussi dans des causes humanitaires ou sociales, créent des fondations pour favoriser l'insertion des exclus et se soucient même des conditions de travail chez leurs lointains sous-traitants.

Davantage qu'une mode, cette vague déferle sur la France depuis environ deux ans, venue en droite ligne des États-Unis. Cela fait plusieurs décennies que l'Amérique obéit à la loi du « socialement responsable ».Un concept que la filiale française de Ford a cru devoir traduire par… corporate citizenship. En clair, l'entreprise se doit d'être socialement correcte. Outre-Atlantique, les entreprises ont découvert que les consommateurs sont de plus en plus attentifs à la façon dont sont fabriqués les produits qu'ils achètent. Malheur aux marques d'articles de sport qui font travailler des enfants dans leurs usines asiatiques. Par ricochet, actionnaires et investisseurs privilégient les sociétés rentables et irréprochables. Cette double sanction contraint les managers à jouer la transparence dans ce domaine. D'où la multiplication des labels, des chartes, des normes et des codes sociaux. Et l'apparition d'un véritable business pour auditer, évaluer et noter les entreprises.

Marier business et solidarité

Ce mouvement de moralisation de la vie des affaires s'est d'autant plus facilement exporté en France que les entreprises avaient bien besoin de réhabiliter leur image de marque. Dans l'Hexagone, la décennie écoulée a été marquée à la fois par une grave crise économique, avec son cortège de restructurations sanglantes, et par la multiplication d'affaires politico-financières. Pour se réconcilier avec les salariés, les consommateurs et l'opinion publique, rien de tel qu'une bonne cure éthique.

Jusqu'à présent, les patrons n'avaient jamais beaucoup donné dans l'action sociale. Sauf quelques francs-tireurs qui se faisaient un devoir moral de marier business et solidarité. C'est le cas de Gérard Mulliez, le fondateur du groupe Auchan. Ou encore de Philippe Francès, l'ancien P-DG de Darty, dont le groupe d'électroménager soutient depuis quinze ans une entreprise d'insertion, Envie, qui récupère et valorise les appareils usagers.

Aujourd'hui, plus question de mener de tels combats dans la discrétion. Ces démarches « citoyennes » relèvent désormais du marketing social, l'important consistant autant à faire qu'à faire savoir, à coups d'étiquettes, d'affiches et de campagnes d'information. Les grands communicants que sont les jeunes dirigeants de la génération de Jean-Marie Messier ou Franck Riboud l'ont parfaitement compris. Mais gare à la cacophonie et au double langage ! Le grand écart entre un discours généreux et une gestion des ressources humaines indigente peut être suicidaire pour l'entreprise.

Auteur

  • Sabine Syfuss-Arnaud, Jacques Trentesaux