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Un référentiel pour tous

Dossier | publié le : 01.04.2000 | V. L.

Pas de logique de compétences sans grille de lecture commune. Et pas de grille sans observation fine du terrain et implication des salariés. Au risque, sinon, de construire un édifice bancal qui suscite la méfiance.

Un véritable travail de fourmi ! Il a fallu deux ans pour définir les 180 types d'emplois occupés par les 30 000 salariés du Crédit lyonnais et les décrire dans un répertoire des métiers, répondant au nom savant de référentiel de compétences. Trois années ont été nécessaires pour détailler les 700 fonctions que remplissent les 3 200 collaborateurs de l'électricien Legrand. Mais pas question de se tromper, car la logique de compétences et la gestion des hommes qui en découle reposent entièrement sur ces grilles de lecture. Selon une enquête du cabinet Aon Consulting menée auprès de 184 entreprises, dont 55 % comptant plus de 500 salariés, les référentiels de compétences sont d'abord utilisés comme supports pour la formation et le développement (56 %). Ensuite pour piloter la gestion prévisionnelle de l'emploi (51 %), accompagner la gestion des performances (43 %), concevoir les systèmes de promotion et de mutation (42 %), élaborer le système de sélection (33 %) et guider les décisions liées à la rémunération (29 %).

Dans cette démarche, chaque entreprise concocte les outils de GRH correspondant à ses activités et à ses objectifs. « Ils révèlent son combat, sa stratégie », souligne Nadine Jolis, DRH d'un établissement bancaire et auteur de la Compétence au cœur du succès de votre entreprise (Éditions d'Organisation, 1999). Cette phase de construction d'un référentiel de compétences se déroule généralement en plusieurs étapes. La première consiste à identifier les métiers. « Un métier peut recouvrir plusieurs postes, qui peuvent être exercés au sein de structures fonctionnelles différentes, sur des sites éloignés, mais également selon des niveaux d'exercices différents », explique Nadine Jolis. Chez DHL, le spécialiste du transport express, les 2 100 salariés français correspondent à dix familles professionnelles, dotées d'un référentiel particulier. La famille commerciale est, par exemple, divisée en trois métiers : le sédentaire (les attachés commerciaux qui répondent aux besoins des clients occasionnels), le terrain (les attachés commerciaux et grands comptes qui travaillent pour des clients réguliers) et le stratégique (les key accounte managers et global accounte managers, en langage DHL, qui interviennent au niveau national, voire international, et signent, par exemple, les accords-cadres annuels avec les grandes entreprises).

Un référentiel trop détaillé est peu applicable

La phase suivante est plus complexe. Il s'agit de la définition des compétences requises pour chaque métier. Avec, souvent, des niveaux d'exigence différents. DHL, à l'instar du Crédit lyonnais, a défini quatre degrés. « Le niveau le plus élevé n'est pas forcément demandé, précise Jean-Marie Langlois, responsable du développement des compétences au Crédit lyonnais. Cela dépend du métier exercé. D'après le référentiel, je dois par exemple savoir utiliser l'environnement logiciel, mais le niveau 2 (“Utiliser les fonctionnalités courantes du logiciel”) est suffisant. Je n'ai pas besoin d'en savoir plus. »

Pour élaborer leurs référentiels de compétences, les entreprises n'ont qu'à piocher dans la multitude de méthodologies proposées par les sociétés de conseil. Mais, en cherchant à être trop précises, certaines deviennent de véritables usines à gaz. « Le référentiel que nous avons réalisé pour nos commerciaux fonctionne mal, parce qu'il est trop détaillé, explique Jean-Marie Bonnet, responsable de la formation de Legrand. Nous devons décrire des actions génériques et pas des tâches. » À l'inverse, un choix de compétences trop large rend un référentiel peu applicable. DHL a défini quatre champs de compétences précises : le savoir être, commun à l'ensemble des salariés (sens du client, maîtrise de soi, sens des résultats… dix compétences en tout), le savoir-faire (décliné en cinq ou six domaines selon les métiers), les connaissances techniques et la maîtrise d'outils. Les laboratoires Pasteur Mérieux MSD du groupe Aventis ont choisi, en revanche, un cadre plus lâche, en laissant aux managers et aux salariés le soin d'identifier une quinzaine de critères liés à leur métier.

Quelle que soit la formule choisie, un référentiel doit être déchiffrable par les salariés. « On ne peut pas construire de référentiels en chambre », prévient Jean-Marie Langlois. Pragmatiques, les entreprises font souvent appel aux salariés – experts des métiers et encadrement – pour définir les compétences requises. « Je vais chercher l'expertise là où elle est », explique Muriel Gervais, chargée de la gestion des compétences chez DHL. Au Crédit lyonnais, une équipe de la DRH a interviewé des salariés dans chaque catégorie de métiers. Elle a ensuite bâti un répertoire de compétences lisible et compréhensible par tous. « Puis ce travail a été validé par la hiérarchie de chaque ligne de métier, précise Jean-Marie Langlois. Le résultat est un compromis entre les pratiques de terrain et les évolutions prévisibles de chaque métier. »

La crainte de jugements subjectifs

La définition de compétences techniques ou de savoir-faire ne pose pas de problème majeur. En revanche, la notion de savoir être, qui apparaît dans ces nouvelles grilles, suscite davantage d'inquiétude. « Le savoir être renvoie à la personnalité de l'individu, et non à sa façon de travailler », analyse Yves Lichtenberger, professeur de sociologie à l'université de Marne-la-Vallée. D'où la crainte de jugements subjectifs. « Les salariés sont très méfiants, reconnaît un responsable d'établissement d'un grand groupe industriel. Ils se demandent à quoi tout cela va servir, si ce n'est pas une façon de les pousser plus ou moins en douceur vers la sortie. » Certaines entreprises contournent l'obstacle en traduisant les qualités demandées en actions concrètes. « Chez 3M, indique Yves Lichtenberger, plutôt que de “savoir animer”, l'entreprise préfère parler de méthodes : être capable d'organiser de façon chronologique une série de décisions, par exemple. »

Si les entreprises cherchent à consulter le terrain, c'est pour que les salariés s'approprient les référentiels. Managers en tête, puisque le répertoire des métiers et des compétences sert de base pour les évaluations. Comme ils sont souvent chargés d'expliquer à leurs collaborateurs les vertus de la méthode, il vaut mieux qu'ils soient convaincus du bien-fondé de la démarche. Sinon, le meilleur référentiel ne servira à rien. Thierry Fallard, directeur d'une agence DHL à Strasbourg, fait partie des convertis : « Les référentiels ont été élaborés en partie par des salariés qui pratiquent le même métier. Ils contiennent donc des éléments concrets qui correspondent bien au travail quotidien. Le salarié, qu'il soit chauffeur-livreur ou manager, peut s'autoévaluer à partir d'exemples précis. Et je pars de la même base pour l'évaluer. C'est clair, transparent, et ça évite tout malentendu. » Alain Galmiche, responsable de production chez Legrand, est plus nuancé : « C'est un bon outil, mais à manier avec précaution. C'est un modèle élaboré à un moment donné, qui ne suffit pas pour connaître tout le potentiel des salariés. » S'il a le mérite de fixer un cadre unique, le référentiel de compétences reste un outil de gestion des ressources humaines très dépendant de la façon dont il est utilisé.

Auteur

  • V. L.