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Les limites de l'individualisation

Dossier | publié le : 01.04.2000 | J.-Ph. D.

En associant acquisition de compétences et hausse de salaire, les entreprises jouent la carte de l'individualisation des rémunérations. Non sans succès. Mais elles ne mesurent pas toujours les inconvénients de la méthode.

Développer ses compétences, d'accord. Mais à condition d'être récompensé de ses efforts. Réalistes, les salariés pensent d'abord à leur porte-monnaie. « Depuis que nous avons décidé de mettre en place, à la fin de l'année, un référentiel des métiers, les salariés nous poussent à la roue pour le lier à terme aux rémunérations », témoigne Anne Roustan, responsable du personnel du fabricant de dialyseurs Smad (225 salariés, 120 millions de francs de chiffre d'affaires). Cette revendication est plutôt bien accueillie par les entreprises, car elle leur permet de faire passer en douceur l'un de leurs objectifs : l'individualisation des salaires. D'après une récente étude d'Arthur Andersen Management, 60 % des sociétés qui ont élaboré un référentiel tentent simultanément de mettre en relation leur système d'évaluation et leur politique salariale. Poussée à son terme, la démarche de compétences revient, ni plus ni moins, à supprimer la grille de qualifications et la rémunération à l'ancienneté.

Textiles et Plastiques Chomarat (TPC), une PME de 450 salariés spécialisée dans le revêtement de fauteuils de voitures, est passée à l'acte. « Pour rester compétitifs, nous sommes contraints de renouveler sans cesse nos machines, explique Didier Reboulet, le responsable des ressources humaines. Et, compte tenu de la forte fluctuation de la demande, nos opérateurs doivent être polyvalents. Ils sont amenés à réactualiser constamment leurs savoir-faire. » Depuis six ans, l'équipementier – qui investit chaque année 6 à 10 % de sa masse salariale dans la formation – propose un marché à son personnel. À chacun des 150 métiers de production décrits dans le référentiel sont attribués cinq niveaux de compétences. Lorsqu'un opérateur franchit un niveau supérieur grâce à une formation, son salaire est augmenté de 7 %. Résultat : excepté 20 % d'« irréductibles », la plupart des tricoteurs, bonnetiers et autres teinturiers sont retournés sur les bancs de l'école. Les syndicats ont très vite mesuré l'intérêt financier de l'opération. Chez RCO Venizel, une filiale du groupe d'emballage La Rochette qui a adopté un dispositif analogue à celui de TPC, le bilan est largement positif. « Sur 187 opérateurs, 150 ont déjà bénéficié d'une augmentation brute mensuelle de 200 à 1 000 francs, explique Christian Gard, représentant CGT. Par le biais des seules négociations collectives, jamais nous n'aurions atteint un tel résultat. » Comme ses collègues de la CFTC et de la CFE-CGC, il n'a pas hésité à parapher l'accord d'entreprise. Ce qui n'a pas été du goût de sa centrale. « Je me suis fait taper sur les doigts. On m'a dit que j'encourageais l'individualisation des salaires. J'ai répondu qu'il était normal de récompenser chacun en fonction de ses mérites. »

Mais si la rémunération par les compétences s'avère le plus souvent payante pour les salariés, les entreprises n'y trouvent pas forcément leur compte. La mobilité peut paradoxalement s'en trouver freinée. « Si le salarié se voit proposer un poste pour lequel les écarts financiers entre les niveaux de compétences sont moins intéressants que dans sa fonction actuelle, il sera tenté de refuser la promotion », constate Jean-Marc Révéreau, P-DG du cabinet expert en rémunérations JMR Consulting. Autre risque : les salariés qui atteignent les derniers niveaux de compétences dans leur métier se démotivent. « En vérité, pour que le système continue de fonctionner, il faudrait constamment ajouter, à chaque poste, des compétences supplémentaires, et donc des niveaux de rémunération supplémentaires », souligne Christian Gard, à RCO.

Un bond de 17 % des rémunérations en cinq ans

Ce que redoutent le plus les entreprises est une inflation de la masse salariale. « En rémunérant à la compétence, on encourage la course au savoir et, du coup, le renchérissement des salaires », note Pierre Le Gunehec, responsable de l'activité conseil en rémunérations de Hewitt Associate. « À partir du moment où une entreprise fait correspondre salaires et niveaux de compétences, remarque Didier Reboulet, de TPC, elle est condamnée à développer son chiffre d'affaires. » Le problème est que compétence ne rime pas forcément avec performance. Une chaîne d'hôtels de luxe l'a appris à ses dépens. Pour améliorer la qualité de son service, le groupe augmentait ses salariés à chaque obtention d'une nouvelle compétence. Résultat, le personnel s'est rué vers les stages et les rémunérations ont fait un bond de 17 % en cinq ans. Or, avec le contrecoup de la guerre du Golfe, le taux d'occupation des chambres n'a cessé de baisser durant la même période. La direction a décidé de supprimer le dispositif. L'histoire s'est soldée par une grève de plusieurs mois et la confiance des salariés a été sérieusement ébranlée.

Pour Jean-Marc Révéreau, la rémunération par les compétences n'est, de toute manière, pas viable en l'état. « Les entreprises sont obligées de comprimer au maximum leurs coûts. Attribuer des augmentations à l'infini est tout bonnement suicidaire. » Pierre Le Gunehec, de Hewitt, juge, lui, que le problème est mal posé. « Au lieu de payer les moyens, les entreprises auraient plutôt intérêt à payer les résultats », estime-t-il. En clair : ce n'est pas le niveau de compétences qu'il faut rémunérer mais le niveau de performance. Au sein de la société de réassurance Scor, si un référentiel de métiers est utilisé pour pointer les besoins en formation et les possibles évolutions de carrière des 600 salariés, les augmentations individuelles sont attribuées uniquement en fonction de la réalisation des objectifs annuels de chacun. Un système qui a ses limites : une secrétaire s'est ainsi vu assigner comme objectif de baisser de 2 % son taux de fautes d'orthographe…

Auteur

  • J.-Ph. D.