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Vie des entreprises

Plus belle la vie de château à Versailles qu’à Chambord

Vie des entreprises | Match | publié le : 01.02.2010 | Sarah Delattre

Si le château du Roi-Soleil risque d’être affecté par la baisse des effectifs fonctionnaires, la perle de la Renaissance doit achever sa mutation vers un cadre de droit privé. Sans trop déstabiliser les salariés.

Bon sang ne saurait mentir. Igor Bogdanoff, l’un des deux célèbres jumeaux de Temps X, et Amélie de Bourbon-Parme se sont mariés en grande pompe en octobre dernier au château de Chambord, sur les bords de Loire. Pour la perle de la Renaissance construite sous François Ier, la location d’espaces représente à peine 4 % de son chiffre d’affaires. Une misère, comparé aux 20,5 millions d’euros tirés du mécénat et des réceptions grandioses données au château de Versailles. Depuis sa transformation en établissement public à caractère industriel et commercial en 2005, Chambord est dirigé par Philippe Martel. Un ancien apparatchik du RPR nommé sous Jacques Chirac. Emmanuelle Mignon, ancienne directrice de cabinet à l’Élysée, y préside le conseil d’administration, où siège aussi un autre familier des allées du pouvoir, Pierre Charon. Entouré d’une luxuriante forêt, le château de Sologne emploie 126 permanents dont 73 de droit privé et accueille 1,7 million de visiteurs. Presque trois fois moins que le monumental palais du Roi-Soleil. Succédant à Christine Albanel en 2007, Jean-Jacques Aillagon, ancien ministre de la Culture et ancien conseiller artistique de François Pinault, est à la tête d’une armée de 892 personnes (en équivalent temps plein), dont 572 fonctionnaires et 260 contractuels, occasionnels et saisonniers.

Un statut préservé. À Versailles comme à Chambord, les salariés, qu’ils soient conservateurs, jardiniers, agents de surveillance, guides ou agents forestiers, ont conscience d’être gâtés, même si ce n’est pas tous les jours la vie de château. En décembre dernier, pendant plusieurs jours, à Versailles, les visiteurs ont trouvé porte close. Les couloirs ont bruissé de la grogne d’une cinquantaine de grévistes dénonçant la révision générale des politiques publiques (RGPP), qui s’applique à Versailles comme dans le reste de la fonction publique, et la règle du non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite. Selon Louis-Samuel Berger, DRH nommé en juillet 2008, « 7 postes de contractuels et 25 postes de fonctionnaires sont concernés sur trois ans ». Pas de quoi déclencher une révolution.

Pourtant, Denis Berthomier, administrateur général, pointant déjà une diminution du plafond d’emplois contractuels fixé par la loi de finances, s’inquiète. « Notre volant d’emplois détermine notre capacité à ouvrir les espaces ; un quart aujourd’hui est ouvert à la visite. À l’inverse de certains musées, nous recevons peu de subventions de fonctionnement, 50 % de notre budget est issu de nos ressources propres. La preuve de notre capacité d’autofinancement ne justifie-t-elle pas une évolution différente de nos effectifs ? Faut-il prendre le risque de perdre le savoir-faire de nos fontainiers, de nos jardiniers ? »

En 2008, 13 agents de Chambord ont troqué leur statut pour un CDI de droit privé

Lorsque Géry Baron, adjoint au chef jardinier Joël Cottin, quittera ses jardins à la française en 2012, il craint de ne pas être remplacé. « Quand je suis arrivé, en 1972, nous étions 45, témoigne Géry Baron. Aujourd’hui, nous sommes 28 jardiniers fonctionnaires, sans compter les 150 vacataires embauchés ponctuellement en 2009. Pour bien faire, il faudrait une dizaine de permanents supplémentaires, nous avons besoin de sang neuf. » Volubiles et passionnés, les deux compères égrènent les souvenirs : la tempête de 1999 qui a couché 10 000 arbres, l’exposition controverséedesœuvres contemporaines de Jeff Koons, dont le fameux Split­Rocker sculpté de 100 000 fleurs qui a mobilisé une dizaine de jardiniers. De leur côté, les organisations syndicales dénoncent le risque de sous-traitance de certaines activités, alors qu’un partenariat public-privé portant sur l’externalisation de la billetterie en ligne et de l’accueil téléphonique en 2007 s’est déjà soldé par un échec. Dans son rapport d’activité 2008, l’établissement public reconnaît lui-même que les deux services de jardins « subissent depuis plusieurs années une fonte de leurs effectifs qui met en péril la qualité des prestations effectuées et qui présente aussi le risque de disparition de véritables savoir-faire artistiques. L’établissement a compensé cette décrue des effectifs par un recours important à l’externalisation, mais cette démarche atteint objectivement ses limites ».

Pour apaiser les tensions, Versailles affiche sa volonté de lutter contre le travail précaire des vacataires, souvent une armée d’étudiants qui vient en renfort pour les week-ends. Après deux ans de négociations et à la demande des syndicats SUD et CFDT, la direction a augmenté leur quotité de travail de 40 à 50 %  : 26 agents ont bénéficié de cette largesse. En 2005, déjà, un protocole d’accord de fin de grève avait abouti à la création de 60 postes sur trois ans en surveillance, la plus importante filière qui emploie actuellement 401 agents en équivalent temps plein. Pour gérer les carrières de ses contractuels, le château réfléchit aussi à la création d’une commission consultative paritaire, à l’instar des commissions administratives paritaires pour les fonctionnaires. À Chambord, le passage en Epic, qui s’est traduit par l’octroi d’une vingtaine d’emplois supplémentaires, a marqué le début d’une vaste refonte de l’organigramme, des services, des statuts. À cette fin, Philippe Martel s’est entouré de deux anciens cadres venus… du château de Versailles : Xavier Bredin, directeur général adjoint, ex-responsable adjoint du département financier, et Florence Rochette, DRH, auparavant chargée du dialogue social.

Chambord passe au privé. Progressivement, les nouveaux régents de Chambord ont négocié des accords d’entreprise sur les dispositions collectives, les conditions de recrutement et d’emploi, l’annualisation du temps de travail pour les guides. Ils ont formalisé la politique de formation, mis en place une mutuelle de groupe et des titres-restaurants. L’objectif étant de faire basculer progressivement les fonctionnaires dans le droit privé. En 2008, par exemple, 13 agents ont troqué leur statut pour un CDI de droit privé, en contrepartie d’une progression de salaire de 15 % maximum en cas de changement de métier. Parmi eux, Fabrice Moonen, chargé de mission au service de l’action culturelle. « C’était la seule manière d’évoluer, raconte cet ancien agent d’accueil fonctionnaire du ministère de la Culture. Mon salaire de base n’a pas bougé, mais je ne travaille plus ni les dimanches ni les jours fériés. »

En première ligne, la dizaine de chargés d’action culturelle qui guident le public pourraient y gagner en stabilité. Alors qu’ils sont aujourd’hui rémunérés à la vacation, Chambord leur propose un CDI de cinquante-cinq à cent dix heures mensuelles moyennant une plus grande polyvalence, l’abandon de leurs droits d’auteur et des négociations individuelles, les deux derniers points suscitant le plus de discussions. En attendant, le royaume, placé sous la haute protection du président de la République et sous la tutelle des ministères de l’Agriculture, de la Culture et de l’Écologie, reste divisé. Un antagonisme persiste entre les employés du château, « la maison des réfractaires », comprenez les administratifs, et les agents des forêts.

Même pour 2100 euros net, débuter comme conservateur à Versailles est très convoité

Au-delà des tensions inhérentes à tout changement de statut, une enquête de climat social réalisée en juillet a révélé notamment que les employés fustigeaient leur direction pour son absence de projet d’établissement. « J’ai l’impression d’être moins reconnu depuis la création de l’Epic », estime Christian Gambier, technicien mis à disposition par l’Office national des forêts. Arpentant les 5 540 hectares de bois depuis seize ans, ce naturaliste chargé de la biodiversité admet pourtant qu’au quotidien « rien n’a changé ». « Je ne suis pas contraint par un horaire strict et je bénéficie d’un pavillon forestier pour assurer les astreintes. » Émargeant à 1700 euros net sans compter les primes et le logement de fonction, il se tâte pour demander une simulation de changement de statut.

Autonomes dans le travail. À Versailles, où un contrat de performance 2008-2010 définit six grands axes d’amélioration parmi lesquels la modernisation de la gestion des ressources humaines, les employés, des conservateurs aux agents de surveillance en passant par les jardiniers et les ébénistes, s’enorgueillissent d’exercer leur talent dans un lieu prestigieux. En contrepartie de progressions de carrière et de salaire encadrées strictement par la fonction publique, les agents bénéficient d’une confortable autonomie de travail. Jeune conservatrice spécialiste des peintures du xviiiesiècle, Juliette Trey dispose d’un ordre de mission permanent pour aller voir des expositions en Ile-de-France. En poste depuis deux ans, elle gagne seulement 2 100 euros net, mais elle s’organise librement pour recenser les œuvres dont elle a la charge, en acquérir de nouvelles, monter des expositions. Cette brillante conservatrice a intégré un des corps les plus prestigieux après avoir réussi un concours où seulement sept prétendants sur 1 000 étaient admis. À la cour du Roi-Soleil, les places sont toujours aussi chères.

Chambord

Effectif :

126 salariés permanents

Visiteurs :

1,79 million par an

Budget :

14 millions d’euros

Versailles

Effectif :

965 salariés (tous statuts confondus)

Visiteurs :

5,61 millions par an

Budget :

77 millions d’euros

Du rififi à la culture

Les touristes étrangers venus visiter Paris en décembre auront au moins découvert le french mood et les piquets de grève qui ont bloqué l’accès de plusieurs monuments nationaux, parmi lesquels le château de Versailles, le Centre Pompidou, les musées d’Orsay et du Louvre…

À l’appel d’une large intersyndicale (CGT, CFDT, SUD, FO, CFTC, FSU, Unsa), 1,5 % d’agents, selon les pointages du ministère de la Culture, ont cessé le travail pour dénoncer les suppressions d’effectifs prévus dans le cadre de la révision générale des politiques publiques. Selon les organisations syndicales, 1 000 postes seraient supprimés dans la période 2009-2011 sur un total d’environ 23 000 personnes travaillant dans la sphère du ministère de la Culture.

Plus de la moitié des effectifs ne sont pas des fonctionnaires, mais des agents contractuels. Dans l’œil du cyclone, Beaubourg serait particulièrement touché et perdrait 26 postes en 2010 et 23 en 2011. En guise de réponse, le ministre de la Culture, Frédéric Mitterrand, a réaffirmé sa volonté de réaliser les économies demandées par Bercy et rétorqué qu’il n’y avait aucune raison pour que son ministère échappe à cette réforme.

Auteur

  • Sarah Delattre