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Vie des entreprises

Mobilités géographiques

Vie des entreprises | Chronique juridique | publié le : 01.02.2010 | Jean-Emmanuel Ray

Les mutations économiques et technologiques entraînant pour nombre de salariés des mutations professionnelles et géographiques, le contrat de travail « à exécution successive » retrouve alors tout son sens pour ces collaborateurs mutants. Mais la logique de toutes ces mobilités reste parfois d’une obscure clarté : le changement, certes : mais pour quoi faire au juste ?

Dans notre société qui a la bougeotte, la « résistance au changement » dont nous abreuvent les cabinets de conseil exploitant cet inépuisable filon n’est parfois qu’une « ré-action » face à des évolutions dénuées de sens pour les personnes en cause, voire leur management. Sans oublier que cette nouvelle religion dessert le faible et le peu qualifié, mais constitue autant d’opportunités pour le surdiplômé qui en vante donc facilement les mérites.

LA VIE RÊVÉE DES ANGES

Nombre de cadres et dirigeants ayant acquis dès leur enfance une culture de la mobilité, mais également certains juristes inamovibles (magistrats du siège, professeurs d’université) ont une vision excessivement optimiste de la mobilité géographique : ils oublient qu’un salarié sur deux travaille à moins de 8 kilomètres de son domicile, autour duquel il a construit sa vie privée, amicale et familiale. De quoi faire réfléchir sur les vastes plans de GPEC ou l’obligation jurisprudentielle de reclassement urbi et orbi ; bref, « sur l’idée qu’on fera passer des salariés de Lille à Marseille ou de Strasbourg à Rennes. Le véritable espace de mobilité qui permet une saine gestion de l’emploi, c’est l’espace de mobilité du salarié. C’est autour de ce territoire que doivent se concentrer les efforts, ce qui passe par une profonde remise en cause des mentalités et des pratiques ». (S. Morel, DRH du Printemps.) « Bouger is beautiful », « Move on ! » Ne faut-il pas reconsidérer ces slogans confondant fin et moyens au profit d’une froide analyse coûts/avantages de ces politiques de mobilité systématique en forme de jeu de l’oie ?

QUATRE EXEMPLES

Une mobilité contrainte peut-elle être bénéfique au salarié ? Et à l’entreprise ? À moins qu’elle ne veuille y trouver un motif de licenciement.

Sachant qu’il faut un à deux ans pour qu’un cadre soit pleinement opérationnel, et trois à quatre s’agissant d’un cadre supérieur, cette mode de la mobilité est-elle pertinente ?

Que pensent les habitués du bourg ou de l’arrondissement du turnover permanent de leurs vendeuses, de leurs conseillers financiers ?

Sans parler des DRH et de leurs délégués syndicaux : les vrais deals sur les sujets importants ou sensibles ne peuvent intervenir qu’entre professionnels ayant su s’apprivoiser : et seule la durée permet de construire cette nécessaire confiance. Bref, l’objectif central doit être l’employabilité du collaborateur, comme l’expliquait l’article 8 de l’ANI du 11 janvier 2008 : « La mobilité professionnelle et géographique doit offrir des possibilités d’évolution de carrière et de promotion sociale des salariés, et doit constituer pour eux une protection contre la perte d’emploi. Elle est d’autant mieux acceptée qu’elle est anticipée, expliquée et accompagnée. »

MOBILITÉ ET VIE PRIVÉE (SUITE)

Point n’est besoin de revenir longuement sur le tsunami qu’a constitué l’arrêt Stéphanie M. du 14 octobre 2008. Basée à Marseille, cette consultante et désormais jeune maman avait ensuite demandé un congé parental à temps partiel, pendant lequel elle a refusé une mission de trois mois en région parisienne ; son contrat prévoyant expressément la « possibilité de déplacements en France et à l’étranger », elle est licenciée pour faute. Alors que la cour d’Aix-Marseille l’avait classiquement déboutée de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, la chambre sociale avait cassé, reprochant aux juges d’Aix de « n’avoir pas recherché si, comme le soutenait Mme M., la mise en œuvre de la clause contractuelle ne portait pas une atteinte au droit de la salariée à une vie personnelle et familiale, et si une telle atteinte pouvait être justifiée par la tâche à accomplir et était proportionnée au but recherché ».

En cas de mobilité programmée, l’employeur prudent doit désormais répondre à deux questions :

1° Porte-t-elle (gravement ?) atteinte au droit de ce salarié à une vie personnelle et familiale ? Il va devoir ainsi entrer dans la vie privée de chaque collaborateur visé, quitte à se mettre en délicatesse avec l’article L . 1132-1, pénalement sanctionné : « Aucune personne ne peut faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, en raison de sa situation de famille. » Et subsidiairement avec le principe d’égalité de traitement si cher à la chambre sociale.

2° Une telle atteinte est-elle justifiée par la tâche à accomplir par ce collaborateur et proportionnée au but recherché par l’entreprise ? Dans la recherche de ce très subjectif équilibre (le récent papa déclaré plus mobile que la jeune maman ?), l’intérêt de chaque entreprise va-t-il entrer en ligne de compte ? Si la société employant Stéphanie M. avait été au bord de la faillite ou que cet important client parisien réclamait cette consultante-là ? (Sur l’ensemble de cette question, voir le numéro spécial de Droit social de janvier 2010 : « Vie professionnelle et vie personnelle ».)

VERS UN DROIT À LA MUTATION GÉOGRAPHIQUE POUR « RAISONS FAMILIALES SÉRIEUSES » ?

À une maman angevine exigeant de travailler au retour de son congé maternité dans la région parisienne où était désormais installée sa famille, l’arrêt du 28 octobre 2009 a certes rappelé que « la salariée n’avait pas de droit acquis à une mutation ». Mais les services RH auraient tort de se réjouir trop vite : « La cour d’appel a relevé que l’employeur avait pris loyalement en considération le souhait de Mme Y. de se rapprocher de la région parisienne pour rejoindre son mari qui y avait été muté en cherchant une autre affectation pour sa salariée ; elle a pu en déduire qu’en ne rejoignant pas son poste en dépit des mises en demeure, la salariée avait commis une faute. » La loyauté contractuelle de l’article L. 1221-1 est donc une fois encore appelée à la rescousse du salarié, l’employeur se voyant ainsi imposer une nouvelle obligation juridique à l’issue d’un congé maternité ou parental ; même si, dans la pratique et dans l’intérêt commun, la plupart des entreprises cherchent depuis longtemps à répondre favorablement à la demande du salarié.

Même raisonnement très subjectif associant respect de la vie familiale et exécution de bonne foi du contrat avec l’arrêt du 5 novembre 2009. Là encore, à son retour de congé parental, Mme G., vendeuse à Valenciennes, demande à être affectée en Avignon, où est désormais installée sa petite famille : refus de son employeur, qui lui ordonne de reprendre son poste initial. Refus de la salariée, licenciée pour faute grave, licenciement légitimé par la cour de Douai. Première cassation le 24 janvier 2007, au visa des articles 8 de la CEDH et L. 120-4 de l’époque (toujours la bonne foi contractuelle): « La cour d’appel ne s’était pas expliquée sur les raisons objectives qui s’opposaient à ce que l’un des postes disponibles dans la région d’Avignon soit proposé à la salariée, contrainte de changer de domicile pour des raisons familiales sérieuses ; la décision de l’employeur, informé depuis plusieurs mois de cette situation, de maintenir son affectation à Valenciennes portait atteinte de façon disproportionnée à la liberté de choix du domicile de la salariée et était exclusive de la bonne foi contractuelle. » Mais la cour de renvoi n’avait pas plié. Seconde cassation le 5 novembre 2009, cette fois sans renvoi.

UNE FLEXIBILITÉ LÉGITIMEMENT SYMÉTRIQUE

« La cour d’appel a pu retenir que l’employeur n’était pas tenu de proposer les emplois existant à Montpellier et à Avignon, dès lors que le premier n’était pas situé dans le secteur géographique où la salariée avait exprimé l’intention d’être affectée et que le second impliquait une modification de la nature juridique du contrat de travail en cours, qui devait être transformé en contrat à durée déterminée. »

Si l’employeur a donc pu refuser l’affectation demandée à Montpellier, c’est que la cité des Papes n’est pas dans le même secteur géographique que la capitale du Languedoc-Roussillon. Quant au poste vacant, il s’agissait d’un contrat à durée déterminée : bref, dans les deux cas, la mobilité demandée par la salariée aurait entraîné une modification de son contrat de travail dont l’employeur peut, pour une fois, se prévaloir. Mais a contrario…

ET LA MOBILITÉ GÉOGRAPHIQUE DES REPRÉSENTANTS DU PERSONNEL ?

S’il existe un domaine où l’on prend vraiment la mesure du « statut exceptionnel et exorbitant du droit commun » du représentant du personnel, c’est bien ici : alors que ses camarades doivent s’exécuter sous peine de licenciement pour faute, une analyse un peu rapide pouvait laisser penser que lui bénéficiait d’un véritable droit au refus, même en cas de simple changement des conditions de travail. Ce n’est évidemment pas le cas, comme l’a rappelé le Conseil d’État le 9 décembre 2009 : « Le refus opposé par un salarié protégé à un changement de ses conditions de travail décidé par son employeur en vertu soit des obligations souscrites dans le contrat de travail, soit de son pouvoir de direction constitue, en principe, une faute. En cas d’un tel refus, l’employeur, s’il ne peut directement imposer au salarié ledit changement, doit, sauf à y renoncer, saisir l’inspecteur du travail d’une demande d’autorisation de licenciement à raison de la faute qui résulterait de ce refus. Après s’être assuré que la mesure envisagée ne constitue pas une modification du contrat de travail de l’intéressé, il appartient à l’autorité administrative d’apprécier si le refus du salarié constitue une faute d’une gravité suffisante pour justifier l’autorisation sollicitée, compte tenu de la nature du changement envisagé, de ses modalités de mise en œuvre et de ses effets, tant au regard de la situation personnelle du salarié que des conditions d’exercice de son mandat. »

Nous passons donc d’un droit collectif des travailleurs aux droits très individualisés de la personne au travail. « Et moi, et moi, et moi… »: quarante-trois ans après, Jacques Dutronc remonte sur scène.

FLASH
Des clauses frappées de nullité

« Un salarié ne pouvant accepter par avance un changement d’employeur, la clause de mobilité par laquelle le salarié s’est engagé à accepter toute mutation dans une autre société est nulle, alors même que cette société appartiendrait au même groupe ou à la même unité économique et sociale. » Rien de nouveau pour un obsédé textuel : à l’instar du droit du mariage, changer de partenaire en cours de contrat constitue la modification d’un élément essentiel de celui-ci. Affirmation que l’on retrouve dans toute la jurisprudence sur l’application, ou non, de L. 122-12, devenu L. 1224-1, qui n’autorise l’exceptionnel changement impératif et automatique d’employeur que si ses strictes conditions d’application sont réunies. Le terme « clause de mobilité » est donc ici abusivement employé. Dans les arrêts précédents, la Cour avait simplement rappelé que la mise en œuvre d’une clause de mobilité géographique ne pouvait conduire à un changement obligé d’employeur. Mais, en frappant de nullité ces clauses contractuelles expresses au nom de l’exécution de bonne foi, qui a décidément le dos fort large, la chambre sociale semble ignorer le fonctionnement quotidien des groupes de sociétés.

Auteur

  • Jean-Emmanuel Ray