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Idées

La loi doit-elle fixer un quota de femmes dans les conseils d’administration ?

Idées | Débat | publié le : 01.02.2010 |

Le Parlement examine actuellement une proposition de loi visant à imposer, d’ici à six ans, un quota de 40 % de femmes dans les conseils d’administration des sociétés cotées. Alors que ce pourcentage n’est que de 10,5 % dans les entreprises du CAC 40.

Véronique Morali Présidente de Fimalac Développement

Dans un monde idéal, la présence des femmes au sein des conseils d’administration des entreprises devrait être naturelle. Leur expertise, la largesse de leur champ d’activités et leur vision pertinente du monde des affaires en font des administrateurs de choix si elles sont bien formées à ces responsabilités. Malheureusement, force est de constater que les femmes sont encore trop peu nombreuses dans ce type de fonction. Une situation anormale au regard des autres grands pays industrialisés qui s’explique avant tout par l’histoire et le poids des habitudes. Beaucoup a déjà été dit sur la consanguinité qui prévaut dans les conseils des grandes entreprises françaises. Quantité d’entre elles ont été publiques et maints représentants de la haute fonction publique, où la féminisation n’est guère supérieure à celle du secteur privé, ont longtemps occupé et occupent encore des postes d’administrateurs. Enfin, les femmes elles-mêmes ont mis du temps à être acceptées et nommées au sein des comités exécutifs ou des comités de direction, n’aspirent que depuis peu à entrer dans les conseils d’administration.

Dans ce contexte, je ne suis pas choquée par une loi introduisant un peu de volontarisme en la matière, pour autant qu’elle soit réaliste et acceptable par les entreprises. À cet égard, l’objectif de 40 % d’administratrices dans les conseils des entreprises cotées me semble raisonnable. A fortiori si la future législation, reprenant l’essentiel de la proposition de loi qui vient d’être adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale, prévoit que ce taux plancher soit atteint par étapes, en six ans, ce qui correspond à deux mandats d’administrateur. Les grandes entreprises pourront donc y satisfaire à leur rythme, en renouvelant à bon escient leur conseil et en l’enrichissant de nouvelles compétences qui ne soient pas seulement issues du monde de l’entreprise, mais aussi de l’université, de la recherche. A contrario, il me paraît légitime que celles qui ne s’y soumettront pas soient sanctionnées, en voyant frappées de nullité les nominations d’administrateurs intervenues entre-temps.

C’est par l’instauration d’un tel quota que les femmes, significativement présentes dans les conseils d’administration, contribueront à orienter la stratégie des entreprises afin de gagner l’autre nécessaire combat : celui de l’égalité des chances et des salaires.

Rachel Silvera Économiste, maîtresse de conférences, université Paris X

Adopter une mesure d’« action positive », en imposant un quota de 40 % (voire 50 %) de femmes à la tête des CA des grandes entreprises d’ici à six ans est un passage désormais obligé : malgré les nombreuses lois et une certaine mobilisation de la négociation (7,5 % d’accords d’entreprises sur l’égalité), les inégalités persistent. Le plafond de verre en est l’une des figures emblématiques : en 2009, il n’y a que 10,5 % de femmes dans les CA des entreprises du CAC 40 et 8 % dans les 500 plus grandes entreprises. Si l’on pense que cette féminisation se fera naturellement, du fait de la présence de plus en plus importante des femmes parmi les diplômés, il faudra attendre longtemps pour que le principe constitutionnel, adopté en juillet 2008, d’« un accès égal des femmes et des hommes aux responsabilités professionnelles et sociales » voie le jour. Imposer un tel quota (avec une sanction à la clé) ne poserait pas de grandes difficultés à ces entreprises, car le vivier de femmes dirigeantes, compétentes, surdiplômées existe bel et bien. Le seul frein serait évidemment de convaincre des hommes de laisser leur place (en tout cas de limiter le cumul des sièges). Ce principe s’inspire d’ailleurs d’une loi norvégienne de 2004 qui a progressivement permis de parvenir à cette féminisation (de 7 % en 2003 à plus de 40 % en 2008) sans recourir à des sanctions pourtant lourdes.

Pour autant, des critiques peuvent être formulées : en premier lieu, viser les CA n’est qu’une étape : ce dispositif ne concernerait que 1 000 entreprises et ne porte pas sur les comités de direction, véritables lieux de pouvoir et de décision. Or les résultats ne sont guère encourageants sur ce plan (environ 13 % de femmes). La présence des femmes dans ces comités suppose un engagement des entreprises bien au-delà d’une seule politique d’affichage.

De plus, il ne faut pas limiter la question de l’égalité à leur seule représentation à la tête des CA. Cela est nécessaire mais loin d’être suffisant : que dire des inégalités salariales, de la précarité au féminin qui se développe avec la crise, notamment du temps partiel subi – mode d’emploi au féminin, généralisé dans certains secteurs ? Ces thèmes, parmi d’autres, semblent passer au second plan, alors que des sanctions prévues par la loi de 2006 devaient voir le jour en 2010. Les quotas, oui, mais à condition de poursuivre la lutte contre toutes les formes d’inégalités dans l’entreprise.

Daniel Lebègue Président de l’Institut français des administrateurs.

En 2005, l’Institut français des administrateurs (IFA) avait recommandé de se donner l’objectif, sur la base du volontariat, d’atteindre dans un délai de quatre ans la proportion de 20 % de femmes administratrices dans les conseils des grandes sociétés cotées. Quatre ans plus tard, nous constatons que la situation n’a pas évolué d’un iota, ce qui place la France à la traîne de la plupart des pays européens. C’est la raison pour laquelle nous pensons qu’il faut changer de méthode et accepter d’en passer par la loi, comme d’autres pays (Norvège, Espagne) l’ont fait ou envisagent de le faire.

Du point de vue de l’Institut français des administrateurs, il y a là, en effet, un enjeu essentiel en termes de gouvernance et donc de performance dans le long terme de nos entreprises. Pour bien travailler, nos conseils d’administration ont besoin d’administrateurs engagés, compétents et indépendants d’esprit. La diversité – d’expériences, de personnalités – constitue un plus pour un conseil. Or la plupart de nos conseils d’administration restent caractérisés par une très forte endogamie et une concentration des mandats d’administrateurs entre les mains d’un petit nombre de personnes ayant le même profil, le même cursus et une faible disponibilité compte tenu du cumul de leurs mandats avec des fonctions exécutives très prenantes.

Il nous semble donc urgent de favoriser un renouvellement de la composition des conseils. La promotion de la mixité et de la diversité est un des meilleurs leviers pour y parvenir. Mais, entend-on parfois, existe-t-il un vivier suffisant, en nombre et qualité, de candidates pour atteindre l’objectif ambitieux de 50 % de femmes dans les conseils de nos grandes sociétés cotées et entreprises publiques ? L’idée que, dans un pays comme le nôtre, où le niveau d’éducation est élevé et où près de la moitié des salariés sont des femmes, il ne serait pas possible de trouver une centaine de femmes qualifiées pour occuper des postes d’administrateurs est proprement stupéfiante. Dans le seul vivier des 2 500 adhérents de notre Institut français des administrateurs, ce sont près de 500 femmes qui ont déjà une expérience de la fonction ou qui se préparent de manière très professionnelle à l’exercer un jour prochain. Il reste à donner l’impulsion nécessaire afin d’enclencher le mouvement pour nos conseils, pour nos entreprises, pour la dynamique collective de notre pays ; le plus tôt sera le mieux.