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Négociation musclée sur le portage salarial

Dossier | publié le : 01.02.2010 | S. G.

Menée par le patronat de l’intérim qui lorgne ce créneau, la négociation sur le cadre juridique du portage est sportive. L’essor de l’autoentrepreneuriat montre pourtant que le marché du travail a besoin de statuts alternatifs.

C’est le monde à l’envers : dans la négociation sur le portage salarial, ouverte en 2009 conformément aux dispositions de la loi de modernisation sociale de juin 2008 qui affirmait la volonté de structurer et de sécuriser ce dispositif, organisations patronales et syndicats de salariés parlent d’une même voix. Ils s’opposent les uns et les autres à la vision que le négociateur officiel, le Prisme, a du portage salarial. L’organisation patronale des professions de l’intérim, services et métiers de l’emploi ne semble, en effet, pas tout à fait à sa place dans cette négociation. « C’est un non-sens absolu ! » tempête Baudouin des Courtils, président de la Fédération nationale du portage salarial (FeNPS) qui regroupe une cinquantaine d’entreprises. « Le seul lien entre le portage et l’intérim, c’est la relation triangulaire entre le salarié, l’entreprise cliente et l’entreprise d’intérim ou de portage. Pour le reste, ces deux métiers ont une culture diamétralement opposée. Ne serait-ce que pour une raison essentielle : une entreprise de portage est au service du porté alors qu’un professionnel de l’intérim est au service de l’entreprise cliente. »

Un statut dénaturé. Le Syndicat national des entreprises de portage salarial (Sneps), qui regroupe 23 sociétés, va encore plus loin dans son opposition au projet d’accord du Prisme : il a constitué, avec la CFE-CGC, la CFDT et la CFTC (la CGT se joint à ses communiqués au coup par coup), un Observatoire paritaire du portage salarial (OPPS). Objectif : montrer que les organisations salariales et patronales font front commun pour défendre la spécificité du portage. « Le statut, tel que nous l’avions redéfini dans l’accord de 2007, était en voie de sécurisation juridique, souligne Radhia Amirat, présidente de l’OPPS. Le Prisme est en train de le dénaturer : de la notion de prestation de services, qui caractérise le portage, il voudrait passer à la mise à disposition. » Toutes les parties prenantes ont le sentiment que les professionnels du travail temporaire, qui ont beaucoup souffert de la crise, tentent de s’accaparer le marché du portage. « On sent bien que les agences d’intérim, qui ont déjà beaucoup élargi leur champ d’activité au fil des années, ont envie d’ajouter le mot « portage » sur leur enseigne, estime Hubert Camus, fondateur et dirigeant d’ABC Portage. Sinon, je ne vois pas pourquoi elles auraient mené un lobbying aussi acharné pour récupérer cette négociation. »

Les organisations patronales reconnaissent qu’elles se sont tiré une balle dans le pied : si elles avaient réussi à s’unir avant, la négociation ne leur aurait sans doute pas échappé. Il est tout de même absurde de voir, sur un micromarché de 25 000 à 30 000 salariés (et sans doute pas plus de 15 000 équivalents temps plein), s’exprimer trois fédérations professionnelles : le Sneps, la FeNPS et la microscopique Union nationale des entreprises de portage spécialisées (Uneps). « Cette négociation devrait nous amener à nous rapprocher. C’est le sens de l’histoire », admet Baudouin des Courtils.

En attendant, les organisations professionnelles se battent pied à pied : « Le Prisme a reçu pour mission de réguler et de sécuriser le cadre existant, affirme Radhia Amirat. En fait, il crée un nouveau statut et ne règle pas les problèmes issus du passé : en cantonnant le cadre de l’accord au périmètre des cadres n’ayant qu’un seul employeur, il traite du cas de 10 à 15 % des portés. Et les autres ? » La présidente de l’OPPS fait ainsi référence aux principaux points d’achoppement entre le Prisme et les professionnels du portage. Premier d’entre eux, la notion d’exclusivité de l’activité de portage : « Si les entreprises de travail temporaire font du portage, elles doivent impérativement le faire dans des structures dédiées, car ce sont des métiers différents, reposant sur une philosophie antago­niste », plaide Hubert Camus (ABC Portage). Baudouin des Courtils parle même de « conflit d’intérêts » : « Imaginons une grande entreprise qui a besoin d’une équipe de 10 vendeurs pour muscler sa force de vente. Si Adecco, Manpower ou Randstad n’ont pas d’intérimaires à lui proposer, ils pourront puiser dans leur vivier de portés. En proposant des conditions convenant sans doute mieux à leur client – l’entreprise – qu’au porté. » « Il y a un vrai risque de dumping social, ajoute Radhia Amirat. Tous les syndicats de salariés sont radicalement opposés à cette vision. »

Le recours au CDD d’usage ? Pour la CFTC, « le portage doit s’exercer dans le cadre d’un CDI. Les portés ont, dans leur majorité, plusieurs clients à la fois. Leur contrat de travail doit donc être déconnecté de la durée de la mission ». Ce que, au dire des parties prenantes, le Prisme semble avoir du mal à comprendre : « Tout son projet d’accord repose sur le schéma du porté ne travaillant qu’avec un seul client, note Radhia Amirat. Non seulement ce n’est pas conforme à la réalité, mais c’est absurde : par principe, un porté a intérêt à diversifier son portefeuille de clients pour pérenniser son activité. »

Autre pierre d’achoppement, le champ de l’accord ne couvre pas les non-cadres. C’est un fait, le portage concerne en majorité les cadres. Profil type : un consultant qui facture sa journée plusieurs centaines d’euros. « On est loin des 98 % de non-cadres des agences d’intérim », ironise Baudouin des Courtils, qui pointe « la volonté des entreprises de travail temporaire de s’accaparer le marché du portage ». Quid des non-cadres, exclus du champ de l’accord ? « Resteront-ils dans l’insécurité juridique dont on prétendait les sortir ou devront-ils se tourner vers l’autoentrepreneuriat ? » s’interroge Hubert Camus, dont l’entreprise, ABC Portage, compte environ 40 % de non-cadres parmi ses portés (traducteurs, secrétaires, etc.). AVS est encore plus atypique : l’immense majorité de ses 14 000 portés sont non-cadres, dans le bâtiment (80 %) et les professions de services (coiffure, jardinage…).

Les non-cadres devront-ils se transformer en autoentrepreneurs ? Dans le doute, AVS a créé un service ad hoc : « Les formalités administratives de l’autoentrepreneuriat sont, certes, légères, note Ludivine Boureau, dirigeante d’AVS. Mais la population de prestataires avec laquelle nous travaillons est très réfractaire à la paperasse. Nous portons déjà 300 autoentrepreneurs, dont nous gérons les charges sociales et les relations commerciales (facturation, devis, etc.). » Premier bilan : « Nous craignions que ce nouveau statut concurrence le portage, poursuit Ludivine Boureau. En fait, il a libéré l’esprit d’entreprise. » Un constat partagé par Baudouin des Courtils : « Le statut d’autoentrepreneur donne un élan très constructif. Si l’on considère que, sur 2,7 millions de chômeurs, 20 % sont assez autonomes pour créer leur activité, cela signifie que 500 000 personnes peuvent revenir – totalement ou partiellement – vers l’emploi. Toutes les passerelles en marge du salariat classique qui peuvent être créées entre les entreprises et les travailleurs méritent d’être encouragées. »

Avec une protection sociale au rabais et un plafond d’honoraires contraignant (32 000 euros par an pour les activités de services), le statut d’autoentrepreneur est regardé avec intérêt par la profession du portage : « Une fois qu’ils ont dépassé le plafond, les autoentrepreneurs ont intérêt à se tourner vers nous, note Hubert Camus, qui ne voit pas dans ce statut une forme de concurrence : nos consultants facturent en moyenne 4 600 euros par mois. Ils sont donc bien au-dessus du plafond de l’autoentrepreneuriat. »

Nous menons cette négociation de façon d’autant plus sincère que le portage ne représente pas un marché considérable pour les entreprises de travail temporaire. Nous voulons avant tout relever le défi politique qu’on nous a confié.

François Roux, Prisme

Si l’on nous avait confié cette négociation, nous aurions pu finaliser ce statut qui, en l’état actuel, satisfait les portés. La façon dont le Prisme aborde la question montre qu’il ne comprend rien à la spécificité du portage.

Radhia Amirat, Observatoire paritaire du portage salarial

Auteur

  • S. G.