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Vie des entreprises

Les OS du prospectus paient très cher leur autonomie

Vie des entreprises | Match | publié le : 01.12.2009 | Anne-Cécile Geoffroy

Tournées à rallonge, salaires au plancher : les troupes de la distribution directe ne sont pas à la fête. Les contentieux pleuvent. Mais Mediapost fait mieux qu’Adrexo sur le social.

Stop pub ! Henri, 65 ans, distributeur chez Adrexo en région parisienne, zappe l’autocollant du ministère de l’Écologie plaqué sur la boîte aux lettres. Depuis l’aube, il traîne un chariot de 80 kilos chargé de prospectus publicitaires. « Il me reste 150 poignées à distribuer, pas le temps de regarder ! » explique le sexagénaire sans s’arrêter. Chaque année, 18 milliards d’imprimés sont ainsi glissés par une armée de distributeurs dans les boîtes aux lettres des particuliers. Soit 40 kilos par foyer et par an. Deux mastodontes se partagent 95 % de ce marché lucratif. Le premier, Adrexo, filiale de Spir Communication (groupe Ouest-France), emploie plus de 23 600 salariés dont 22 600 distributeurs répartis sur 250 plates-formes. L’entreprise, dirigée par Frédéric Pons, s’est construite par rachats successifs de plusieurs acteurs dont le dernier en date est Kicible, la société de distribution directe créée par le groupe Sud-Ouest. Le second, Mediapost, filiale du groupe La Poste, dirigé par Nathalie Andrieux, est aussi le résultat d’une fusion. En 2004, l’entreprise rachète la société Delta Diffusion, du Groupe Hersant Média. Rattachés à 180 plates-formes, 13 500 distributeurs battent le trottoir pour ce spécialiste de la publicité non adressée qui emploie au total 15 000 salariés. Des employés souvent âgés et peu qualifiés. Chez Mediapost, 20 % ont 60 ans ou plus. Côté Adrexo, 43,1 % ont plus de 50 ans. L’entreprise déclarait même au bilan social 2008 un salarié dans la tranche 95-100 ans.

Une jeune convention. Si l’activité de distribution directe a au moins 30 ans, sa convention collective, elle, va tout juste souffler ses cinq bougies. Un cadre réglementaire qui est, aujourd’hui, source de bien des dissensions : il alimente la colère des syndicats, qui affirment que la convention est dévoyée par les deux entreprises, et celle des distributeurs, qui estiment avoir perdu au change. « Je suis lésé de 300 euros par mois depuis que cette convention a été mise en place. Comment les organisations syndicales ont-elles pu signer ce texte ! » s’agace Mireille, 55 ans, chez Adrexo depuis quinze ans. À l’époque, il s’agissait pour les partenaires sociaux de sortir du travail à la tâche, qui était la règle, et de construire un secteur d’activité digne de ce nom. Concrètement, plus le salarié distribuait de prospectus, plus il était payé. Et, pour gonfler une fiche de paie plutôt maigre, la famille, enfants compris, pouvait prêter main-forte. « Avant 2005, la rémunération comprenait grosso modo 60 % de remboursement de frais pour les kilomètres parcourus et 40 % de salaire. Aujourd’hui, c’est plutôt 90 % de salaire et 10 % de frais. Le problème, c’est que les salaires n’ont pas été revus à la hausse », souligne Hervé Emmerich, conseiller technique de branche pour FO, l’un des syndicats signataires. Le smic : c’est tout ce que peuvent espérer les distributeurs, de surcroît embauchés avec des contrats de travail à temps très partiel. Chez Mediapost, par exemple, 55 % des distributeurs sont à mi-temps. « Sauf que les distributeurs n’arrivent jamais à respecter leur contrat, ni les cadences imposées par les employeurs. Ils travaillent en fait beaucoup plus », explique Léonardo Milone, délégué syndical central FO chez Adrexo.

En deux ans, Adrexo a vu trois chefs de centre se syndiquer pour défendre leurs droits

Une usine à gaz. En bâtissant la convention collective, les partenaires sociaux ont en effet imaginé un système de rémunération complexe qui croise le nombre de « poignées » (un ensemble de prospectus), le poids et le type de secteur géographique. Le résultat correspond à la durée d’une tournée pour un distributeur et, finalement, à sa rémunération. Les secteurs ont été divisés en trois catégories : secteurs urbain, suburbain et rural, eux-mêmes divisés en trois sous-catégories. Autant dire une usine à gaz ! « Le souci, c’est que les deux entreprises ont chacune leur définition de ce que recouvre un secteur, pointe Stéphane Bugada, distributeur pour Adrexo dans l’est de la France et délégué syndical CFTC. Ma société a tendance à considérer les zones rurales en secteur suburbain alors que le nombre de boîte aux lettres et les kilomètres parcourus sont difficilement comparables ! »

Chez Mediapost, Ali Laïdoun, délégué syndical en région Méditerranée, acquiesce. « La convention collective parle de secteur géographique et le définit parfaitement. Chez Mediapost, la direction parle d’unité géographique et nous assure qu’il s’agit de la même chose. Or, dans les faits, sur une même feuille de route, une unité géographique équivaut à plusieurs secteurs. En attendant, elle rembourse les frais kilométriques sur un seul secteur. L’entreprise ne prend pas non plus en compte la topographie. En rapportant le nombre de kilomètres au temps de travail prédéterminé et au nombre de boîtes aux lettres, la direction est capable de nous faire courir le 100 mètres en 11 secondes 63 en tirant notre chariot. Autant faire les JO », ironise le délégué syndical.

Résultat, les distributeurs expliquent tous avoir bien du mal à boucler une tournée dans le temps « préquantifié » par leur société et estiment donc ne pas être payés pour toutes les heures travaillées. Selon le DRH de Mediapost, Paul Dworkin, « la préquantification du temps de travail est le meilleur outil qui existe pour rémunérer les distributeurs qui sont totalement autonomes dans l’organisation de leur travail. On traite et on adapte cette préquantification tous les six mois et chaque fois que cela est nécessaire. N’importe quel distributeur peut signaler si son secteur de distribution a évolué », assure le DRH, qui met également en avant l’existence d’un accord d’intéressement depuis 2005 et la participation.

Chez Adrexo, la direction a préféré ne pas répondre à nos questions. Mi-octobre, les déclarations de son P-DG au journal Marianne avaient fait bondir les salariés et déclenché des grèves, notamment à La Seyne-sur-Mer. Il avait expliqué que les retraités venus chercher un complément à leur pension économisaient une « adhésion au Club Med Gym » en travaillant chez Adrexo. Et la colère ne se cantonne plus aux distributeurs, elle gagne les cadres. Adrexo a vu trois chefs de centre se syndiquer ces deux dernières années pour défendre leurs droits. Une hérésie dans cette entreprise qui ne veut pas entendre parler de syndicat. « Nous avons l’ordre de ne pas laisser s’implanter les syndicats dans les dépôts », assure un chef de centre en région parisienne.

Système de contrôle. En 2007, la direction a mis en place un nouveau système de contrôle fondé sur un panel de clients de l’enseigne Carrefour pour vérifier la bonne distribution des boîtes aux lettres. « Contre un bon d’achat, ces clients disent s’ils ont eu ou non la dernière publicité, explique un chef de centre francilien. Toutes les semaines, nous recevons des informations d’on ne sait où, invérifiables, mais qui ont pour conséquence de diviser par deux notre prime qualité, sans parler des erreurs sur les comptes d’exploitation qui viennent manger notre rémunération. L’an dernier, j’aurai pu perdre 4000 euros si j’avais laissé faire la direction. C’est devenu une véritable lutte de tranchées pour obtenir sa paie. La confiance est cassée. »

Si, aujourd’hui, les distributeurs courent le 100 mètres en un temps record, les entreprises sont en passe de battre un autre record, celui des contentieux. Saisies par les salariés, les inspections du travail multiplient les contrôles et enchaînent les PV (voir encadré ci-contre). Dans les Landes, Adrexo sera assigné en début d’année pour « travail dissimulé par heures dissimulées » après les multiples constats faits par l’Inspection du travail au cours des trois dernières années. C’est au pénal que le dossier devrait donc être réglé. Une première, car, jusqu’à présent, les salariés ont eu surtout recours aux prud’hommes pour faire valoir leurs droits. En 2008, Adrexo a comptabilisé 358 actions devant les prud’hommes. Dans le Sud, ce sont 241 dossiers de salariés de Mediapost qui devraient être déposés ces prochains jours. « Ça ne les inquiète même pas, note Patrick, la quarantaine, ancien chef de centre dans le Grand Ouest. Après un an chez Adrexo, il a jeté l’éponge. À chaque fois que j’appelais pour prévenir ma hiérarchie à Aix-en-Provence qu’une inspection venait de mal se passer, elle me répondait de ne pas m’inquiéter et de les laisser faire leur PV ! »

Tri à domicile. L’autre motif de mécontentement des distributeurs tient à leurs conditions de travail. Car, avant d’entamer leurs tournées en voiture ou à pied selon leur secteur, ils doivent rejoindre une plate-forme pour trier et charger les documents. Dans les faits, de nombreux distributeurs font le tri chez eux et ne viennent dans ce lieu que pour enlever la marchandise. « Le hangar n’est pas chauffé. Je préfère rentrer chez moi. Ma femme m’aide à constituer les poignées et je suis au chaud », explique Marcel, distributeur en Rhône-Alpes pour Adrexo. « Quand vous voyez les conditions dans lesquelles travaillent ces pauvres gens, vous ne pouvez plus cautionner cette politique. Les préparatrices restent debout de 8 heures à 17 heures sans interruption pour préparer le plus de poignées possible. Finalement, ces gens sont toujours payés à la tâche », confie Patrick, ex-chef de centre.

Chez Mediapost, dont le turnover est de 45 %, 350 tuteurs encadrent les nouveaux distributeurs

Les conditions de travail sur les plates-formes sont réputées meilleures chez Mediapost, même si deux tiers des distributeurs optent pour la préparation à domicile. « Nous avons des tables d’assemblage adaptées, des chariots pour stocker les prospectus, détaille le DRH. Surtout, nous formons systématiquement nos distributeurs aux gestes et postures. » Côté formation, Mediapost affirme par ailleurs mettre le paquet pour s’assurer la fidélité des salariés. Car, dans ce secteur, le turnover est important. Chez Mediapost, il se situe sur le plan national à 45 %, et atteint 54 % chez Adrexo. « Nous avons travaillé sur le recrutement en adoptant la méthode par simulation proposée par Pôle emploi, explique le DRH de la filiale de La Poste. Nous avons revu l’intégration des nouveaux distributeurs pour ne pas les lâcher dans la nature. Aujourd’hui, 350 tuteurs prennent en charge cette intégration et accompagnent les distributeurs durant les deux premiers mois d’activité. »

Remise à niveau. Pour compléter la panoplie, l’entreprise propose deux programmes de formation dans le cadre de l’accord de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, axés notamment sur une remise à niveau en français. « Globalement, nous employons 4 % de la masse salariale à la formation », indique le DRH. Le nombre de salariés concernés reste tout de même faible : 500 distributeurs sur 13 500 ont suivi l’une de ces formations. Son concurrent déclare aussi, dans son bilan social, avoir consacré 4 % de la masse salariale à la formation de 981 stagiaires en 2008.

En attendant de développer leur politique sociale, les deux leaders du secteur, réunis au sein du Syndicat de la distribution directe, s’inquiéteraient d’une remise en cause de la convention collective. Une distributrice d’Adrexo, Pierrette Discazeau, alias Anaïs des Landes, annonce sur son blog qu’elle se portera partie civile contre les cinq syndicats signataires de la convention collective, qu’elle accuse de complicité de travail dissimulé par heures dissimulées et manquement à leurs droits et devoirs envers les salariés ! Le contentieux ne fait que continuer…

Mediapost

Effectifs :

15 000

Plates-formes :

180

Chiffre d’affaires :

430 millions d’euros

Adrexo

Effectifs :

23 600

Plates-formes :

250

Chiffre d’affaires :

312,9 millions d’euros

Le temps de travail est sur la sellette

Merci le Conseil d’État ! En annulant, en mars 2009, l’article D. 3171-9 du Code du travail qui légalisait la « quantification préalablement déterminée du temps de travail » définie au sein des conventions et accords collectifs de branche étendus, les sages du Palais-Royal ont redonné un peu d’espoir aux distributeurs. Ils ont surtout mis des bâtons dans les roues aux entreprises de distribution directe qui n’ont jamais instauré de système de contrôle de la durée du travail, prétextant l’autonomie totale de leurs salariés dans l’organisation de leur activité. Une brèche dans laquelle s’est engouffrée l’Inspection du travail, qui a multiplié les contrôles et procès-verbaux. Contesté par le syndicat Sud PTT, l’article avait été introduit en 2007 après un intense lobbying des organisations patronales afin de sécuriser la préquantification du temps de travail imaginée lors de la création de la convention collective. Malgré ce revers, le Syndicat de la distribution directe ne lâche pas prise. D’autant que le gouvernement a dans ses tiroirs un nouveau projet de décret. SUD PTT, la CGT et FO ont déjà écrit au ministre du Travail pour le contester…

Auteur

  • Anne-Cécile Geoffroy