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Vie des entreprises

Le patron de Lacroix-Ruggieri tire ses artificiers vers le haut

Vie des entreprises | Méthode | publié le : 01.12.2009 | Stéphanie Cachinero

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Nombre d’artificiers du réseau Lacroix-Ruggieri

Crédit photo Stéphanie Cachinero

Pour développer la petite filiale du groupe Étienne Lacroix, Jean-Michel Dambielle lance la fameuse marque de pyrotechnie à la conquête de l’Asie. Et, concurrence et norme obligent, dope la professionnalisation de son réseau d’artificiers.

Le 31 décembre prochain, sur le coup de minuit, le ciel s’illuminera un peu partout dans le monde. Et il est fort probable que les feux d’artifice qui vont soulever l’enthousiasme des spectateurs au Moyen-Orient, aux Caraïbes, dans l’océan Indien et en Polynésie proviennent d’une petite localité de Haute-Garonne, Sainte-Foy-de-Peyrolières. C’est là que sont conçus les shows pyrotechniques de Lacroix-Ruggieri, le leader européen de l’artifice de divertissement. Une belle aventure familiale puisque les frères Ruggieri, originaires de Bologne, sont venus chercher fortune en 1739 à Paris et ont été consacrés artificiers attitrés de Louis XV. Un siècle plus tard, en 1848, Étienne Lacroix crée sa propre société de vente de feux d’artifice à Toulouse. Ce sont ses descendants, Étienne et Jean-Jacques Barès, qui ont repris en 1997 la société Ruggieri, alors dans une mauvaise passe financière après une entrée en Bourse hasardeuse.

Spécialisé dans les activités pyrotechniques de défense et de divertissement, le groupe Lacroix, basé à Muret, près de Toulouse, a confié en 2003 à l’un de ses jeunes cadres, Jean-Michel Dambielle, le soin de redresser la filiale Lacroix-Ruggieri. En 2007, l’équilibre des comptes est restauré. Mais la mission du directeur général opérationnel ne s’arrête pas là. Car la petite entreprise haute-garonnaise rêve désormais d’expansion internationale. Présente depuis 2006 en Chine où sont fabriquées 80 % de ses fusées, elle a envoyé cette année ses premiers expatriés dans l’empire du Milieu. Un pays où il est fréquent de vendre des feux d’artifice à 30 000, voire 50 000 euros pièce, alors qu’un feu du 14 Juillet en province est facturé 1 500 euros. Sur le Vieux Continent, Jean-Michel Dambielle a d’autres préoccupations. Comme celle de professionnaliser son réseau d’artificiers pour répondre aux exigences des nouvelles normes européennes.

1-Miser sur la réputation

À l’image de Claude Devernois, directeur technique et responsable formation de Lacroix-Ruggieri, on est souvent artificier de père en fils. C’est son père, pompier de son état, qui lui transmit le virus et lui permit de tirer son premier feu à l’âge de 16 ans. « Artificier, ce n’est pas un métier à part entière, explique-t-il. On ne fait pas ça pour de l’argent, mais par passion. D’ailleurs, la plupart ont un autre métier », explique-t-il. Près de 10 % seulement des 1 600 artificiers employés par Lacroix-Ruggieri sont salariés du groupe. Les autres interviennent pendant leurs jours de congé ou de RTT et sont embauchés en CDD d’une durée de un à huit jours tout au plus pour les grands spectacles, rémunéré 180 euros brut la journée.

Dans le petit monde des initiés, « tirer » un feu pour Lacroix-Ruggieri est gratifiant, c’est presque un privilège. « Les gens sont fiers de travailler pour nous. S’identifier à notre marque de prestige est très important pour eux », affirme Jean-Michel Dambielle, le DGO de l’entreprise. Pour ces artificiers occasionnels, participer à un grand événement, c’est faire partie de l’élite. Avec des déplacements exotiques au Turkménistan, au Maroc ou en Norvège en ligne de mire. « Partir à l’étranger, ça fait partie de la récompense », note Dominique Bernata, du service client. Une reconnaissance qui, selon Walter Simonella, délégué syndical CFDT et secrétaire du CE du groupe Étienne Lacroix, ne passe pas, en revanche, par la rémunération. « La direction ne lâche absolument rien. Par exemple, il n’y a aucune augmentation au-delà de ce que prévoit notre branche, celle de la chimie. »

2-Doper la formation

Dans le secteur de l’artifice de divertissement, et Lacroix-Ruggieri l’a bien compris, la formation est un enjeu de taille, notamment pour se distinguer de ses concurrents, les quelques importateurs de produits d’artifices, à l’instar de France Arts et Feux et de Jacques Margan Organisation. Or tirer un feu d’artifice ne s’apprend pas sur les bancs de l’école. « Il n’existe aucune formation académique », regrette Claude Devernois. Pourtant, manier de la poudre noire est une activité dangereuse. Et les chandelles et autres feux de Bengale entrent dans la catégorie des explosifs. Le site de Sainte-Foy-de-Peyrolières tout comme celui du groupe Étienne Lacroix à Mazères, spécialisé dans la pyrotechnie à usage militaire, sont d’ailleurs classés Seveso 2.

Pas question, donc, de faire partir la moindre fusée d’un calibre supérieur à 100 millimètres ou 50 grammes de matière active sans la présence d’un chef de tir, détenteur de la qualification K4. Cinq ou six centres de formation en France, dont le site de Sainte-Foy-de-Peyrolières, sont accrédités pour la dispenser. Tous les artificiers envoyés par Lacroix-Ruggieri en stage de qualification K4 ont déjà une expérience en tant qu’aide-artificier. La formation K4 s’étale sur cinq jours et aborde à la fois le cadre réglementaire, la prévention des risques ainsi que la composition des différentes bombes. Pour conserver cette qualification, validée par la préfecture, l’artificier K4 n’a d’autre obligation que de tirer deux feux. Ce qui pose un vrai problème à long terme. « Les artificiers sont très sollicités pour le 14 Juillet. Puis, durant l’année, ils n’ont aucune activité. Nous avons du mal à maintenir leur professionnalisme. Et nous n’avons aucune solution pour pallier ce problème », reconnaît Claude Devernois.

3-S’adapter à la réglementation européenne

Au 10 juillet 2010, la France devra se mettre en conformité avec la directive adoptée le 23 mai 2007 définissant une norme communautaire sur l’artifice de divertissement. Conséquence : seuls des professionnels de l’artifice seront habilités à manipuler les bombes incendiaires. « Avec cette professionnalisation forcée, nous avons de réelles craintes quant à l’avenir du métier. Si nous continuons sur cette voie, nous ne pourront plus faire de spectacles », s’alarme Claude Devernois. Néanmoins, Lacroix-Ruggieri s’est mis en ordre de bataille, accélérant la cadence des formations. De 180 artificiers K4, l’entreprise haute-garonnaise est passée à plus de 300 cette année, en vue de l’échéance du 10 juillet 2010. « Cela nous pose de réelles difficultés, nous devons former les gens dans l’urgence et communiquer auprès des mairies pour les avertir des nouvelles exigences communautaires », ajoute Claude Devernois.

Jean-Michel Dambielle relativise toutefois : « Nous sommes informés très en amont puisque deux de nos salariés participent à l’établissement des normes communautaires. Depuis trois ans maintenant, nous savons ce qui va nous arriver. Nous avons mis un coup d’accélérateur sur la formation. » L’entreprise d’artifices fait également entendre sa voix au sein du Syndicat des fabricants d’explosifs, de pyrotechnie et d’artifices, influent en matière de réglementation. « Le fait d’adhérer à ce syndicat nous ouvre les portes au niveau européen », reconnaît Jean-Michel Dambielle. Reste que les puristes dénoncent cette intrusion communautaire dans un domaine où les influences culturelles sont légion. Car « on ne tire pas de la même manière un feu dans le sud de la France et à Strasbourg ». Et les pétarades qui rythment durant une semaine la ville de Valence au moment des fêtes populaires des Fallas seraient incongrues de ce côté-ci des Pyrénées.

4-Mettre le cap à l’international

Bruno Houllier, secrétaire général du groupe Étienne Lacroix, chargé des RH, des finances, du juridique, des achats, etc., se veut réaliste : « La croissance, nous devons aller la chercher à l’international. Le marché français est mature et ne bougera plus beaucoup. » L’Asie et le Moyen-Orient sont les deux marchés que la société toulousaine souhaite conquérir. En Chine, Lacroix-Ruggieri, qui disposait d’un bureau de représentation depuis trois ans, a décidé d’y expatrier au printemps deux salariés. Objectif : implanter la marque Ruggieri, via la création d’une société commerciale, au pied de la Grande Muraille de Chine. Dans les Émirats arabes unis, les intentions de l’entreprise sont tout autres. Elle a dépêché en mars l’un de ses salariés pour y vendre aux riches princes du désert des spectacles clés en main, concoctés par le jeune directeur artistique David Proteau. Un produit de la promotion interne – tout comme Jean-Michel Dambielle, recruté avec un DUT par la filiale Moulages plastiques du Midi –, entré dans l’entreprise à 18 ans en tant que commercial.

Première retombée sonnante et trébuchante, la société midi-pyrénéenne embrasera, en janvier, la mythique tour Burj de Dubaï, le jour de son inauguration. Lacroix-Ruggieri est ambitieux. « Depuis 2007, nous sommes engagés dans une phase de développement. L’international représente 20 % de notre chiffre d’affaires. D’ici à cinq ans, nous espérons porter cette part à 70 % », indique Jean-Michel Dambielle. Mais, dans son esprit, internationalisation ne rime pas avec délocalisation. « Le cœur du réacteur restera en France », affirme-t-il. Un discours qui rassure à Sainte-Foy-de-Peyrolières, où l’on est bien conscient que les feux de sous-préfecture du 14 Juillet ne garantiront pas la pérennité de cette PME, vieille dame de 270 ans…

Repères

Le groupe Étienne Lacroix emploie environ 600 salariés répartis en trois filiales : Lacroix Défense et Sécurité, spécialisé dans la pyrotechnie à usage civil et militaire (leurres de missiles pour la défense, grenades et fumigènes pour la gendarmerie, systèmes anti-avalanches), Lacroix-Ruggieri et Moulages plastiques du Midi. Il a réalisé, en 2008, 83 millions d’euros de chiffre d’affaires et 5 millions d’euros de résultat net.

1848

Étienne Lacroix fonde une société éponyme à Toulouse.

1946

Son gendre, Roger Barès, prend la direction de l’entreprise et la diversifie vers la pyrotechnie à usage technique et militaire.

1997

Le groupe Étienne Lacroix rachète la société Ruggieri.

2007

Lacroix-Ruggieri redevient bénéficiaire.

Nombre d’artificiers du réseau Lacroix-Ruggieri
JEAN-MICHEL DAMBIELLE, DIRECTEUR GENERAL OPERATIONNEL DE LACROIX-RUGGIERI
“Le partage des profits en trois tiers, nous le pratiquons depuis longtemps”

Lacrisea-t-elle aussi touché votre activité ?

Non, car le 14 Juillet reste le grand spectacle en France. Mais cela ne nous a pas empêchés de réagir dès septembre 2008 en axant notre stratégie sur les marchés publics plutôt que sur les grands événements privés. Nous avons eu raison de le faire car les municipalités n’ont pas rogné sur ce budget. En ce moment, les gens n’ont pas le sourire, et il faut plus que jamais les divertir. De même, l’année 2010 se présente plutôt bien. Mais nous surveillons les effets de la disparition de la taxe professionnelle, qui pourrait entraîner une réduction des budgets municipaux.

L’artifice de divertissement est une activité saisonnière. Comment obtenez-vous la flexibilité nécessaire ?

Le 14 Juillet, 5 000 feux Lacroix-Ruggieri sont tirés en France. Nous disposons d’un réseau de 1 600 artificiers employés en grande majorité en CDD. Ce type de contrat nous donne la souplesse nécessaire pour réaliser des embauches ponctuelles, de trois à une dizaine de jours. Cela représente quelques milliers de contrats de travail chaque année. Lorsque nous faisons appel à des intermittents du spectacle, qui travaillent notamment sur les effets spéciaux dans le cinéma, nous recourons aussi au CDD. Cela nous évite de cotiser à plusieurs caisses. Sans compter que le taux des charges est supérieur pour le régime des intermittents du spectacle.

Quel genre de politique sociale menez-vous pour les salariés permanents ?

Nous avons souvent anticipé les négociations au niveau de notre branche, la chimie, tout comme la volonté du législateur. Nous n’avons pas attendu la promulgation de la loi Aubry pour mettre en œuvre les 35 heures. Pour l’annualisation du temps de travail, c’est la même chose. Et la règle des trois tiers, en matière de partage des profits, nous la pratiquons depuis très longtemps. Tout cela explique que le climat social est bon chez Lacroix-Ruggieri.

Est-ce que le fait d’appartenir à une entreprise familiale a un impact ?

Nos actionnaires dirigeants sont, certes, rompus aux techniques financières, mais nous sommes loin des fonds de pension américains. Au sein du groupe Étienne Lacroix, le profit n’est pas une valeur en soi. La valeur première, c’est la sécurité des biens et des salariés. Nous sommes dans une logique de pérennité de l’entreprise. Par ailleurs, Jean-Jacques Barès, le directeur général du groupe, a mis à la tête de chaque entreprise des gens qui ont suivi, comme lui, un executive MBA à HEC. Ainsi, nous parlons tous le même langage.

Comment une PME comme Lacroix-Ruggieri est-elle compétitive sur le marché ?

Lacroix-Ruggieri est l’une des seules entreprises à proposer une gamme aussi étendue. Nos distributeurs doivent pouvoir tout trouver chez nous à un prix compétitif. Nous faisons donc fabriquer 80 % de nos fusées en Chine, mais selon un processus élaboré dans le centre de recherche et de développement commun à tout le groupe Étienne Lacroix, qui compte une centaine de personnes. Pour les grands événements, nous nous différencions par la créativité et l’innovation. Nous avons un directeur artistique qui s’occupe de la création des feux.

À partir de 2010, la France devra transposer une directive européenne relative à la professionnalisation dans l’utilisation des produits d’artifices. Est-ce un danger ?

Il est clair que nous ne pouvons pas professionnaliser tous nos artificiers du jour au lendemain. Mais nous avons jusqu’à 2017 pour nous conformer à la directive. D’ici là, nous allons former le plus grand nombre possible de salariés. Mais cette norme européenne est plus une opportunité qu’une menace. Car nous pourrons tirer nos feux partout dans la zone euro sans avoir besoin de recourir à un artificier du pays.

Quelle stratégie avez-vous adoptée à l’international ?

Notre investissement est très réfléchi. Ce qui coûte le plus cher, c’est d’expatrier des salariés. En Chine, nous avons envoyé deux commerciaux, qui vont recruter quelques personnes sur place. Au Moyen-Orient, nous n’avons qu’une seule personne, qui est chargée de vendre nos spectacles. Et nous ferons appel à des artificiers locaux, que nous formerons.

Propos recueillis par Stéphanie Cachinero et Jean-Paul Coulange

JEAN-MICHEL DAMBIELLE

41 ans.

1990

Après un DUT en génie mécanique et productique et une formation en gestion à l’IAE de Montpellier, il intègre le groupe Étienne Lacroix en tant que commercial dans la filiale Moulages plastiques du Midi.

1999

Directeur commercial de la filiale.

2003

Reprend la direction opérationnelle de Lacroix-Ruggieri.

Auteur

  • Stéphanie Cachinero