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Les DRH perdent la main sur le calendrier

Dossier | publié le : 01.12.2009 | V. D.

Entre durée de cotisation allongée et conditions de cessation d’activité resserrées, les départs sont différés. Au grand dam des DRH, soucieux de maîtriser les flux.

La SNCF a dû revoir à la baisse ses prévisions d’embauche. Au lieu des 4 500 recrutements escomptés, elle devra se contenter de 3 000, du fait d’un nombre insuffisant de départs à la retraite. Conséquence de la mise en œuvre, le 1er juillet 2008, de la réforme de son régime spécial, « seuls 55 % des candidats potentiels à un départ à 55 ans ont effectivement pris leur retraite fin2008, soit une baisse de 20 % en un an », confirme-t-on à la direction de l’entreprise ferroviaire. Une tendance qui devrait s’accentuer les années suivantes, la SNCF n’escomptant plus que 39 % de départs en 2009, et même 31 % l’année suivante. Ce n’est toutefois pas un cas isolé, comme l’illustrent les dernières statistiques diffusées fin octobre par l’assurance vieillesse : les départs à la retraite anticipés devraient ainsi chuter de 122 000 en 2008 à 25 000 en 2009, un phénomène, pour moitié, dû à l’allongement de la durée de cotisation et, pour un tiers, au resserrement des conditions de départ en carrière longue.

Des salariés moins pressés. Pour les services de ressources humaines, bercés depuis plus de vingt ans par une culture de mise à la retraite, perdre la main sur la date de départ de leurs salariés s’apparente à une révolution copernicienne. « Organiser une GPEC devient très difficile quand les départs sont à l’initiative des salariés », confirme Jean-François Sornein, DRHRS du Commissariat à l’énergie atomique (CEA). Reste que, avant même l’interdiction des dernières mises à la retraite d’office au 1er janvier 2010, les premiers effets des réformes successives sur les intentions de départ des salariés se font déjà sentir. « De nombreuses négociations de rupture conventionnelle achoppent faute de trimestres suffisants », observe ainsi Philippe Fraysse, responsable chargé de l’aéronautique chez FO Métaux. « Les salariés sont soucieux de bénéficier d’une retraite sans abattement », confirme Jean Kimmel, associé du cabinet Watson Wyatt. Lancée en 2003, améliorée en 2008, la surcote qui, a contrario, permet à un salarié d’arrondir le montant de sa retraite en restant en activité au-delà de son taux plein décolle : au premier semestre 2009, 41 000 personnes en ont profité, soit 12,5 % des nouveaux retraités, contre 9,6 % en 2008, le départ s’en trouvant ainsi retardé de plus de six trimestres en moyenne.

Parallèlement, la pression sur les indemnités de départ volontaire en retraite (IDVR) s’accentue. Comparée aux indemnités de mise à la retraite assimilées à des indemnités de licenciement, l’IDVR bénéficie en effet d’un régime fiscal et social nettement moins favorable. Encore accrue par le projet, dans le PLFSS 2010, de fiscaliser l’IDVR au premier euro, la prime de départ d’un retraité peut s’en trouver ainsi minorée d’au moins 50 %. « Cette différence de traitement social et fiscal introduit un biais dans la décision de partir des salariés », pointe Jean-Claude Guéry, directeur des affaires sociales de l’Association française des banques. Au point que certaines entreprises de ce secteur ont, selon lui, d’ores et déjà prévenu leurs seniors qu’elles ne feraient plus de mises à la retraite, même après 65 ans, pour éviter que ceux-ci ne retardent délibérément leur départ dans l’attente d’indemnités plus favorables. Sans aller aussi loin, « cela pousse les entreprises et les salariés âgés à négocier individuellement des ruptures conventionnelles pour échapper aux taxes », déplore Bernard Devy, de Force ouvrière. Voire à engager des négociations pour remonter le niveau de ces IDVR.

Au CEA, par exemple, les IDVR seront, à compter de 2010, majorées d’un à deux mois de salaire lorsque le salarié désireux de partir respectera un délai de prévenance de douze à dix-huit mois. Un bonus supprimé s’il n’honore pas son engagement. De son côté, Total a décidé, à l’automne, d’aligner le barème de son indemnité de départ à la retraite (trois mois de salaire) sur celui de l’ancienne indemnité de mise à la retraite (six à douze mois selon l’ancienneté) pour tout départ volontaire à taux plein entre 60 et 65 ans. Un dispositif « transitoire jusqu’à la fin 2012 », assure-t-on chez Total.

Temps partiel en fin de carrière. À défaut de pouvoir encore jouer sur la date de liquidation, les entreprises gardent la main sur les cessations anticipées d’activité, indépendamment d’une éventuelle mise au chômage en fin de carrière, qui demeure la solution de facilité. Mais avec la contrainte qu’au 1er janvier 2010 seuls les chômeurs indemnisés âgés de plus de 61 ans (au lieu de 60 ans et demi) continueront d’être pris en charge jusqu’à l’atteinte de leur taux plein. Conséquence, les temps partiels en fin de carrière se multiplient. À l’instar de l’accord en négociation chez France Télécom. Rémunéré sur la base d’un trois quarts temps, celui-ci pourrait prévoir trois ans d’activité à mi-temps pour un départ à la retraite cotisé à hauteur d’un temps plein par l’employeur. De leur côté, certaines grandes entreprises redécouvrent les mérites du congé de fin d’activité, rémunéré à 70 % de l’ancien salaire et permettant aux seniors de rester à domicile jusqu’à leur retraite. « Un dispositif qui, dorénavant, coûte moins cher qu’une préretraite », reconnaît-on chez Schneider.

Du moins pour les cols blancs qui peuvent se permettre une diminution de leur rémunération. Pour les cols bleus, les organisations syndicales visent toujours l’obtention d’une cessation anticipée via la compensation de conditions de travail pénibles. C’est en discussion chez EADS dans le cadre de la négociation seniors qui, selon Mario Steri, de la FGMM CFDT, pourrait ouvrir le droit jusqu’à sept mois de départ anticipé pour vingt ans de travaux pénibles. Avec, toutefois, le risque de voir le dispositif remis en cause par une dégradation des conditions d’obtention de la retraite complémentaire à 60 ans au-delà de 2010.

« Un congé de fin d’activité vaut toujours mieux que d’avoir des salariés qui restent en poste uniquement pour récupérer des trimestres », plaide Jean Kimmel, du cabinet Watson Wyatt. Il pronostique « un développement du partage du temps entre travail et retraite ». Dans l’absolu, « ce dispositif de cumul emploi-retraite permet aux entreprises de reprendre la main sur la date de départ de leurs salariés via une réembauche en CDD », abonde Philippe Caré, du cabinet Mercer, allant jusqu’à anticiper un effet d’aubaine dans lequel les entreprises vont s’engouffrer. Se fondant sur les résultats d’une enquête sur les « cumulants » qu’elle vient de réaliser, l’assurance vieillesse n’est pas aussi catégorique : constatant que le dispositif reste plutôt l’apanage des cadres en emploi, « un accroissement du dispositif au-delà du taux de cumulants actuels (1,9 %) semble peu probable ». Sauf à assister à un plus qu’hypothétique changement radical des mentalités.

Auteur

  • V. D.