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“La motivation, c’est l’affaire du salarié, pas du manager”

Actu | Entretien | publié le : 01.12.2009 | Éric Béal

Aux yeux du coach, l’entreprise est pour les individus une réalité non seulement matérielle mais psychique dans laquelle les tâches devraient être négociables.

Qu’est-ce qu’une entreprise d’un point de vue psychanalytique ?

Une entreprise, comme tout autre type d’organisation, est une mini-société. C’est-à-dire un lieu de relations humaines et de passions plus ou moins exacerbées. L’identification est le lien principal entre les individus qui la composent. Chacun perçoit son entreprise en fonction de son parcours et de sa structure psychique personnelle. Car si une entreprise constitue une réalité matérielle, c’est avant tout une réalité psychique pour les individus, un objet investi d’amour ou de haine, qui fait jouir ou qui persécute.

Dans ce cas, le manager ne devrait-il pas posséder des compétences en psychologie pour atteindre ses objectifs ?

Non, car un manager doit s’interdire d’entrer dans la vie personnelle de ses collaborateurs. Certains théoriciens du management ont avancé l’idée de manager coach. Je m’y oppose. Manager, c’est être humain, bienveillant, serviable, mais ce n’est pas entrer dans la confidence avec ses collaborateurs. Cependant, les cadres qui ont suivi une psychanalyse font de bien meilleurs meneurs d’hommes. Ils font plus attention à la relation à autrui et sont plus à l’écoute. Ce dernier point est primordial. Car l’objectif d’une organisation ne peut être atteint que si les objectifs personnels de ses acteurs, leurs « désirs », le sont également. C’est pourquoi toute tâche devrait être négociable entre le manager et son subordonné, dans l’intérêt de l’entreprise comme de l’individu. Malheureusement, dans la pratique, peu de managers savent négocier avec leurs collaborateurs. Par manque de temps, incapacité à écouter, mépris ou peur de perdre du pouvoir.

Suffirait-il de négocier pour motiver ses salariés ?

La motivation des salariés ne regarde pas les managers. Les ouvrages de management sont remplis de méthodes – organisation par objectifs, cercles de qualité, équipes autonomes, etc. – qui ne servent à rien pour améliorer la motivation car celle-ci est surtout déterminée par l’histoire de chaque salarié et le sens qu’il donne à son activité. Bref, la motivation, c’est l’affaire du salarié et de ses « signifiants », ces choses qui nous hantent parfois depuis notre enfance. Elles sont propres à chacun de nous et échappent complètement à toutes les recettes managériales.

Le management et l’organisation adoptés par l’entreprise peuvent-ils décourager, au point de pousser des salariés au suicide ?

Je ne crois pas que l’on se suicide à cause du travail. Les conditions de travail peuvent être un facteur déclenchant, mais un suicide est toujours l’aboutissement d’une accumulation de problèmes dans les différentes facettes de sa vie : privée, familiale, affective, professionnelle, etc. Autrement, pourquoi n’y a-t-il pas plus de morts ? Et pourquoi la violence n’est-elle pas tournée vers les dirigeants ou les managers ? Je ne disculpe pas l’entreprise, mais je renvoie à la responsabilité de l’individu. Après tout, il est toujours possible de partir et de chercher ailleurs un environnement de travail plus positif.

Comment se préserver d’un environnement aliénant ou d’un responsable pervers ?

Tout dépend de votre structure psychique. Un quart de la population est narcissique. Pour ceux-là, le travail est une drogue qui calme angoisse et peur du vide. Ils sont en position de jouissance masochiste vis-à-vis de l’entreprise et ne songent pas au suicide. Pour les autres, je préconise la fuite. Il n’est pas étonnant que l’absentéisme soit en augmentation, car c’est la meilleure stratégie pour sauver sa peau et un signe positif d’équilibre personnel. Même recommandation envers un supérieur hiérarchique harceleur. Surtout lorsque l’on sait que certains managers ou patrons sont de structure perverse. Le pouvoir attire le pervers, comme la lumière le papillon, car il facilite la recherche de partenaires complices, puis victimes. Et, face au pervers, la fuite est également la meilleure solution.

Quelle serait la recette d’un bon équilibre personnel au travail ?

Pour être bien dans sa peau, il faut être maître de son temps, de ses outils et de ses produits. Il n’y a que les professions libérales et les artisans qui possèdent ces caractéristiques. Ainsi que certains cadres. À l’inverse, les salariés des grandes entreprises ne maîtrisent rien. Il leur reste à développer une stratégie de compensation, à dénicher un exutoire : hobby, activité associative, syndicalisme. À leur manière, les syndicalistes ont trouvé une identité qui leur permet de résister et de trouver un certain équilibre.

ROLAND BRUNNER

Psychanalyste et coach de dirigeants. Il enseigne à HEC, à l’INT et aux universités Paris VIII et de Provence.

PARCOURS

Cet ancien trader, analyste, formé à la psychosociologie, a travaillé en hôpital psychiatrique pendant sept ans. Il est membre fondateur de la Société française de coaching et de l’Institut psychanalyse & management. Dernier ouvrage paru : Psychanalyse des passions dans l’entreprise (éditions Eyrolles, 2009).

Auteur

  • Éric Béal