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Vie des entreprises

International SOS soigne ses troupes pour mieux conquérir le monde

Vie des entreprises | Méthode | publié le : 01.11.2009 | Anne-Cécile Geoffroy

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(en millions d’euros)

Crédit photo Anne-Cécile Geoffroy

Le leader de l’assistance médicale et de la sécurité intervient partout dans le monde pour protéger les salariés de multinationales. Afin d’assurer la continuité de l’activité, son P-DG, Arnaud Vaissié, cherche à fidéliser ses cadres et à doper leur mobilité.

Des French doctors mêlés à des ex-agents du renseignement, des vols de nuit, des équipes sur les dents 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7… Tous les ingrédients d’une série télévisée sont réunis ! Loin de la fiction, International SOS (6 000 salariés dont un tiers de médecins et d’infirmiers dans 70 pays) est une success story digne d’un manuel de management. À sa tête, deux copains d’enfance, un médecin, Pascal Rey-Herme, et un homme d’affaires, Arnaud Vaissié. Rejoints par un troisième homme, Laurent Sabourin. En vingt-cinq ans, les compères ont fait de cette petite entreprise globale (la société est singapourienne, les fondateurs, français, leur équipe, cosmopolite) le leader mondial de « l’assistance médicale et de la gestion du risque sécurité ».

Leur cible exclusive : les entreprises internationales et leurs salariés. Leurs clients : Shell, Total, Schlumberger… et 80 % des entreprises du CAC 40. Des majors dont le devoir de protection de leurs collaborateurs en santé et sécurité (le duty of care anglo-saxon) ne cesse de croître. Et les salariés nomades, de leur côté, exigent un haut niveau de santé et de sécurité où qu’ils soient dans le monde.

Partis de Singapour, les cofondateurs ont conquis le monde à l’envers : Asie, États-Unis puis Europe. Aujourd’hui, International SOS intervient partout dans le monde et affiche une santé insolente, même en temps de crise. L’an dernier, la croissance du groupe a atteint des sommets, à plus 26 %. Reste que, pour prolonger la tendance, Arnaud Vaissié sait qu’il doit s’appuyer sur ses troupes, constituées essentiellement de cadres et d’experts internationaux. Des profils qu’il faut savoir capter et surtout fidéliser.

1-Assurer la continuité et la qualité du service

H1N1 oblige, impossible de pénétrer dans la clinique d’International SOS à Pékin sans montrer patte blanche ! À l’entrée du bâtiment, une infirmière pointe sur le front des visiteurs un thermomètre infrarouge. À l’étage, pas question non plus d’entrer dans le centre d’alarme sans s’être désinfecté les mains et avoir mis un masque. Dans cette grande salle, une quinzaine de chargés d’opération et quatre médecins régulateurs gèrent les appels d’expatriés malades, à la recherche d’une clinique ou d’un praticien, organisent des rapatriements sanitaires ou sécuritaires si les situations sont plus critiques.

À Levallois-Perret, au siège français, les mêmes précautions sont prises, à l’exception du port du masque. « Face à la grippe H1N1, nous sommes capables d’assurer une continuité de service, explique le docteur Philippe Guibert, directeur médical des programmes de santé. Si nous devions fermer le plateau français, tous les appels seraient routés vers nos autres centres d’alarme. » Vingt-six centres disséminés dans le monde fonctionnent nuit et jour. En 2008, la société a géré plus de 4 millions d’appels. « C’est un métier où l’on ne s’arrête jamais. En dehors de trois ou quatre jours autour de Noël, nous ne connaissons pas de trêve », constate Laurent Fourier, DG de la région Europe continentale (EMEA). Une permanence nécessaire pour rassurer des clients exigeants et de plus en plus soucieux de leur responsabilité sociale. « On ne vend pas des boulons, souligne Laurent Arnulf, le directeur médical de la région EMEA. La santé et le médical sont des sujets trop sensibles pour accepter les approximations. » Ces dernières années, International SOS développe de plus en plus de services de consulting médical, organise des formations de prévention pour les expatriés et met au point des logiciels pour localiser à tout moment les salariés en voyage d’affaires. Une petite dizaine de médecins, spécialistes en santé publique, accompagnent ainsi les entreprises dans la définition et la mise en place de leur politique sanitaire. « Nous réalisons des audits sur le terrain pour évaluer les risques en matière de santé, explique le docteur Philippe Guibert. L’exploitation d’une mine dans un pays en développement n’est jamais anodine. L’entreprise peut être confrontée au sida, au paludisme. Elle peut aussi choisir d’ouvrir un centre médical et d’en faire bénéficier la population locale. » Sans oublier une activité de plus en plus importante de « sûreté », autrement dit de protection des salariés dans des régions sensibles. « Attention, nous ne sommes pas des kaki. Nous n’intervenons pas en zone de guerre », prévient Laurent Fourier.

2-Favoriser la mobilité internationale

International SOS est tout sauf une entreprise franco-française. « Nous voulons être à l’image de nos partenaires présents dans le monde entier pour répondre au mieux à leurs attentes », explique Laurent Arnulf. À Dubaï, où un centre d’alarme a récemment été ouvert, 34 nationalités différentes sont regroupées sur un même plateau. Même chose à Pékin. Thomas Molnar, DG vente et marketing pour la Chine, est hongrois. Il vient d’arriver à Pékin. Auparavant, il était basé à Francfort. Son collègue Bertus Pretorius, responsable des cliniques chinoises, vient d’Afrique du Sud. Il a aussi vécu en Namibie puis à Singapour lorsqu’il a rejoint le groupe. Un melting-pot voulu et entretenu par les fondateurs d’International SOS.

Sans surprise, l’anglais est la langue de travail. Avant de rejoindre l’entreprise, la plupart des salariés ont souvent bourlingué aux quatre coins du monde. Une mobilité toujours encouragée une fois qu’ils sont embauchés. « En deux ans et demi, j’ai vécu dans trois pays à des postes différents. Ici, la mobilité n’est pas une politique RH, c’est la culture même de l’entreprise », décrypte Thomas Molnar. « J’aime bouger et réinventer ma vie tous les deux à trois ans, avoue Olivier Roux, responsable des opérations pour le département des services médicaux, qui supervise les 42 cliniques International SOS créées chez ses clients en Chine. J’ai travaillé sur les plateaux de Philadelphie, Londres et Taipei avant de venir à Pékin. » Le parcours d’Olivier Barles, directeur médical assistance au centre d’alarme de Levallois, est dans la même veine. Dans son album de souvenirs : la Chine, le Nigeria, le Congo… « Quand vous avez goûté à cette vie, il est très difficile de s’en défaire », reconnaît-il.

Sur les 6 000 salariés, l’entreprise compte 1 000 expatriés sous contrat singapourien. Pour faciliter la mobilité géographique et s’adapter aux conditions de travail parfois difficiles, International SOS dispose de toute une palette de contrats. « Se trouver plus de quatre semaines dans un conteneur au cœur du désert algérien ou sur une plate-forme pétrolière est très éprouvant », souligne Philippe Guibert. Les médecins, qui, souvent, travaillent aussi pour le Samu ou des ONG internationales, se voient proposer des contrats back to back (missions) d’un mois. Lorsque les conditions de travail sont plus classiques, ils peuvent choisir un contrat set up, plus long, ou un CDI.

3-Fidéliser les experts

Pas de médecins « défroqués » chez International SOS ! Le terrain, toujours le terrain. « C’est de là que nous tirons notre légitimité auprès des clients », souligne Laurent Arnulf. Une caractéristique valable pour l’ensemble des collaborateurs, des chargés d’assistance susceptibles d’accompagner une escorte sanitaire ou d’accueillir des expatriés rapatriés d’urgence aux experts santé ou sécurité. Reste que, pour attirer ces profils atypiques, l’entreprise doit se mettre en quatre. Car la greffe peut ne pas prendre tant le travail est stressant et les enjeux vitaux. « Il faut que les personnes que nous recrutons s’adaptent au travail d’équipe et au respect des procédures », indique Xavier Carn, directeur sécurité pour la région Cema.

Pour fidéliser ces experts, l’entreprise peaufine ses recrutements. « Je n’ai jamais vécu un processus de recrutement aussi long, avoue Christophe Eigl, chargé d’opération au centre d’alarme de Levallois. Un entretien téléphonique, une rencontre avec les ressources humaines, une autre avec les managers des opérations. Et, pour finir, trois heures de tests d’anglais, de géographie, d’interprétation de procédures », se souvient-il. Pour les médecins ou les experts en sûreté, c’est le réseautage qui permet de trouver les bons profils. « Nous sommes adeptes de la cooptation, reconnaît Laurent Fourier. Mais nous multiplions aussi les rencontres avec les candidats pour prendre notre décision. » Dans son processus de fidélisation, l’entreprise compte beaucoup sur l’intégration et la formation. « Un chargé d’assistance commencera à être à l’aise dans son métier au bout de six mois et sera parfaitement formé au bout d’un an », poursuit-il.

Après cinq semaines de formation et de simulation, il sera « lâché » sur le plateau. Le groupe a également créé son école interne, à Singapour, il y a trois ans, pour mieux accompagner les cadres dans leur prise de fonction. « Deux mille cinq cents salariés sont déjà passés par cette formation, qui peut durer de trois à six mois », indique Arnaud Vaissié. « J’ai eu droit à quatre semaines de formation pour être parfaitement briefé sur mon nouveau poste », se souvient Olivier Roux. « Ici, je sais que je pourrai avoir cinq jours de formation médicale continue tous les ans et la possibilité de passer des diplômes étrangers », se réjouit la docteur Nathalie Legras-Wijkhuisen, en poste à Pékin.

4-Unifier les statuts en France

La filiale française d’International SOS est une PME de 150 salariés. Résultat, ses pratiques RH sont un peu à l’image de toutes les petites entreprises : en voie de professionnalisation. Son histoire est issue des différentes acquisitions réalisées dans le courant des années 90 (rachat des sociétés Sami et SMI) et de la diversification de ses activités. Pas moins de trois conventions collectives différentes couvrent une partie des salariés : celles de l’assistance, du tourisme (International SOS dispose de sa propre agence de voyages) et du courtage. Les autres, notamment les employés, sont couverts par le seul Code du travail. « Nous avons négocié l’UES en 2004, mais nous n’avons toujours pas unifié les statuts, explique Judith Nagy, déléguée syndicale CFDT, la seule dans l’entreprise, et secrétaire du comité d’entreprise. Je ne désespère pas. Dans notre premier accord, la société s’est engagée à poursuivre les négociations. »

Tous les salariés ne sont pas logés à la même enseigne concernant le treizième mois ou les jours de congé… Et, quand arrive Noël et les premières chaleurs de l’été, les dents grincent dans les étages. Laurent Fourier, le DG de la filiale, en est conscient. « Nous devons réaliser l’unification des statuts mais aussi rafraîchir l’accord d’entreprise, bâtir un plan de formation qui réponde encore plus aux besoins des collaborateurs de l’entreprise, négocier un accord sur les seniors, un autre sur le handicap. »

Des chantiers que la nouvelle DRH de l’entreprise, arrivée fin septembre, devra mettre en place rapidement. « Les quatre dernières années ont été plutôt tendues avec la précédente direction des ressources humaines, indique Judith Nagy. Nous avons tout de même réussi à obtenir une négociation sur les salaires pour la première fois l’an dernier. Aujourd’hui, nous attendons beaucoup de la nouvelle DRH. » Reste que les préoccupations des salariés de la filiale française sont bien éloignées de celles des nombreux collaborateurs d’International SOS disséminés partout dans le monde…

Repères

Pour assurer le même niveau d’assistance médicale et sécurité à ses clients, International SOS développe et labellise un vivier de 56 446 prestataires à travers le monde. Des prestataires médicaux, paramédicaux, mais aussi techniques pour assurer les rapatriements par avion.

11

C’est le nombre d’avions sanitaires dont dispose International SOS dans le monde. La majorité des évacuations médicalisées est néanmoins effectuée sur des vols commerciaux.

18 000

C’est le nombre d’évacuations d’urgence et de rapatriements sanitaires réalisés chaque année.

400

C’est le nombre de sites isolés sur lesquels intervient International SOS, soit pour gérer des structures médicales, soit pour les sécuriser.

Évolution du chiffre d’affaires du groupe (en millions d’euros)
ENTRETIEN AVEC ARNAUD VAISSIÉ, P-DG D’INTERNATIONAL SOS
“Les amortisseurs sociaux créent une société inégalitaire”

Votre entreprise est très internationale. Quel modèle de management avez-vous construit ?

Nous sommes une entreprise très matricielle. Nous poussons nos filiales à échanger leurs meilleures pratiques. Une intégration forte des différents départements est pour nous essentielle. Notre filiale française est, de ce point de vue, l’une des plus innovantes du groupe. Elle sait faire travailler ensemble nos médecins et experts sûreté, nos opérationnels ainsi que nos consultants et équipe marketing. Par ailleurs, nous sommes trois dirigeants, pas forcément toujours d’accord. Nous avons donc une obligation de dialogue. Qui se décline à tous les niveaux. Nous avons ainsi créé, pour la partie médicale, une cellule composée de nos meilleurs médecins. S’il y a désaccord médical, les collaborateurs doivent reporter à cette structure. Ce système d’« escalade » se fait exclusivement par téléphone. Nous avons créé une vraie capacité de réaction au sein du groupe. Et nous l’avons dupliquée pour la partie sécurité.

Les collaborateurs sont-ils à l’aise avec ce modèle ?

Il faut convaincre nos collaborateurs de faire passer toute l’information, y compris les mauvaises nouvelles. Dans le secteur de l’urgence, l’erreur peut avoir des conséquences dramatiques. Plus elle est connue à temps, mieux elle peut être rectifiée. Ce que je ne tolère pas, c’est l’information qui ne passe pas. Pour y remédier, il est important de ne pas « tuer » le messager !

Vos équipes travaillent dans l’urgence. Comment gérez-vous le stress ?

Nous avons eu jusqu’ici du mal à trouver le bon équilibre entre vie professionnelle et vie privée. Nous commençons à réfléchir à ces questions. Mais plutôt que de dire aux salariés « levez le pied » alors qu’ils n’en ont pas la possibilité, nous cherchons surtout à mieux planifier nos recrutements par rapport au développement de la structure à trois ans.

Le modèle social français accentue-t-il ce stress ?

Nous nous sommes tiré une balle dans le pied avec les 35 heures. L’intensification du travail est extrêmement forte, notamment pour les cadres qui ont le sentiment de ne plus faire correctement leur job. Si l’on se compare avec d’autres pays, par exemple l’Angleterre, plus durement touchée par la crise, la situation paraît moins tendue qu’en France. Les Français sont très anxieux quant à leur emploi. Ils savent qu’en cas de licenciement ils auront du mal à rebondir. Pour fluidifier le marché du travail, des améliorations ont été apportées, comme la rupture conventionnelle, que nous avions recommandée dans le cadre du Cercle d’outre-Manche. Mais il reste encore beaucoup à faire. Pourquoi bénéficier des mêmes avantages sociaux à 25 qu’à 55 ans ? C’est absurde. Les besoins diffèrent. Pourquoi un célibataire aurait-il autant de congés qu’une personne avec des enfants ? Nos jeunes élites travaillent un mois de moins que n’importe quels autres jeunes diplômés dans le monde. Et pourquoi ne pas accepter que l’on puisse gagner moins en fin de carrière ? Des compromis doivent être proposés : on vous assure moins de stress à 55 ans mais, en contrepartie, vous serez moins rémunéré.

Nos amortisseurs sociaux sont plébiscités avec la crise. Est-ce justifié ?

Ne nous trompons pas. Ce n’est pas parce que la crise nous a un peu moins touchés que nous rebondirons mieux grâce à nos amortisseurs sociaux. Sur le plan économique, nous sommes partis de plus bas. À Singapour, depuis la crise, l’État subventionne les entreprises pour les aider à garder leurs employés. Nous avons ainsi reçu, chaque mois, 200 euros par salarié. C’est intelligent, dans la mesure où cette subvention est temporaire. Par ailleurs, les pays européens qui sont en plein-emploi sont ceux qui ont le moins de contraintes pour licencier. En France, la réglementation pousse les entreprises à fonctionner en sous-emploi. Les amortisseurs sociaux sont sans doute utiles mais ils ont aussi créé une société profondément inégalitaire où des salariés en CDI côtoient de gros bataillons de précaires.

Que pensez-vous du RSA jeunes ?

C’est une bonne idée, qui vient d’Angleterre. Tony Blair avait créé un système équivalent à la fin des années 90, appelé New Deal, adapté aux spécificités des secteurs d’activité, au profit des salariés, des jeunes ou des handicapés. Avec les excès scandaleux de la City, on a tendance à jeter le bébé avec l’eau du bain. Le problème du marché du travail en France, c’est que vous n’êtes employable qu’entre 25 et 45 ans. Vous n’avez le droit d’être ni jeune ni vieux !

Propos recueillis par Sandrine Foulon et Anne-Cécile Geoffroy

ARNAUD VAISSIÉ

54 ans.

1982

Diplômé de Sciences po.

1983

Directeur général de Compass Inc., à San Francisco.

1985

Cofondateur et P-DG d’International SOS.

2004

Cofondateur du Cercle d’outre-Manche, un think tank rassemblant les principales entreprises françaises au Royaume-Uni.

Auteur

  • Anne-Cécile Geoffroy