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Enquête

En famille, on ne sait pas parler du travail

Enquête | publié le : 01.11.2009 | Anne-Cécile Geoffroy

Quand ils évoquent leur métier à la maison, les parents ont du mal à être transparents et à trouver la juste mesure. Pas étonnant que les enfants en aient une vision décalée.

Ma mère, elle est assistante sociale je crois… », avance Morgane, 12 ans, plus vraiment sûre d’elle une fois les mots prononcés. À ses côtés, Sandrine, sa maman, assistante de communication chez L’Oréal, ouvre des yeux ronds. « Mais pourquoi tu dis ça ? » La réponse tombe, difficile à parer. « Ben… Tu parles tout le temps et tu écoutes beaucoup les gens non ? » De son côté, Maya, 13 ans, n’hésite pas à exprimer son ras-le-bol. « Papa et maman parlent tous les soirs de leur travail. Ça commence à prendre un peu trop de place à la maison. » Adrien, son père, ingénieur dans un groupe industriel allemand, se défend : « Ça me permet de prendre du recul, de décompresser. » Des anecdotes qui disent la difficulté à parler de son travail en famille, de trouver la bonne distance, de l’écart qui peut s’installer entre l’idée que les enfants se font du métier de leurs parents et la réalité que vivent ces derniers. Quand certains adultes s’évertuent à dresser une barrière presque étanche entre leur vie professionnelle et leur vie familiale, d’autres vident leur sac et font souvent inconsciemment supporter à leurs enfants le poids de leur stress. D’autres encore relient systématiquement le travail aux études et à la réussite scolaire et répètent à l’envi : travaille bien à l’école, tu auras un bon métier. « La seule préoccupation des parents, c’est la réussite du moment, regrette le sociologue Michel Fize, spécialiste des adolescents. Les parents veulent avant tout savoir comment préparer au mieux leurs enfants aux bonnes filières d’études. » Pierre-Yves, professeur d’optométrie, reconnaît parler assez peu de l’avenir de ses enfants. « Je veux laisser les choses se faire, je trouve qu’ils ont suffisamment de pression. Je leur dis juste qu’il faut être bon à l’école pour faire ce que l’on veut. »

« Préserver une bulle consensuelle. » Pour Catherine Lott-Vernet, P-DG de Junium, une agence de communication spécialiste des jeunes, « les parents tentent de préserver une bulle consensuelle à la maison. Du coup, parler du travail, c’est un peu comme parler d’argent ou de sexualité, on évite d’aborder le sujet en profondeur ». De fait, parler du travail à ses enfants se borne bien souvent à évoquer les relations interpersonnelles que l’on tisse au bureau ou à l’usine. « Je me contente de parler de mes relations au travail », admet Florence, rédactrice au Sénat. Même constat de Marie-Christine, chargée de communication dans une institution financière : « Les enfants adorent quand je leur parle de mes collègues. Ils me demandent des nouvelles d’untel ou d’unetelle. » Malika, secrétaire chez un notaire, se montre plus réservée. « Je n’ai pas envie de leur donner du souci en plus. Car on a tendance à raconter nos tracas avec les collègues ou les clients, pas les bons moments. »

Dire que l’on peut prendre du plaisir au travail, les salariés ont tendance à l’occulter une fois leur casquette de parents sur la tête. Pour la pédiatre Jacqueline Salomon-Pomper, « les parents estiment à tort que leur activité professionnelle ne concerne pas les enfants. De la même façon qu’il est souhaitable de dîner en famille, il est souhaitable d’aménager un temps pour parler de ce que l’on a fait dans la journée ou dans la semaine, de partager les bons ou les mauvais moments ». Alain Mergier, sociologue, directeur du cabinet de conseil Wei, ajoute : « Les parents devraient inciter leurs enfants à prendre des risques. Quand on fait un choix professionnel, on prend un risque, avec ses bons et ses mauvais côtés. Or on a tendance à ne voir que la dimension négative, la menace. »

Bien souvent, quand les parents parlent de plaisir ou de satisfaction au travail, c’est pour mieux contourner les questions très directes de leurs ados pour qui travailler, c’est aussi et surtout gagner de l’argent. « Quand mon aînée me demande combien je gagne, je retourne la question en lui parlant de ma satisfaction au travail », explique Sandrine, chez L’Oréal. Selon Nathalie Vendrand, directrice du magazine pour ados Imagine ton futur, « les jeunes sont beaucoup plus pragmatiques et concrets que leurs parents. Parce qu’ils communiquent en permanence, de nombreux sujets ne sont plus tabous. Mieux vaut être transparents, honnêtes, dire son salaire tout en leur donnant des ordres de grandeur ».

Ironie de l’histoire, pour réconcilier parents et enfants, faciliter le dialogue autour du travail à la maison, des entreprises commencent à prendre les choses en main. Afin d’aider leurs collaborateurs à mieux concilier vie professionnelle et vie privée, 120 entreprises ont signé la charte proposée par l’Observatoire de la parentalité en entreprise. Moins par philanthropie que par pragmatisme, parce qu’un parent bien dans ses baskets est aussi un salarié plus productif.

Auteur

  • Anne-Cécile Geoffroy