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École et entreprise s’apprivoisent

Enquête | publié le : 01.11.2009 | Laure Dumont

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Outils et acteurs de l’ouverture au monde du travail

Crédit photo Laure Dumont

Stages, partenariats, kits pédagogiques… Depuis dix ans, les initiatives foisonnent pour aider les collégiens à décrypter le monde du travail. L’institution scolaire s’ouvre peu à peu.

Dans l’immense salle de techno, la voix de Julien Bousson porte bien : « Aujourd’hui vous continuez à travailler sur les logos et slogans de vos entreprises. Je vous rappelle que vous devez impérativement me rendre vos CV et lettres de motivation vendredi. Ensuite, nous travaillerons sur le business plan. » En cet après-midi de septembre, les élèves de troisième du collège Henri-Sellier, à Suresnes, s’attellent studieusement, par groupes de deux ou trois, à la conception de leur entreprise. Dans quelques jours, ils voteront pour le meilleur projet puis lanceront ensemble la fabrication des objets qu’ils vendront aux habitants du quartier, une fois réalisée l’étude de marché. Après les entretiens d’embauche qu’ils passeront avec leur DRH (leur prof), ils endosseront chacun une fonction : commercial, chargé de fabrication, P-DG… L’année dernière, leurs prédécesseurs ont fabriqué des voitures télécommandées et des horloges en forme d’ourson. « Grâce à ce programme, ils font le lien entre les matières scolaires et la réalité, explique Julien Bousson. Quand ils créent un logo, ils font de l’art plastique, et des maths quand ils calculent un prix psychologique. »

Ce professeur de techno est un relais très actif de l’Association jeunesse et entreprises (AJE). Créée en 1986 par Yvon Gattaz, et toujours présidée par l’ancien patron du CNPF, cette association pionnière œuvre depuis plus de vingt ans au rapprochement entre entreprises, collèges et lycées. Aujourd’hui, 30 clubs régionaux déclinent cette ambition, chacun à sa manière. « Nous trouvions que les stages d’une semaine en entreprise en troisième n’étaient pas très efficaces, raconte Martine Laffontan, du club AJE Pays basque. Au bout de deux jours, on ne savait plus trop comment occuper les stagiaires. Du coup, nous avons fait une contre-proposition sous forme de ministages, quatre mercredis après-midi de suite. Les élèves choisissent une entreprise parmi 30 partenaires et y sont reçus individuellement, quatre fois deux heures. Leur compte rendu est noté, et les points au-dessus de la moyenne comptent pour le brevet. » Depuis leur lancement en 2003, ces ministages ont vu passer 400 jeunes Bayonnais, qui en reviennent aussi enthousiastes que leurs enseignants.

Relations pacifiées. Une révolution serait-elle en marche dans le bastion Éducation nationale, plutôt réputé pour sa méfiance congénitale à l’égard de l’entreprise ? « À la fin du XIXe siècle, l’école publique en France s’est construite contre l’église et contre l’entreprise, rappelle Jean-Paul de Gaudemar, recteur de l’académie d’Aix-Marseille. L’histoire de la relation entre l’école et le monde économique a longtemps été difficile, mais elle s’est pacifiée. Les barrières sont abattues depuis longtemps, même si tout reste à construire. »

Il reste ici et là quelques îlots de résistance, comme en témoigne, à contrecœur, Pierre Kosciusko-Morizet, P-DG de PriceMinister et membre actif de l’association 100 000 Entrepreneurs : « On devait accueillir des collégiens en juin dernier. Au dernier moment, le principal m’a appelé, désolé, pour me prévenir que les jeunes ne viendraient pas. Certains professeurs refusaient qu’ils se rendent dans une entreprise. Ils craignaient une manipulation des élèves. Mais ne racontez pas ça ! La grande majorité des enseignants sont très demandeurs et veulent travailler avec nous. »

Depuis sa création en 2006 par une bande de copains chefs d’entreprise et cadres, 100 000 Entrepreneurs a organisé des centaines d’interventions – 1 500 rien que l’année dernière – dans les collèges et lycées et se trouve aujourd’hui victime de son succès. « Parallèlement aux interventions ponctuelles de chefs d’entreprise, nous avons mis en place des parrainages de classes entières, explique Laila Nassim, permanente de l’association. Certains intervenants étaient frustrés de ne pas suivre les jeunes sur la durée. Mais nous avons dû retirer ce programme car nous avons plus de demandes que de parrains. » Pour remédier à cette lacune, 100 000 Entrepreneurs s’est rapproché d’une autre association, Entreprendre pour apprendre, également sous convention avec l’Éducation nationale.

Des Ingénieurs pour l’école (IPE) au Réseau national des entreprises pour l’égalité des chances dans l’Éducation nationale, les associations développant les partenariats école-entreprise foisonnent depuis dix ans. Les fédérations professionnelles et les entreprises ne sont pas en reste : kits pédagogiques, BD, DVD… tous les moyens sont bons pour séduire les collégiens et leur donner les clés de compréhension du monde du travail. À Lyon, début octobre, se tenaient par exemple « Les coulisses du bâtiment », initiative de la Fédération française du bâtiment (FFB) pour faire découvrir les métiers de ce secteur aux jeunes. « Les formations du bâtiment ont longtemps été considérées comme des sections poubelles, commente Hugo Charbonnel, président du groupe des jeunes de la Fédération lyonnaise du bâtiment. Mais beaucoup de jeunes s’y sont révélés alors qu’ils étaient arrivés là un peu par défaut. Dans le bâtiment, même sans diplôme, on peut finir chef d’entreprise. » Dernière tendance, la classe transplantée ou classe en entreprise. « Les élèves viennent avec leurs enseignants faire classe au sein de l’entreprise trois jours de suite, explique Jean-Christophe Prunet, P-DG de la société Rohde et Schwarz, à Meudon-la-Forêt, et initiateur de cette expérimentation. Les jeunes voient les métiers in vivo. »

La DP3, soit trois heures de “découverte professionnelle” hebdomadaires, installée dans 80 % des collèges, est l’option la plus demandée par les troisièmes

Besoin de main-d’œuvre. À l’Éducation nationale, on apprécie toutes ces initiatives, même si l’on garde la tête froide. « Les entreprises ont compris qu’il fallait aller vers les jeunes là où ils se trouvent. Certaines branches seront confrontées à des besoins élevés de renouvellement de main-d’œuvre dans les années à venir », note Jean-Claude Billiet, inspecteur général de l’Éducation nationale responsable du Cerpet, le trop méconnu Centre d’études et de ressources pour les professeurs de l’enseignement technique, « mais l’Éducation nationale doit apporter une démarche objective, davantage axée sur les compétences que sur les métiers ».

Il faut bien dire que c’est en interne que la révolution a commencé. Des cellules école-entreprise sont apparues dans les 30 académies de France dès la fin des années 90. Une Semaine école-entreprise a été lancée en 2004. À la rentrée 2005, la « séquence d’observation en entreprise » d’une semaine est devenue obligatoire pour les troisièmes et une nouvelle option a vu le jour, placée sur le même plan que le latin : la DP3, soit trois heures de « découverte professionnelle » hebdomadaires. « Il y avait de nombreuses initiatives locales, raconte le recteur Jean-Paul de Gaudemar, qui a impulsé cette réforme, mais il fallait donner une dimension officielle à la découverte professionnelle. » Et un cahier des charges précis, que la vigilance et l’implication des recteurs doit garantir. La DP3 est ouverte à tous les élèves et ne doit pas être insidieusement réservée aux élèves en difficulté. Elle est animée par une équipe pluridisciplinaire et pas seulement par le prof de techno. Enfin, elle est obligatoirement partenariale en s’appuyant sur la participation de l’environnement économique.

Résultat ? Les élèves en redemandent. La DP3 est installée dans plus de 80 % des collèges, et il s’agit de l’option la plus demandée par les troisièmes, comme le souligne le rapport publié en juin par l’inspecteur général Jean-Claude Billiet. Les associations citées plus haut ou des fédérations comme Les entreprises du médicament proposent des outils pour la DP3. Et 1 000 professeurs de collège ont déjà effectué un stage de trois jours par l’intermédiaire du Cerpet dans ses 200 entreprises partenaires (PSA, McDo La Poste, Nestlé, Ikea…) pour se préparer à enseigner cette option. Partenariats, conventions, chartes…, les liens entre les entreprises et l’école se tissent progressivement. « Il faut faire entrer ces relations dans la banalité du quotidien », plaide Jean-Paul de Gaudemar. Parce qu’un jour l’entreprise sera le quotidien de nos ados.

Un parc pour jouer aux métiers

Pompier, pizzaiolo ou archéologue le matin, docteur, photographe ou détective l’après-midi. À Wannado City, un parc d’attractions basé en Floride, on joue aux métiers à longueur de journée. Un cockpit d’avion est par exemple destiné aux pilotes de ligne en herbe, et un grand chapiteau accueille ceux qui veulent briller sur la piste aux étoiles, faire le clown ou jouer les Monsieur Loyal. Nouvelle lubie made in USA ? Il s’agit en fait d’une vraie tendance puisque le phénomène se développe aux quatre coins du monde. Du Mexique au Portugal en passant par la Corée ou le Japon, le concept s’appelle cette fois Kidzania et se décline toujours de la même façon : cela ressemble à un gigantesque centre commercial, d’un genre un peu particulier. Car ici, exit les envies d’achats compulsifs : ni joujoux ni souvenirs dans les boutiques, qui sont en réalité autant de petites sociétés spécialisées dans tel ou tel métier. Devant chacune d’elles, des files interminables de bambins, impatients d’endosser leur costume d’infirmier ou de banquière. Une fois qu’ils sont accoutrés, des animateurs accueillent les enfants et leur expliquent en quoi consiste leur nouvel « emploi ». Puis action !

C’est après une visite dans l’un de ces parcs à thème qu’Évelyne Villame, gérante de la future société La Boîte aux enfants et ancienne directrice marketing de Grévin & Cie (Parc Astérix, La Mer de sable, Walibi…), a décidé de lancer le même concept en France, baptisé Bizyville, tout en l’adaptant. « À Kidzania, j’ai vu des enfants heureux… mais des parents qui s’ennuyaient ! »

D’où l’idée de leur dédier un espace, L’École des parents, où ils apprendraient comment parler du monde du travail à leurs bouts de chou. À cette fin, Bizyville ambitionne de leur proposer une armada d’articles ludiques, un fonds documentaire sur les métiers, des rencontres avec des professionnels, des quiz…

Évelyne Villame espère ouvrir les portes de Bizyville d’ici à trois ans. Et avant d’endosser le costume de « directrice de parc d’attractions », elle joue pour l’instant à l’entrepreneuse, car il lui reste à boucler son tour de table, dénicher un terrain adapté en région parisienne et convaincre quelques partenaires.

Stéphanie Cachinero

Auteur

  • Laure Dumont