logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Actu

“Le patronat n’a changé qu’à la marge”

Actu | Entretien | publié le : 01.11.2009 | Jean-Paul Coulange, Sandrine Foulon

Le sociologue explore l’univers méconnu du syndicalisme patronal. Un monde qui réfléchit peu à sa doctrine et recherche constamment un consensus interne.

Pourquoi la sociologie s’intéresse-t-elle si peu au patronat ?

Les mémoires d’étudiants sur le militantisme ouvrier ou altermondialiste se comptent par dizaines… En revanche, rien sur les organisations patronales. Cela tient au fait que l’univers patronal est très étranger à celui des sociologues. Le patronat entraîne chez eux désintérêt, voire mépris. Un sentiment réciproque, d’ailleurs. Ce n’est pas non plus un sujet dont on sort indemne. Mais, le plus frappant, c’est la méconnaissance qu’ont les organisations patronales de leur histoire. C’est un monde à archives discrètes. Elles ont été soit détruites volontairement, dans les années 70, soit accidentellement dans un incendie, soit lors du déménagement du Medef avenue Bosquet. Des archives aussi secrètes que celles du Vatican. Aucun document ne peut être communiqué avant quarante ans ! Et, en deçà, ni correspondance ni documents financiers.

Le Medef revendique 750 000 entreprises adhérentes. Cela vous paraît-il plausible ?

Le CNPF parlait d’un million ! Dans la banque ou les travaux publics, le taux de syndicalisation patronale peut atteindre 90 % ou plus. Dans d’autres secteurs, il peut tomber à 30 ou 35 %. Mais par rapport à quoi, aux 3,3 millions d’établissements en France, au 1,2 million d’entreprises ayant au moins un salarié ? Le système d’adhésion est extrêmement compliqué. En dépit des efforts des présidents du CNPF puis du Medef pour contourner le pouvoir des très nombreuses branches (85) en essayant notamment de favoriser l’adhésion directe au Medef, elles demeurent le vecteur essentiel d’adhésion ; l’adhésion territoriale directe reste marginale.

Le Medef se pose comme le porte-parole du patronat. Est-ce le seul ?

Pour beaucoup d’observateurs, le patronat, ou désormais la voix des entreprises, c’est le Medef. Mais des noyaux de réflexion militants ont pu jouer ou jouent un rôle important : les dirigeants chrétiens, les jeunes dirigeants… ou Ethic ou Entreprise et Progrès, qui ont perdu de leur autorité depuis vingt ans. Des think tanks, à l’instar de l’Institut de l’entreprise ou de l’Institut Montaigne, sont plus actifs. Mais il faut aussi compter avec l’Afep, qui fait autorité dans le domaine fiscal. Et avec la CGPME, qui a réussi sa mue en s’affranchissant de la doctrine poujadiste et que redoutent les dirigeants du Medef. Le rôle du président du CNPF puis du Medef a toujours été de faire des consensus entre les intérêts des petites et des grandes entreprises, de trouver le plus petit dénominateur commun. Par exemple sur la réforme de la taxe professionnelle, avec l’idée que personne ne va y perdre alors que c’est évidemment faux.

Existe-t-il une doctrine patronale ?

La naissance du syndicalisme patronal remonte au début du XIXe siècle. Mais ce ne sont pas des instances qui réfléchissent à leur organisation, ni à leurs missions. Parmi les rares théoriciens du patronat, il y a eu l’oncle de Dominique de Calan, Pierre, qui a initié la Charte libérale en 1965. Mais l’idéologie patronale n’a jamais vraiment été néolibérale car elle était bridée par l’UIMM. Plus récemment, Denis Kessler a proposé, avec la refondation sociale, une autre vision de la société remettant à plat les rapports sociaux, à partir d’un système fondé sur la société du risque. Mais la greffe n’a pas pris au sein du patronat. Et, depuis son départ, il n’y a plus de doctrine ferme ni de corpus nouveau au Medef. Besoin d’air, le document qu’a produit Laurence Parisot, est moins une doctrine qu’une collection de témoignages.

Laurence Parisot briguera un deuxième mandat en 2010. Quel est son bilan ?

Le Medef n’est plus le CNPF. Quoique ! Ce qui a changé, c’est la place des femmes, des services et surtout la communication. La présidente du Medef affiche une volonté de transparence, communicationnelle. Même si on constate une absence de sondage sur sa cote de popularité et sur celle du Medef depuis plusieurs années. Avec son projet Ambition 2010, Laurence Parisot voudrait faire fonctionner le Medef comme une entreprise, au siège et dans toute l’organisation ; mais casser une machine héritée du début du XXe siècle est un chantier de long terme ! Et faut-il être un « bon dirigeant » pour bien gérer le Medef ? La réponse est non, car les pouvoirs du président sont limités. Il doit surtout rechercher le fameux consensus. La présidence de Jean Gandois, un vrai industriel venu diriger le CNPF comme une entreprise, fut un échec. Yvon Gattaz n’a pas non plus été vraiment accepté par l’organisation. Choisir le PDG d’un grand groupe est compliqué à l’égard des adhérents des PME et de l’image que veut véhiculer le Medef. Et où trouver un dirigeant qui consente à quitter l’opérationnel ? Donc, par qui et comment faire incarner « l’entreprise » patronale ?

MICHEL OFFERLÉ

Sociologue.

PARCOURS

Docteur en sciences politiques, Michel Offerlé a enseigné à Paris I et à l’Institut d’études politiques de Paris avant de rejoindre l’École normale supérieure en 2007. Ses travaux portent sur la sociologie des organisations et des mobilisations politiques. Il a notamment publié Sociologie de la vie politique française (éd. La Découverte) en 2004 et, cette année, Sociologie des organisations patronales, chez le même éditeur.

Auteur

  • Jean-Paul Coulange, Sandrine Foulon