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Vie des entreprises

Les leaders du transfert d’argent plutôt chiches avec leurs guichetiers

Vie des entreprises | Zoom | publié le : 01.10.2009 | Sarah Delattre

Horaires, salaires, dialogue social…, les salariés des sociétés de transfert ne sont pas gâtés. Sans compter les agressions des clients !

L’argent ne fait pas le bonheur des guichetiers chez Western Union. En décembre dernier, après une recrudescence de braquages, 72 % des salariés du leader du transfert de fonds ont fait grève pour réclamer une prime de risque de 150 euros. Considérant que les risques faisaient partie du métier, la direction s’est d’abord contentée de renforcer la présence de vigiles dans les agences sensibles avant d’instaurer, en avril, un système de primes trimestrielles.

Une telle mobilisation est un événement exceptionnel dans ce désert syndical. La population jeune, majoritairement féminine et d’origine étrangère, fait rarement valoir ses droits. Son insatisfaction s’exprime davantage dans un turnover élevé, essentiellement en raison de l’absence de perspectives professionnelles. Rétive au dialogue social, la direction de Western Union a interdit d’accès le siège social aux délégués FO et CGT lorsqu’ils ont créé une section il y a deux ans et verrouille littéralement sa communication. « Je n’ai pas le droit de parler, je pourrais être viré », s’affole un employé de la société. Seule solution : faire la fermeture des agences pour recueillir des témoignages en promettant l’anonymat absolu !

Même si, selon la Banque mondiale, les envois de fonds à destination des pays en voie de développement, dont le montant s’élevait à 328 milliards de dollars (223 milliards d’euros) en 2008, devraient chuter de 7,3 % en 2009, le transfert d’argent international aiguise les appétits des sociétés spécialisées et, plus récemment, des banques traditionnelles. En France, les immigrés d’origine africaine envoient environ 8 milliards d’euros chaque année pour aider leurs proches à se nourrir, se soigner ou étudier. Sur le terrain, les employés de la société américaine ne ressentent pas encore les effets de la crise qui touche de plein fouet leurs clients. « Il y a toujours autant d’affluence, mais les immigrés transfèrent un peu moins d’argent ou regroupent leurs envois pour payer moins de commissions », remarque un guichetier.

Un leadership contesté. En période de ramadan, tout particulièrement, l’agence Western Union située près de la gare du Nord à Paris ne désemplit pas. Des immigrés turcs et africains des quartiers avoisinants se pressent devant les quatre guichetiers pour envoyer de l’argent à leur famille restée au pays. Opérateur historique fondé en 1851, Western Union domine très largement le marché français grâce à son partenariat avec La Poste, qui lui assure une présence dans 6 000 de ses bureaux. La Société financière des paiements, sa filiale commune avec La Poste, créée en 2003, possède en propre 27 agences où officient 150 employés, pour la plupart guichetiers. Mais la transposition d’ici à 2010 de la directive européenne sur les services de paiement devrait bousculer ce quasi-monopole et exacerber la concurrence, notamment en permettant aux opérateurs de passer par des commerces de proximité pour proposer leurs services. L’enjeu pour eux étant de conserver des marges confortables, de l’ordre de 27 % pour Western Union, malgré un chiffre d’affaires mondial de 1,3 milliard de dollars pour le deuxième trimestre, en recul de 7 % sur la même période de 2008. Depuis 2006, trois autres sociétés américaines contestent la suprématie de Western Union en France : MoneyGram, le numéro deux du secteur, Ria Envia et, plus récemment, Coinstar Money Transfer.

Crise ou pas, les guichetiers, exposés à des risques d’agression restent sous pression. En moyenne, 3 ou 4 employés travaillent par agence. Profil type ? Un, ou plutôt une titulaire d’un BTS, ou encore une ancienne caissière. Contraints d’appliquer des procédures extrêmement rigoureuses pour lutter contre le blanchiment d’argent, notamment, les guichetiers sont tenus d’obéir strictement au règlement. « Les contrôles en matière d’identification des clients sont très stricts, explique Catherine Gagnère, RRH de Coinstar. Les guichetiers peuvent recevoir un avertissement en cas de non-respect et un compliance manager effectue des contrôles inopinés dans les agences pour veiller à leur bonne marche. »

Les agents suivent des formations obligatoires à la prévention du blanchiment, mais sont bien démunis pour désamorcer les conflits avec les clients. Coinstar, qui cherche à professionnaliser ses guichetiers, a nommé une dizaine de tuteurs, responsables d’agence ou simples guichetiers, chargés de former pendant quinze jours les recrues à l’accueil et de les soutenir en cas d’accrochage. « Nous avons aussi formé une dizaine de responsables et d’assistants d’agence l’année dernière au management, à l’animation d’équipes et à la gestion d’un centre de profit, complète Catherine Gagnère. Une deuxième vague de formation l’année prochaine devrait sensibiliser les guichetiers à la gestion des conflits. » Chez Ria France, ce sont les responsables d’agence qui sont chargés d’apaiser les tensions et d’inculquer les rudiments du métier à leurs collaborateurs.

Les guichetiers doivent parfois calmer des clients qui maîtrisent mal le français et deviennent agressifs

Une grande flexibilité horaire. Pour faire tourner les agences, ouvertes pour la plupart du lundi au samedi de 9 heures à 19 heures, voire 20 heures, les employés sont aussi soumis à une flexibilité horaire avec des plannings qui changent d’une semaine à l’autre. Chez Western Union, par exemple, deux équipes tournent du lundi au vendredi et du mardi au samedi, de 9 heures à 17 heures ou de 10 heures à 19 heures. « Nos guichetiers travaillent sept heures et dix-huit minutes par équipes du matin, d’après-midi ou du soir et ont l’obligation d’être mobiles, au moins en région parisienne », ajoute Catherine Gagnère.

Chez Ria France, les guichetiers travaillent sur quatre ou cinq jours. « Le métier est assez stressant et il y a pas mal de responsabilités », témoigne une employée d’origine asiatique chez Money Gram qui a suivi une formation à la communication et au fonctionnement de Money Gram au moment de son embauche. « Nous travaillons dix heures par jour devant un écran et nous devons parfois calmer des clients qui ne maîtrisent pas bien le français et deviennent agressifs. » Ce qu’elle apprécie ? « De travailler 3,5 jours par semaine, même si les journées de 9 heures à 20 heures sont parfois longues. » Et les salaires, soumis généralement à la convention collective des sociétés financières, constituent une maigre consolation. Le secteur, qui se targue volontiers de son côté melting-pot – les employés parlent au minimum deux langues ; Ria compte pas moins de 22 nationalités parmi ses 92 employés, Coinstar une dizaine –, est moins disert dès qu’il s’agit de parler d’argent.

Chez Coinstar, les rémunérations sont comprises entre 1 600 et 1 800 euros brut, primes (de présence, de caisse, d’objectifs) incluses, et une participation a été mise en place en 2009. « Après le rachat en 2006 des activités de Travelex qui dépendaient des banques, nous avons harmonisé nos accords collectifs et notre grille salariale, ce qui s’est traduit par un petit plus financier pour les employés », ajoute Catherine Gagnère. À l’inverse, le groupe Western Union affiche des disparités salariales persistantes.

Au début de ce mois d’octobre, le ministère de l’Immigration va former un groupe de travail réunissant notamment Bercy, l’Agence française de développement, mais aussi les deux majors du secteur, Western Union et MoneyGram, pour réfléchir à un abaissement des coûts de transfert de 5 % en cinq ans. Les premières mesures, qui prendraient effet début 2010, devraient inciter les opérateurs à revoir leur stratégie commerciale, principalement en développant le transfert d’argent via la téléphonie mobile.

Jacques Graniou, responsable développement France chez Coinstar, préfère encore le bon vieux bouche-à-oreille pour étendre son territoire. Il n’oublie jamais de passer la tête dans les salons de coiffure africains du quartier Château-d’Eau, fait son marché à Château-Rouge et s’invite aux soirées camerounaises. Quand on n’a pas la notoriété de Western Union ou de MoneyGram, il faut bien payer de sa personne !

207 milliards d’euros

c’est ce que devraient représenter les envois de fonds à destination des pays en voie de développement en 2009, selon la Banque mondiale.

La menace du transfert dématérialisé

WooGroup a trouvé une solution radicale à la gestion des ressources humaines : un système de transfert d’argent sans agence physique ! Présidée par Philippe Erb, un financier pur jus, ancien trader et ancien gestionnaire de hedge fund, la très jeune société, introduite en Bourse en janvier dernier, se définit comme une alternative low-cost. Son concept ? Dématérialiser les envois à travers son Kiosk, un automate ressemblant à un distributeur de billets qui permettra au client de transférer ou de retirer de l’argent lui-même. « Qui dit agences dit investissement lourd, charges de personnel, etc. L’automatisation des opérations devrait se traduire par des coûts de transfert aux migrants plus faibles de 5 % maximum », explique Christian Kamayou, directeur marketing. Expert en la matière, cet ancien HEC a notamment participé, sur la demande de l’Agence française de développement, à la mise en ligne du site de comparaison des coûts (www.envoidargent.org). « “Woo” signifie confiance, dans unea langue asiatique », dixit Christian Kamayou. Reste à savoir si ce modèle sans employés va en inspirer aux clients.

Auteur

  • Sarah Delattre