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Peuvent-ils rebondir ?

Enquête | publié le : 01.10.2009 | Stéphane Béchaux

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Crédit photo Stéphane Béchaux

Le chômage de masse revient au galop et va s’installer. Car, si les politiques publiques peuvent atténuer les tensions, seul le retour d’une vraie croissance apportera une réponse durable.

La poisse… Il y a tout juste dix-huit mois, au printemps 2008, le taux de chômage métropolitain flirtait avec la barre des 7 %. Ce chiffre, le meilleur depuis 1983, laissait entrevoir la fin du chômage de masse, ce mal très français qui ronge l’Hexagone depuis un quart de siècle. Patatras ! Un an et demi plus tard, les perspectives d’un retour au quasi-plein-emploi se sont évanouies. La tempête financière et économique mondiale a tout balayé, mettant les entreprises tricolores, notamment industrielles, sur le flanc. Résultat, mi-2009, le taux de chômage français, hors DOM, atteignait déjà 9,1 %. Et l’Insee l’annonce au-dessus du seuil des 10 % en fin d’année.

Du côté du gouvernement, on a rangé au fond du placard le slogan présidentiel du « Travailler plus pour gagner plus ». Car les prochains mois s’annoncent socialement noirs. « On vit la crise la plus violente de l’après-guerre en termes de destruction d’emplois », admet le secrétaire d’État à l’Emploi, Laurent Wauquiez. « La situation de l’emploi demeurera difficile, même quand la crise économique sera derrière nous », abonde sa ministre de tutelle, Christine Lagarde, en pronostiquant de « très forts flux de demandeurs d’emploi dans les semaines qui viennent ».

Diagnostic sombre. Une vision partagée par Denis Ferrand, directeur de la conjoncture et des perspectives de COE-Rexecode. « Les entreprises ont coupé dans leurs coûts et puisé dans leurs stocks. Maintenant, elles vont devoir relancer la production. Il y a un vrai risque de disparition pour celles qui n’auront pas les fonds de roulement nécessaires », insiste-t-il. Le premier sondage de l’Observatoire de l’entreprise Cesi-Liaisons sociales-BFM/Ipsos, dont nous dévoilons les résultats, n’incite pas à l’optimisme. Il montre que patrons et salariés font le même diagnostic d’une situation durablement dégradée sur le front des carnets de commandes et des emplois. En juillet 2009, toutes catégories confondues, Pôle emploi comptabilisait près de 4,2 millions de demandeurs d’emploi inscrits dans ses agences. Soit 700 000 de plus qu’un an plus tôt. Parmi eux, quelque 3,7 millions de personnes à la recherche active d’un emploi, qu’elles aient ou non exercé une activité réduite le mois précédent. Des effectifs qui vont encore grossir. « L’ajustement de l’emploi aux variations de l’activité est loin d’être terminé. La chute très forte du PIB fin 2008 et début 2009 n’a pas encore été intégralement répercutée dans les chiffres du chômage », analyse Sylvie Lagarde, chef du département emploi et revenus d’activité de l’Insee. Finalement, la crise économique mondiale devrait « coûter » à l’Hexagone un petit million de chômeurs supplémentaires…

Pour enrayer la hausse, le gouvernement ne ménage pas ses efforts. Il a notamment sorti le chéquier afin de réactiver les mesures de chômage partiel, presque tombées en désuétude depuis quinze ans. Quelque 320 000 personnes en ont bénéficié au deuxième trimestre, soit autant que lors de la crise de 1993. « Le dispositif a été amélioré et étendu à de nombreux secteurs. Très peu d’entreprises ont utilisé la totalité des heures auxquelles elles ont droit. On a encore du mou », précise Bertrand Martinot, délégué général à l’Emploi et à la Formation professionnelle. Une bonne façon de passer la crise, pour peu que l’activité reparte. Sinon, ces salariés en activité réduite viendront, début 2010, grossir les listes des demandeurs d’emploi. Une récente étude qualitative du Centre d’études de l’emploi conclut, d’ailleurs, à la faible efficacité du chômage partiel sur le moyen terme.

Autres outils largement vantés par les pouvoirs publics, la convention de reclassement personnalisé (CRP) et le contrat de transition professionnelle (CTP). Deux instruments qui visent à faciliter la reconversion des salariés en CDI tout juste mis à la porte dans le cadre d’un licenciement économique. D’après Denis Ferrand, pas de miracle à en attendre. « La CRP n’est pas une garantie de retour à l’emploi. Un quart des bénéficiaires basculent ensuite dans le chômage. Quant au CTP, attention à ne pas enfermer les gens dans des dispositifs trop ciblés sectoriellement et géographiquement. L’outil ne servira pas à grand-chose s’il n’y a pas une véritable revitalisation des territoires. »

Des conventions pour une petite minorité. Très coûteux pour les finances publiques, les deux contrats ne profitent, pourtant, qu’à une toute petite minorité des nouveaux demandeurs d’emploi. Et pas toujours à ceux qui en ont le plus besoin. Car l’essentiel des victimes de la crise ne se trouve pas parmi les PSE ultramédiatisés. Dans les inscriptions à Pôle emploi, les licenciés économiques ne pèsent même pas 5 % des entrées ! « Statistiquement, les PSE ne sont pas un sujet. Mais il faut bien aider les salariés qui en sont victimes ! La plupart sont peu qualifiés, ou avec des qualifications très spécifiques, et exercent dans des secteurs en déclin, sur des territoires sinistrés », rétorque Bertrand Martinot, délégué général à l’Emploi et à la Formation professionnelle.

Il n’empêche, les premiers touchés par la baisse d’activité, les intérimaires et les fins de CDD – victimes silencieuses et invisibles –, passent totalement au travers des mailles des filets de sécurité. Des jeunes, pour la plupart, qui ont particulièrement pâti des destructions d’emplois. « On assiste depuis quinze ans à une hausse des formes particulières d’emploi. Cette flexibilisation du marché du travail a rendu possible des ajustements très brutaux », souligne l’économiste Jacques Freyssinet, président du conseil scientifique du Centre d’études de l’emploi. Ainsi, un quart des intérimaires ont perdu leur travail au cours des derniers mois… Des mécanismes qui n’avaient pas joué lors de la crise de 1993 : à l’époque, les contrats courts étaient trois fois moins nombreux.

Que reste-t-il, alors, aux pouvoirs publics pour dégonfler les chiffres du chômage ? Hélas ! pas grand-chose. Sinon des contrats aidés. Cette année, le ministère de l’Économie, de l’Industrie et de l’Emploi a prévu la création de 380 000 contrats dans le secteur non marchand et 100 000 dans le secteur marchand. De quoi atténuer les tensions sociales, mais pas résoudre, à moyen terme, les difficultés d’emploi. Car l’expérience montre la faible transformation de ces contrats en emplois stables. Quant aux exonérations de charges sur les embauches dans les TPE, elles font, certes, un tabac. Depuis le début de l’année, plus de 500 000 contrats « zéro charge » ont été conclus. « Les jeunes en ont beaucoup bénéficié. C’est une mesure à laquelle je tiens énormément », insiste Laurent Wauquiez. Mais encore faudrait-il en calculer l’efficacité réelle, hors effets d’aubaine massifs.

Finalement, seul le retour de la croissance économique permettra de faire rebondir durablement les chômeurs. Car les politiques d’emploi ne peuvent suppléer longtemps à l’atonie de l’activité. Et inutile de miser sur les effets immédiats du papy-boom : le nombre d’actifs ne devrait pas décroître avant 2012. « En 2009, on prévoit une augmentation de la population active de l’ordre de 35 000 », précise Sylvie Lagarde, de l’Insee. D’après les économistes, il est peu probable que la France crée des emplois tant que la hausse de son PIB restera inférieure à 1,5 %. « Même si la croissance repart, les entreprises françaises disposent de réserves de productivité considérables avant d’embaucher. Il n’y a aucun élément qui permette d’envisager qu’on échappe à une longue période de chômage de masse », décrypte Jacques Freyssinet. « On ne fait pas le pari d’une rechute de l’activité. Mais on peut craindre une sortie de crise assez chaotique, avec une croissance molle pendant deux à trois ans ne permettant pas de réduire le chômage », confirme Denis Ferrand. Bref, pas de quoi verser dans l’euphorie…

Xavier Timbeau, directeur du département analyse et prévision de l’Observatoire français des conjonctures économiques
“Les politiques d’emploi devraient s’intéresser aux moins employables”

La crise que nous traversons est-elle originale ?

Il ne s’agit pas, cette fois-ci, d’une crise structurelle sectorielle, limitée à l’automobile ou à la sidérurgie, qui s’étale sur vingt ans et contribue à faire monter le chômage lentement. La crise actuelle est très large et très brutale. Elle touche beaucoup de salariés dans beaucoup de secteurs. Personne n’est véritablement à l’abri. Et pourtant, si rapide soit-elle, la hausse du chômage n’est pour l’instant pas à la hauteur de l’effondrement de l’activité. En 1993, une telle chute de PIB se serait traduite par 300 000 à 400 000 chômeurs de plus que ce que nous avons connu. On saura dans les prochains mois s’il s’agit d’un simple effet retard…

Les cadres sont-ils autant en danger que les ouvriers ou les employés ?

Quand une usine est confrontée à des difficultés majeures, elle licencie tout le monde, cadres et ingénieurs compris. Mais, au sein des entreprises, il y a quand même une hiérarchie dans les départs, liée à la flexibilité interne. Les licenciements touchent d’abord les intérimaires et les CDD, les plus jeunes et éventuellement les seniors. Les cadres ne sont donc pas en tête de pont de l’ajustement de l’emploi, sauf dans les activités de R & D. Pendant la phase de rebond, une seconde hiérarchie va s’instaurer, fondée sur les qualifications. Les mieux formés accepteront des postes sous-qualifiés pour rester ou revenir en emploi. Cette prédation des emplois va rejeter ceux qui ont le moins de « capital humain » loin dans la file d’attente.

Les conséquences sociales de la crise semblent assez prévisibles…

On revient quinze ans en arrière ! Avec un chômage à 10-12 %, on va de nouveau devoir s’occuper des moins qualifiés, des jeunes, des seniors. Ce retour du chômage de masse va marquer les politiques publiques. Sans surprise, le gouvernement va devoir réactiver les solutions des années 90. À savoir multiplier les contrats aidés, baisser les charges sur le travail peu qualifié et favoriser l’activité réduite. Comme on ne peut pas indemniser tout le monde trop longtemps, les pouvoirs publics vont inciter les gens à travailler à temps partiel, avec des compléments de revenu type RSA. Or le temps partiel s’avère catastrophique pour les non-qualifiés. Quand vous y entrez, vous n’en sortez jamais.

Faut-il s’attendre à une explosion de la pauvreté ?

La montée de la pauvreté sera moins brutale en France que dans d’autres pays comme les États-Unis, la Grande-Bretagne ou l’Allemagne. Mais on va assister à une forte progression de travailleurs pauvres. L’OFCE réalise actuellement une expertise pour l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale. Il en ressort qu’en France tout chômeur supplémentaire entraîne un pauvre supplémentaire. Ce million de pauvres en gestation va peser massivement sur le débat public et les politiques publiques.

Est-il exagéré de parler d’une « génération sacrifiée » pour les jeunes qui entrent actuellement sur le marché du travail ?

Hélas ! non. On devrait constater ce phénomène une nouvelle fois, et de façon assez forte, en particulier pour les diplômés. Toutes les études montrent qu’un jeune qui accepte un emploi sous-qualifié en début de carrière ne rattrape jamais, par la suite, son retard en matière de salaire et de qualification. Quant à ceux qui attendraient des jours meilleurs pour intégrer le marché du travail, ils prennent le risque de se faire doubler, dans deux ans, par la génération suivante qui arrivera sur le marché avec une formation plus à jour.

Que peuvent faire les pouvoirs publics pour aider les chômeurs à rebondir ?

Il faudrait cibler très précisément les ressources sur les catégories les plus exposées. Or, en France, on s’occupe de ceux qui ont le moins de problèmes, pas des autres. C’est vrai, par exemple, du contrat de transition professionnelle, qui concentre beaucoup de moyens pour ceux qui en ont le moins besoin. Lorsqu’on vient de perdre son boulot, on a beaucoup plus de chance d’en retrouver un rapidement, sans l’aide de personne, que quand on est chômeur de longue durée. Les politiques d’emploi devraient donc s’intéresser en priorité aux moins employables, pas aux autres. Propos recueillis par Stéphane Béchaux

XAVIER TIMBEAU

Diplômé de l’X et de l’Ensae, docteur en économie, Xavier Timbeau commence sa carrière dans un groupe de recherche (Gerfi) du ministère de l’Industrie.

Entré à l’OFCE en 1995, il en dirige le département analyse et prévision depuis 2001.

EXCLUSIF

1er baromètre de l’Observatoire de l’entreprise Cesi-Liaisons sociales-BFM/Ipsos (voir aussi notre nouvelle rubrique Baromètre page 10)

Les mesures anticrise des chefs d’entreprise… (réalisées ou en projet)

Ne pas renouveler les CDD et les contrats d’intérim 12 %

Licencier 12 %

Introduire le chômage partiel 11 %

Réduire les salaires 4 %

Les salariés partagés sur ces mesures

Inquiets 19 %

Motivés 18 %

Compréhensifs 17 %

Solidaires 16 %

Mécontents 10 %

Résignés 10 %

Êtes-vous optimistes sur le maintien de l’emploi dans les six mois à venir dans votre entreprise ?

Chefs d’entreprise 70 %

Êtes-vous optimistes sur le maintien de votre emploi dans les six mois à venir ?

Salariés 77 %

Réponses positives

Êtes-vous optimiste en ce qui concerne la capacité à embaucher de votre entreprise dans les six mois à venir ?

Chefs d’entreprise 27 %

Salariés 30 %

Réponses positives

Auteur

  • Stéphane Béchaux