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Politique sociale

Laurent Wauquiez, l’hyperactif tout-terrain

Politique sociale | publié le : 01.09.2009 | Laure Dumont

En deux ans, le jeune secrétaire d’État à l’Emploi a vite fait ses classes. Cet élu de Haute-Loire qui séduit les syndicats ne ménage pas sa peine dans la lutte contre le chômage. Où il y a des coups à prendre.

La décision du tribunal de commerce du Puy vient de tomber : la fromagerie Via Lacta, 96 salariés, ne fermera pas ses portes. L’offre du repreneur, Entremont, a été acceptée. Maire du Puy-en-Velay, le secrétaire d’État à l’Emploi Laurent Wauquiez pousse un soupir de soulagement : « C’est le dossier le plus dur que j’aie jamais eu à traiter. » Nous sommes le 22 juillet 2009, il est 16 h 30 et la Haute-Loire est pourtant bien loin. Le ministre vient d’atterrir à Mérignac et file maintenant vers la zone industrielle de Bassens. Direction les chantiers navals de Bordeaux, où il doit rencontrer des jeunes en alternance. Mais, au moment d’entamer la sixième étape de son tour de France de l’emploi des jeunes, Laurent Wauquiez n’oublie pas sa casquette d’élu local. Répondant, avec l’iPhone qui ne le quitte jamais, aux questions d’un journaliste de l’Éveil de la Haute-Loire, il ne pavoise pas. « Cela fait six mois que je me bats. Jusqu’à la dernière minute, nous avons eu des bâtons dans les roues. J’ai négocié hier soir jusqu’à 23 heures et ce matin dès 6 heures, c’est un miracle que Via Lacta soit sauvé. »

En Auvergne, le sauvetage de la fromagerie a fait beaucoup de bruit : « 76 emplois préservés, 9 préretraites, 11 licenciés, qui partent avec 20 000 euros de prime supralégale, et 150 agriculteurs qui gardent leur principal client », égrène un syndicaliste de la CGT qui reconnaît que si la mobilisation des salariés a été déterminante, le ministre maire a pesé de tout son poids pour éviter la fermeture de l’usine.

« Que fais-tu, Wauquiez ? » En se démenant ainsi, Laurent Wauquiez a-t-il voulu répondre à ceux qui lui reprochaient localement de veiller davantage à sa com qu’à l’action concrète ? Il est vrai que la crise frappe durement la Haute-Loire, l’un des départements les plus industrialisés de France. « D’avril 2008 à avril 2009, 1 500 emplois y ont été supprimés dans l’industrie : notre département est le plus touché de la région », raconte Jo Chapuis, de l’union départementale CGT. « Que fais-tu, Wauquiez ? » : cette banderole, plantée sur l’un des ronds-points les plus fréquentés du Puy par les salariés de LST Électronique, aurait-elle piqué au vif ce pragmatique, fervent de la politique de terrain ? En mai, il n’avait rien pu faire pour éviter la fermeture de LST Électronique à Yssingeaux. Soixante-dix emplois ont été supprimés dans la commune de son père en politique, Jacques Barrot, qui lui a mis le pied à l’étrier en lui offrant une terre d’élection. Suppléant du député UMP dès 2002, à 27 ans, puis élu aux législatives deux ans plus tard, Laurent Wauquiez, agrégé d’histoire, normalien et énarque, pense que ce n’est pas dans les cabinets parisiens que se construit une légitimité politique. Quitte à payer le prix de cette conviction. « Il lui arrive de faire plusieurs allers-retours par semaine entre Paris et Le Puy, lui reproche un responsable de la CGT ; il est trop préoccupé par ses problèmes locaux, il doit prendre de la hauteur. Ministre de l’Emploi, c’est un travail à plein temps. »

À 34 ans, le secrétaire d’État à l’Emploi n’hésite pas à évoquer son « apprentissage de ministre » en public et ne cache pas ses rencontres hebdomadaires avec Raymond Soubie, le très influent conseiller social de l’Élysée

« Ce n’est pas un techno. » Pour Jean-Claude Mailly, c’est un mauvais procès : « Il est plutôt rassurant qu’un ministre soit présent sur le terrain, ça lui permet de garder le contact avec la réalité. » Le secrétaire général de FO ne tarit d’ailleurs pas d’éloges sur le secrétaire d’État : « Il cherche à comprendre, ce n’est pas un techno. Cela ne signifie pas que l’on est toujours d’accord, mais au moins il écoute. » Depuis son arrivée au gouvernement, en juin 2007, Laurent Wauquiez – qui était peu connu à l’époque, et détonnait surtout par son jeune âge et son côté fort en thème – a conquis la confiance des partenaires sociaux, séduits par sa décontraction. « Il fonctionne au SMS et n’hésite pas à décrocher son téléphone pour prendre la température », raconte Bernard Van Craeynest, de la CGC. De son propre aveu, cet aspect de sa fonction ministérielle a été une découverte, presque une révélation : « Avant d’arriver à l’Emploi, dit-il, j’avais l’idée caricaturale d’un jeu de théâtre, que les relations sociales étaient un héritage encombrant et inutile. J’ai changé d’avis, et je suis maintenant convaincu que l’on ne peut pas faire sans elles. »

Sa légitimité, Wauquiez l’a aussi acquise en s’immergeant dans les dossiers hypertechniques de l’emploi : « Quand il est arrivé, il n’y connaissait rien, il a fait des gaffes, mais c’est un gros travailleur, il absorbe et comprend très vite », résume un proche. « Il évite encore le piège de l’arrogance, c’est sans doute son jeune âge qui l’en protège », note Jean-Patrick Gille, député PS d’Indre-et-Loire. À 34 ans, le secrétaire d’État à l’Emploi n’hésite pas à évoquer son « apprentissage de ministre » en public et ne cache pas ses rencontres hebdomadaires avec Raymond Soubie, le très influent conseiller social de l’Élysée, qu’il voit à l’issue du Conseil des ministres durant une heure au minimum. Un mentor que le ministre s’amuse, en privé, à qualifier de « maître Jedi ».

Mais s’il reconnaît ses influences – citant aussi Gérard Larcher ou Brice Hortefeux –, Laurent Wauquiez est loin d’être un bleu. Il fait même preuve d’un vrai savoir-faire politique. Sur la formation professionnelle, il a su manœuvrer pour défendre la réforme appelée par Nicolas Sarkozy tout en montrant qu’il respectait le travail des partenaires sociaux. Alors qu’il était question par exemple de repousser la discussion du texte à l’Assemblée à septembre, Laurent Wauquiez a tapé du poing sur la table pour que le calendrier initial soit maintenu. Son argument : on ne met pas une pression maximale sur une négociation bouclée en quatre mois pour ensuite laisser traîner le dossier.

Quand les négociations ont débuté en décembre 2008, se souvient Jean-François Pilliard, délégué général de l’UIMM et négociateur du Medef, la pression était forte sur les délais, mais également sur le contenu. La lettre d’orientation de Christine Lagarde et Laurent Wauquiez pouvait être perçue comme une lettre de cadrage. Par la suite, quand il a fallu préparer le projet de loi pour le Conseil des ministres et pendant le débat à l’Assemblée nationale, Laurent Wauquiez et son cabinet ont toujours été très attentifs et à l’écoute des partenaires sociaux. » Bilan des courses ? « C’est un rendez-vous manqué, regrette le socialiste Jean-Patrick Gille, c’est une loi taillée pour la crise, un texte qui aborde tous les sujets sauf l’essentiel : en trente heures de débats, Wauquiez n’a pas parlé une seule fois de “formation tout au long de la vie”, le titre même de la loi. » Pour sa part, Michel Issindou, député PS de l’Isère, estime que « cette loi entérine une vision jacobine avec l’idée que l’intérêt général ne peut être servi que par l’État ». L’argument laisse Laurent Wauquiez de marbre : « Oui, je suis jacobin dans ma vision de l’emploi et de la formation professionnelle, et je l’assume. Dans ces deux domaines, il me paraît essentiel de préserver l’équité républicaine. » La majorité présidentielle s’est largement alignée sur cette vision : la réforme a été votée à 311 voix contre 175.

L’épine Pôle emploi. Après avoir gagné la confiance des syndicats et mené à bien la réforme de la formation, reste pour Wauquiez l’épineuse question de Pôle emploi, en pleine réorganisation alors que le nombre de chômeurs ne cesse d’augmenter. Est-ce l’écueil sur lequel ce secrétaire d’État presque trop lisse va finir par buter ? Le 21 juillet, lors du bilan d’étape qu’il présentait à la presse, aux côtés de Dominique-Jean Chertier, président du conseil d’administration de Pôle emploi, et de Christian Charpy, son directeur général, le ton était à la prudence et au volontarisme mesuré. « C’est une situation difficile, défend Gabrielle Simon, de la CFTC, et le ministre n’y est pas pour grand-chose. » Un consultant RH est plus sévère : « Wauquiez évite de trop s’avancer sur Pôle emploi car il sait qu’il y a des coups à prendre. Après avoir mis la pression sur les équipes, il laisse Charpy faire le boulot. »

Pour Régis Juanico, député PS de la Loire, le manque de courage n’est pourtant pas ce qui caractérise ce secrétaire d’État qui « mouille sa chemise et va au feu ». Parallèlement à ses visites en régions pour booster l’emploi des jeunes, il fait aussi un tour de France de Pôle emploi. « Il actionne tous les leviers et y met toute son énergie, constate Bertrand Martinot, patron de la DGEFP. Il a compris que si la politique de l’emploi est mise en œuvre par les acteurs locaux, ils ont quand même besoin de voir physiquement le ministre. » Laurent Wauquiez est à l’aise dans cet exercice. Crise ou pas crise, il a bien l’intention de continuer de privilégier le terrain aux bureaux parisiens.

Darcos, le patron lettré

Il est aussi rond et chaleureux que son prédécesseur était raide et glaçant. Xavier Darcos avait à peine succédé à Brice Hortefeux que l’ambiance au ministère du Travail s’y détendait de manière significative. S’il est né à Limoges, l’ancien maire de Périgueux est bien un homme du Sud-Ouest. À sa jovialité méridionale s’ajoutent les qualités, appréciées dans les milieux intellectuels, d’un homme de culture. De fait, cet ancien professeur, agrégé de lettres classiques et inspecteur général, était arrivé au ministère de l’Éducation nationale en mai 2007 auréolé d’une forte légitimité. Mais quelques dérapages verbaux ont mis fin à l’état de grâce. En déplorant par exemple que « les enseignants n’ont pas les syndicats qu’ils méritent », Xavier Darcos a braqué ses interlocuteurs : « Il a voulu se poser comme un réformateur de choc, commente Gérard Aschieri, secrétaire général de la FSU, mais il a eu des formules désastreuses qui l’ont marqué très négativement. »

Darcos n’a pas su garder la confiance des syndicats, mais ce ministre zélé a gagné celle de l’Élysée. D’où cette promotion dans un grand ministère, aux larges attributions, du travail à la famille en passant par la solidarité. Comment ce fin lettré, qui connaît peu l’entreprise et qui ne s’est jamais montré transcendé par les questions sociales, va-t-il s’emparer de son ministère ? Un premier baptême du feu a déjà eu lieu, début juillet à l’Assemblée, quand il a fallu défendre la loi sur le travail dominical, un texte contesté au sein même de la majorité. Il a accompli la mission, mais en service minimum pour un texte passé ric-rac avec 50 voix d’avance. Pour les dossiers à venir, et notamment la réforme des retraites, au programme début 2010, Xavier Darcos va devoir montrer qu’il a pris toute la mesure de ses nouvelles fonctions. L. D.

Auteur

  • Laure Dumont