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Politique sociale

Dix ans de RH marqués par les 35 heures

Politique sociale | publié le : 01.09.2009 | Laure Dumont

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Crédit photo Laure Dumont

Comment va la fonction RH depuis dix ans ? Comment traverse-t-elle la crise et comment les DRH voient-ils l’avenir ? Un sondage Apec-Liaisons sociales prend le pouls de la profession. Entre préoccupations partagées et avis divergents sur la crise.

La loi, toute la loi, rien que la loi… Interrogés sur l’évolution marquante de ces dix ­dernières années, les 402 responsables RH sondés par CSA pour le compte de l’Apec et de Liaisons sociales sont quasi unanimes : pour 92 % d’entre eux, c’est la réglementation qui influe le plus sur leur pratique quotidienne. Loin devant le contexte économique, les bouleversements technologiques ou les sujets de société. Cette affirmation est massive pour les responsables des ressources humaines (RRH) des entreprises de moins de 500 salariés et arrive en deuxième position pour les entreprises de plus de 500 salariés.

Il est vrai que, depuis 1998, le législateur se montre particulièrement actif pour alourdir le Code du travail. Comme l’illustre notre chronologie (voir ci-contre), sept textes majeurs sont venus modifier, voire bouleverser, le domaine social au cours de la décennie passée. Quant aux réformes jugées les plus importantes, deux sortent du lot : la loi Aubry réduisant le temps de travail (2000), notamment pour les RRH des entreprises de l’industrie et du BTP, et la récente loi Tepa (travail, emploi et pouvoir d’achat) sur les heures supplémentaires (2007). « Ce n’est pas étonnant de voir émerger la loi sur les 35 heures [dans ce sondage], estime Dominique Olivier, DRH de Bosch France, nous avons aujourd’hui huit années de recul, et nous pouvons mesurer l’impact de cette réforme dans nos entreprises. Mais il me semble que les lois impulsées ces deux dernières années par Nicolas Sarkozy entraînent, elles, une véritable révolution du droit du travail. » Même s’il reconnaît que « la préoccupation réglementaire est prégnante dans toute l’Europe occidentale », Frédéric Lavenir, DRH de BNP Paribas, est d’accord sur ce constat franco-français. Mais « la loi modifiant les règles de la représentativité syndicale va profondément changer la nature du dialogue social à horizon de cinq ans », ajoute-t-il.

Renforcer la gestion des compétences. Au cours de la décennie écoulée, la priorité numéro un, avancée par 91 % des DRH interrogés, est le renforcement des compétences internes. Une priorité pour… 100 % des professionnels RH du BTP. Plus l’entreprise est grosse, plus cette préoccupation est importante. Un constat que regrette Jacky Chatelain, le directeur général de l’Apec : « Le fait que les RRH des plus petites entreprises (moins de 200 salariés) affichent moins que les autres que la gestion des compétences est une priorité est inquiétant. C’est précisément le point de fragilité des PME-PMI françaises qui risquent, de ce fait, d’être ­jugées moins attractives que les grandes par les salariés. » Peu à peu, les pratiques évolueraient cependant, comme tient à le souligner Marie-Pierre Gosselin, consultante à l’Apec : « J’observe que, dans les PME, la tendance est de ­diffuser les fonctions RH, de rendre les managers acteurs RH afin qu’ils deviennent des relais compétents entre les salariés et la direction, notamment sur les questions de la gestion et de l’évolution des compétences. »

Optimiser la gestion des RH. Malgré ces réserves, le sondage CSA montre bien que, pour la majorité des RRH, la gestion des compétences est un véritable leitmotiv : sur les trois périodes étudiées (décennie passée, conjoncture actuelle et horizon à trois, cinq ans), la valorisation des compétences internes arrive en tête des préoccupations des responsables. Derrière cette thématique dominante, un certain nombre de dossiers clés agitent les directions des ressources humaines. À commencer par l’optimisation de la gestion des RH, priorité numéro deux pour la décennie écoulée, la ­période actuelle et le moyen terme. Signe que la DRH, y compris hors période de crise, est priée de contribuer à la création de valeur. Si le recrutement cède logiquement du terrain aujourd’hui – il n’est plus cité que par 55 % des responsables interrogés, en chute de 22 points –, la fidélisation des collaborateurs et l’amélioration du climat social sont des items mis en avant par plus des trois quarts des sondés.

En cette période de crise, l’amélioration des relations avec les partenaires sociaux ne fait plus partie des toutes premières priorités ; a contrario, l’optimisation de la communication interne dans l’entreprise ne cesse de prendre de l’importance. Dans les trois à cinq années à venir, elle est considérée comme prioritaire par 82 % des répondants, en progression de 5 points.

La liste des priorités soumise aux 402 professionnels n’épuise pas celle de leurs préoccupations, loin s’en faut. « La mobilité est pour nous un sujet central, souligne ainsi Frédéric Lavenir, de BNP Paribas, la question de l’employabilité à long terme n’est pas encore assez profondément prise en compte. » Dominique Olivier, de Bosch France, va plus loin en déplorant carrément le système des provisions de fin de carrière (pour les indemnités de départ à la retraite) qui lui paraît inadapté, voire contre-productif, et militerait volontiers pour son remplacement par des provisions pour mobilité, plus incitatives en matière de mobilité interne.

Parmi les sujets de société, trois thématiques – éthique et responsabilité sociale (60 %), conditions de travail et stress (57 %) et, enfin, équilibre entre vie privée et vie professionnelle (51 %) – recueillent plus de 50 % de réponses. En revanche, la gestion de la diversité n’est, curieusement, évoquée que par un gros tiers (38 %) des responsables RH, pratiquement au même niveau que la non-discrimination (40 %). « La diversité n’est pas une contrainte, c’est une opportunité, affirme Frédéric Lavenir. Mais c’est un processus dérangeant, qui [risque de] déstabiliser les habitudes dans l’entreprise. On ne peut donc introduire de la diversité sans penser en même temps à rassurer ceux qui [se sentent] menacés. »

95 % des sondés réclament une “participation active à la stratégie générale de l’entreprise”

Pour les 402 professionnels d’entreprise composant le panel du sondage Apec-Liaisons sociales, l’avenir de la fonction ne réside pas dans l’expertise RH, c’est-à-dire les tâches tradi­tionnelles de recrutement, d’administration du personnel, de la paie, du contentieux. Un quart seulement des responsables interrogés estiment que ces différentes activités, qui leur prennent actuellement 35 % de leur temps, les occuperont encore davantage « à l’avenir ». En 2003, ils étaient 38 % à faire une réponse semblable à la même question posée par l’Apec. La gestion du changement (formation, gestion des carrières, mobilité…), qui recueillait un quart des réponses en 2003, est citée, pour la période actuelle, par un DRH sur six, et, pour le moyen terme, le pourcentage est de 18 %.

Deux aspects de la fonction sont, en revanche, privilégiés par les DRH et les RRH. Toutd’abord, la crise a, à l’évidence, accru l’importance de la ­gestion de la motivation. Entre 2003 et 2009, le taux de réponses a bondi de 7 points et, sur le moyen terme, progresse encore de 2 points, passant ainsi de 6 à 15 % de réponses. Un des enjeux clés pour les trois à cinq années à venir est bien de maintenir la motivation des salariés. L’autre item concerne le management dit stratégique, englobant la stratégie RH, la politique de rémunération ou encore la politique sociale de l’entreprise. Un professionnel sur six estime que cette tâche prendra de l’importance et lui demandera davantage de temps, contre 11 % seulement en 2003.

Autre enseignement du sondage Apec-Liaisons sociales, ils sont 95 % à évoquer, donc à réclamer implicitement, une « participation active à la stratégie générale de l’entreprise », qui constitue une ­forme de reconnaissance ultime pour la fonction RH, longtemps limitée à des tâches administratives. Mais un pourcentage quasi identique, 91 %, estime qu’il va falloir aussi « renforcer la proximité avec les salariés ».

En creux se dessinent les contours du rôle du DRH, à la fois interlocuteur du P-DG ou de la direction générale au comité exécutif ou au ­comité directeur et ­artisan d’une politique RH déclinée par les managers auprès de l’ensemble des salariés. « C’est toute la complexité de ce métier, reconnaît Dominique Olivier, de Bosch France, mais ce grand écart est indispensable. C’est mon rôle de DRH de faire constamment le lien entre les salariés et le patron. Je ne lui rapporte pas des chiffres mais des atmosphères. » Selon Frédéric Lavenir, de BNP Paribas, « il existe un partnership un peu particulier entre un DRH et son P-DG. Le rôle du DRH est de faire remonter les signaux faibles, car ce sont les plus importants ».

Avis divergents sur la crise Finalement, on retiendra aussi que les professionnels sont très divisés sur l’impact de la ­crise actuelle. La même proportion considère que la récession entraîne beaucoup de changements dans leurs pratiques (30 %) que peu ou pas du tout de bouleversements (31 %). Et 38 % n’y voient qu’un peu de changement. Même incertitude concernant la sortie de crise. Une moitié pronostique que la crise ne changera rien concernant leurs pratiques et que « tout redeviendra comme avant ». Tandis que 45 % estiment que plus rien ne sera comme avant. « Tout redeviendra comme avant sur le plan de la gouvernance, nuance Dominique Olivier, de Bosch France, mais le contrat de travail ne sera plus jamais comme avant. » Quant au DRH de BNP Paribas, il estime que des changements majeurs vont découler de la période actuelle : « La perception collective de la relation au travail ne sera plus jamais la même. La relation individuelle au travail devient de plus en plus importante. »

92 % des DRH interrogés estiment que la loi Aubry 2 a eu un impact important sur les pratiques RH. De même que, dans une moindre mesure (72 %), la loi Tepa.

91 % des DRH affirment que le renforcement des compétences a été une priorité durant les dix dernières années.

Les dates clés

2000

Loi du 19 janvier 2000 sur la réduction négociée du temps de travail dite loi Aubry 2.

2003

Loi Fillon du 21 août 2003 sur la réforme des retraites.

2004

Loi du 4 mai 2004 réformant la formation professionnelle et instaurant le DIF.

2005

Loi de cohésion sociale (égalité professionnelle, égalité hommes–femmes) du 18 janvier 2005. Accord national interprofessionnel du 13 octobre sur l’emploi des seniors.

2007

Loi du 21 août 2007 Tepa (travail, emploi et pouvoir d’achat).

2008

Loi du 25 juin 2008 de modernisation du marché du travail (rupture convention­nelle).

2009

Loi sur la formation professionnelle adoptée en première lecture par les députés le 21 juillet à la suite de l’accord interprofessionnel du 7 janvier.

30 % des DRH estiment que la crise change « beaucoup » leurs pratiques RH. Et 38 % « un peu ».

3 questions à Catherine Blondel, psychanalyste, coach de dirigeants, auteur de Quand le travail fait symptôme (Vis-à-vis Éditions, 2009)

Quelle est, selon vous, l’évolution marquante des dix dernières années dans le domaine des RH ?

Aujourd’hui, ce qui motive un coaching chez un dirigeant, c’est la place de chacun. Il y a systématiquement un enjeu RH derrière cette démarche. La fonction de dirigeant a changé, comme l’illustrent bien les propos d’Henri Lachmann. À la question que je lui avais posée pour un livre : « Qu’est-ce qu’un dirigeant ? », il avait répondu : « My job is people ». Il y a vingt ans, quand on les interrogeait sur ce point, les dirigeants affirmaient que leur job était de décider. Du coup, il me semble que les DRH se sont professionnalisés et affirmés. Je note une élévation du niveau, avec de plus en plus de gens qui ont une expérience internationale. Ils ont gagné en autonomie et en liberté, ce sont des veilleurs, des gens à l’avant-garde. Ils informent leur P-DG, et leur P-DG est à l’écoute.

Dans notre sondage, les DRH affirment que leur participation à l’orientation stratégique de l’entreprise s’accroît. Faut-il lire cela comme un vœu de leur part ou le reflet de la réalité ?

Le management des RH est réellement devenu un enjeu stratégique, car le rapport au travail a changé. Les entreprises ont été rattrapées par le principe démocratique. À cet égard, il me semble que la crise de 2008 marquera une rupture plus forte que celle de 1993. La fonction de DRH est devenue plus dure et exposée. D’un côté, les DRH se retrouvent au carrefour de toutes les problématiques qui agitent la société comme les questions de l’autorité, du droit, la contestation de la légitimité syndicale, etc. Et, parallèlement, des intérêts conflictuels convergent vers eux, notamment quand un PSE est enclenché. Le DRH est un gardien du temps, il lutte souvent contre l’obsession du court terme dont il sait, lui, qu’elle handicape le moyen et le long terme.

Pourtant, les plans sociaux se sont succédé tout au long de l’année. Les DRH ont-ils vraiment le choix ?

Dans la plupart des cas, et notamment quand l’actionnaire est étranger, ils ne l’ont pas. Mais je vois de plus en plus de managers qui n’en peuvent plus de cette obsession de la performance financière, du coup de fil de l’actionnaire disant : « Il faut que je fasse 5 millions d’économie, tu m’en vires combien ? » Je note ce désaccord plus particulièrement chez les quadras. Ces valeurs de performance et d’argent sont contraires à celles qu’ils ont reçues de leurs parents et au cours de leur formation, si élitiste soit-elle. Ils ont été élevés dans un monde où seul le travail, voire l’excellence, compte, ce qui n’a rien à voir avec ce culte de la performance financière.

Propos recueillis par L. D.

51 % des DRH pensent qu’ils consacreront davantage de temps à la gestion de la motivation au cours des prochaines années.

Enquête réalisée par CSA du 24 mai au 4 juin 2009, par téléphone, auprès de 402 responsables RH d’entreprises d’au moins 50 salariés :

– entreprises de 50 à 199 salariés : 27 %

– 200 à 499 salariés : 23 %

– 500 salariés et plus : 50 % ; et de différents secteurs :

– industrie : 34 %

– services : 32 %

– commerce : 25 %

– BTP : 8 %

Auteur

  • Laure Dumont