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Vie des entreprises

Franck Riboud renoue avec le projet fondateur de Danone

Vie des entreprises | Méthode | publié le : 01.06.2009 | Laure Dumont

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Crédit photo Laure Dumont

Avec sa nouvelle stratégie, Franck Riboud remet en selle le double projet économique et social du groupe cher à son père. Passé la grande vague des restructurations, le dialogue social, l’égalité, la diversité deviennent des thèmes phares.

Treize ans après être devenu P-DG de Danone, Franck Riboud s’est enfin fait un prénom. Le chemin n’a pas été facile. Déjà, il a fallu succéder à Antoine Riboud, figure mythique du patronat. Ensuite, le jeune héritier a dû assumer les transitions délicates de la fin des années 90, quitte à en payer – cher – les conséquences, voire « les erreurs », admet-il aujourd’hui. L’affaire LU – la restructuration maladroite de la branche biscuits qui a suscité une violente campagne anti-Danone – a longtemps été vécue comme un traumatisme en interne. Parallèlement aux restructurations, Franck Riboud a dû mener tambour battant l’internationalisation de son groupe, aller chercher la croissance au-delà des frontières européennes, tout en le protégeant des OPA. Au début des années 2000, il avançait avec une conviction prudente que son seul rempart contre un rachat était la culture maison. Bien conscient de la fragilité de l’argument face aux offres sonnantes et trébuchantes que ses concurrents pouvaient présenter aux marchés pour s’offrir ce bijou de l’industrie agroalimentaire.

À cette époque, ce passionné de foot multipliait les formules qui sont devenues sa marque de fabrique. Le « jeu de jambes » pour illustrer la nécessaire agilité d’une entreprise qui trace son chemin face aux géants du food. La « capacité de frottement » pour l’intégration de nouveaux concepts… Aujourd’hui, Franck Riboud défend une stratégie centrée sur « l’alimentation, santé pour tous », inspirée du double projet économique et social lancé en 1972 par son père. En se réappropriant ce patrimoine, qu’il a jugé un temps un peu encombrant, il marque une nouvelle étape dans la vie de Danone.

1 – Renouer avec le double projet

« Danone a longtemps eu une longueur d’avance sur le plan social, mais, au fil des années, ce groupe a perdu sa singularité, note un consultant RH. Pis, cette avance s’est transformée en une forme d’arrogance sur le thème : nous sommes les meilleurs, venir chez nous se mérite. » Un constat qu’approuve Marie-Anne Jourdain, déléguée syndicale CGT au siège, présente chez Danone depuis vingt ans : « Il y a eu une réelle fracture entre l’époque d’Antoine et celle de Franck. Le double projet est devenu économique et… économique ! Au siège, la pression est très forte, et certains cadres font preuve d’arrogance à l’égard des salariés. »

Pour corriger ce décalage entre l’image et la réalité, Riboud junior a décidé de travailler la cohérence entre les messages envoyés vers l’extérieur par Danone et l’attitude de ses équipes. Et, pour réconcilier l’économique avec la stratégie sociale, il est allé rechercher une ancienne de la maison, Muriel Pénicaud, proche de l’ancien DRH Jean-René Buisson. Partie chez Dassault Systèmes en 2002 après neuf ans chez Danone, cette quinqua est revenue en mars 2008. Un choix habile, car Muriel Pénicaud est parfaitement en phase avec le « double projet » et connaît bien la maison.

Lors d’un séminaire à Évian en 2008, Franck Riboud se félicitait de diriger une entreprise « quasi parfaite » sur le plan du business car, de l’alimentation pour bébés à la nutrition médicale, elle couvre tous les cycles de la vie. Du fait de son héritage, Danone ne peut faire autrement que de devenir aussi « quasi parfaite » sur le plan social. Comme si son fondateur l’avait condamnée à toujours montrer l’exemple. Depuis 2006, Franck Riboud revisite le double projet en lançant des initiatives comme la Sicav Danone Communities ou encore le Fonds Écosystème qui aident des jeunes entreprises dans les pays émergents. Parallèlement, il ne cesse de s’afficher contre la financiarisation excessive des entreprises. Pour mettre en accord ses actes et son discours, il a révisé, il y a trois ans, les modes de rémunération. Les stock-options ont été réduites de 30 à 50 % pour les 1 400 cadres concernés et remplacées par un système de bonus glissant sur trois années de résultats.

2 – Maintenir un dialogue social serein

Marqué par l’affaire LU qui fait tache dans son parcours de bon élève du social, Danone se veut désormais irréprochable lors des restructurations, comme l’illustre la fusion des usines de Neufchâtel-en-Bray et de Ferrières-en-Bray en 2008 : aucune suppression d’emploi et des mesures pour favoriser la mobilité des salariés des deux sites distants de 40 kilomètres. Aujourd’hui, le dialogue social est serein dans un paysage dominé par la CGT (31 %), la CFDT (24 %) et FO (21 %). « On a des facilités d’écoute, reconnaît Bruno Vannoni, secrétaire de la Fédération de l’agroalimentaire CFDT, et à cet égard on reste dans l’esprit historique de Danone. »

Cela ne signifie pas qu’il n’y ait pas de sujets de discorde : « À cause de la crise, on ne peut avoir les mêmes exigences que les années précédentes, admet un délégué FO, mais nous avons été très déçus par les mesures salariales pour 2009. » Tous les syndicats ont pourtant voté cet accord qui prévoit des augmentations générales allant de 1,7 à 2 %, selon les branches. Car leur inquiétude est ailleurs : elle concerne les usines de la branche eau, la plus touchée par la crise. L’usine d’Évian a dû fermer deux semaines en 2008 pour pallier la baisse des ventes. Cette année, c’est la météo de l’été qui va être déterminante pour cette branche d’activité. Franck Riboud a posé des garanties : « Pas de plans sociaux », a exigé le P-DG. Il a également interdit aux filiales de toucher aux budgets formation prévus.

Même si, comme dans de nombreux groupes, l’appel à l’intérim a été stoppé, la DRH tente de remettre bon ordre dans la gestion des contrats en cours, plusieurs procédures judiciaires en cours dévoilant les mauvaises pratiques de certaines usines qui renouvelaient durant des années des contrats d’intérim sans jamais les requalifier.

3 – Respecter l’égalité de traitement

Muriel Pénicaud a lancé un ambitieux chantier RH pour les trois ans à venir. « Notre stratégie est de toucher le plus grand nombre », résume la DGRH. Ainsi, chaque année, un questionnaire prenait le pouls des managers. En 2009, il a été adressé aux 80 000 salariés de la maison. « Le taux de participation est très élevé : 82 %, souligne Marc Grosser, directeur des affaires sociales. C’est un premier signal fort pour nous qui témoigne d’une attente considérable. Il va falloir y donner suite. »

La philosophie du nouveau projet RH implique aussi d’étendre à la totalité des salariés les avantages des mieux lotis. Danone est en train de mettre en place chez Aqua, sa filiale indonésienne, une couverture sociale pour la totalité des 10 000 salariés ainsi que pour leurs conjoints et familles. De même, le groupe maintient son attachement au dialogue social partout dans le monde. Il poursuit actuellement un travail de longue haleine démarré il y a vingt ans avec l’Union internationale des travailleurs de l’agroalimentaire (UITA). Huit accords portant sur la formation, l’égalité entre hommes et femmes ou le droit syndical ont déjà été signés et un projet sur la sous-traitance est en cours de discussion. « Depuis sa création, Danone a la volonté d’engager avec les structures syndicales un dialogue régulier qui ne se limite pas aux conflits, reconnaît Ron Oswald, secrétaire général de l’UITA et membre du comité d’orientation du Fonds Écosystème. Cela ne signifie pas que nous sommes toujours d’accord, mais il y a un respect mutuel. »

4 – Diversifier le management

En octobre 2008 Franck Riboud est invité à l’université de Villetaneuse, dans la banlieue nord de Paris. Les étudiants qui remplissent l’amphi ne sont pas ceux que l’on a l’habitude de croiser dans les couloirs de Danone. Et c’est précisément ce qui intéresse Franck Riboud. Son nouveau dada est de recruter différemment, de sortir du moule et de la pensée unique qui minent le management à la française. Aller chercher les talents au-delà des enceintes très fermées des grandes écoles, dans les universités, mais aussi dans des univers que l’entreprise connaît mal : le sport, la musique… « Aujourd’hui, 18 % des nouvelles recrues sont issues de l’université, contre 9 % auparavant. 8 % viennent de ZEP, le but est d’atteindre 10 %, précise Muriel Pénicaud. Mais il ne suffit pas de recruter des profils différents, l’essentiel est de les intégrer, de faire en sorte qu’ils se sentent bien chez nous. » En interne, les recruteurs sont désormais formés à lire entre les lignes des CV. Les jeunes embauchés se voient proposer un tuteur pour accompagner leurs premiers pas dans l’entreprise et les aider à en décrypter les codes.

Rudy Baert, DRH monde de la branche produits laitiers frais, s’attelle pour sa part à un renouvellement profond de ses équipes. L’idée est de réduire la part des expatriés pour accorder une plus large place aux compétences locales et offrir aux « Danoners » des carrières régionales. « Jusqu’à présent, l’expansion géographique du groupe a été alimentée par les Français, indique Rudy Baert. Actuellement, 75 % des directeurs généraux viennent d’Europe de l’Ouest et 45 % de France. On ne peut plus grandir ainsi. Nous progressons petit à petit pour faire venir de nouvelles nationalités. » Au sein d’un groupe de réflexion sur la diversité, Rudy Baert planche sur les valeurs de Danone et les traits de personnalité qui font d’un candidat une bonne recrue pour l’entreprise. Un profil fondé sur des compétences précises a ainsi été défini.

5 – Développer l’autoévaluation

Lancée en 2001, la procédure Danone Way a été renouvelée en 2007. Il s’agit d’une sorte de défi mondial destiné à développer l’autoévaluation. Objectif : tirer les pratiques vers le haut et parvenir à cumuler assez de points pour atteindre le Graal : les cinq étoiles. Exemple : la sécurité au travail. Un enjeu majeur pour une entreprise dont les deux tiers des salariés travaillent en usine. Avec un taux de fréquence de 5,5 accidents par million d’heures travaillées (pour un taux national de 33,8 dans la branche), Danone fait figure de bon élève. Mais le but est de passer à 2,5. Pour cela, un plan d’action baptisé Wise a été mis en œuvre. Il s’appuie sur une sensibilisation permanente qui commence avec la détection par les salariés des « risques potentiels » dans leur environnement de travail. À l’usine de yaourts Pays de Bray, l’une des unités les plus importantes du groupe en France, les points identifiés par les ouvriers et les agents de maîtrise donnent lieu au versement d’une prime de 50 euros par trimestre.

« Lorsqu’un accident survient, on arrête la ligne pour expliquer immédiatement aux équipes ce qui vient de se passer, raconte Jean-Christophe Gri, le DRH. Dans la salle de pause, un tableau donne les détails du dernier accident survenu sur le site : date, ligne et poste concernés, déroulé des faits. Sur un personnage stylisé, un point de couleur indique quelle partie du corps a été touchée et le degré de gravité de la blessure. Enfin, des réunions de sécurité impliquant tous les services ont lieu chaque mois pour analyser les accidents de la période. Les managers ont été formés à réaliser l’« arbre des causes » pour identifier le déclencheur de chaque accident. Si Pays de Bray a battu un record en 2008, avec deux cent vingt-neuf jours consécutifs sans accident, l’usine championne de la sécurité se trouve en Argentine. Un symbole fort qui montre à quel point l’avenir de Danone se joue désormais hors des frontières.

Repères

Le groupe, organisé en quatre pôles (produits frais, eau, nutritions infantile et médicale), réalise un chiffre d’affaires de 15,2 milliards d’euros et compte 80 000 salariés répartis dans 60 pays. Danone France ne pèse plus que 15 % du chiffre d’affaires global et 8 500 salariés, soit autant qu’à la création de son ancêtre BSN en 1966.

1996

Franck Riboud succède à Antoine à la tête de Danone, 100 000 salariés.

2001

Restructuration de la branche biscuits : 1 800 postes supprimés en Europe (600 en France), affaire LU, campagne « Je boycotte Danone ».

2006

Création de la Sicav Danone Communities, fruit de la rencontre de Franck Riboud avec Muhammad Yunus, Prix Nobel de la paix 2006.

2007

Danone vend ses biscuits à l’américain Kraft et rachète le néerlandais Numico, spécialiste de la nutrition infantile et médicale.

2009

Danone fête ses 90 ans et crée le Fonds Écosystème.

Répartition des salariés dans le monde (en %)
ENTRETIEN AVEC FRANCK RIBOUD, P-DG DE DANONE
“Mon nom, je l’assume davantage aujourd’hui”

Vous maintenez un plan stratégique RH ambitieux malgré la crise. Cela signifie-t-il que vous êtes prêt à sacrifier des points de croissance ?

On doit planifier le social de la même manière que l’on planifie l’économique. Il n’est pas question de sacrifier les budgets formation, par exemple, domaine dans lequel nous allons déjà au-delà du minimum légal. Pour nous, c’est une manière de préparer l’avenir et d’assurer la croissance. Les résultats économiques ne seront obtenus que si nous maintenons la motivation des salariés. En ce moment, je passe une grande partie de mon temps à sillonner le monde entier pour expliquer nos choix aux managers. Nous n’avons pas attendu la crise, par exemple, pour changer le mode d’attribution des bonus de nos 1 400 cadres dirigeants. Pour la deuxième année consécutive, ils sont fondés pour un tiers sur des objectifs économiques, un tiers sur des objectifs individuels de management et un tiers sur des objectifs sociétaux (accidents du travail, politique de formation… mais aussi émissions de CO2…). Par les temps qui courent, c’est incroyablement puissant de faire ce choix-là !

Ce système concerne aussi votre rémunération ?

Oui, je suis concerné, même si c’est dans des proportions différentes. Ma rémunération est constituée de 25 % de fixe – qui a augmenté de 1 % par an au cours des dix dernières années – et de 75 % de variable. Notre mode d’attribution de stock-options a également changé : nous l’avons remplacé par un système glissant qui court sur trois années consécutives. C’est seulement si les objectifs sont atteints trois ans de suite que le bonus est acquis. C’est ainsi que je me retrouve à la première place dans le classement des rémunérations des patrons du CAC 40 en 2008 : j’ai touché une rémunération élevée parce que les résultats des trois années précédentes ont été positifs. Si une, voire deux années avaient été mauvaises sur les trois, j’aurais touché beaucoup moins, voire rien du tout. J’assume mes responsabilités.

Plutôt qu’une fondation, vous lancez le Fonds Écosystème pour aider la création d’entreprises dans les pays pauvres. Pourquoi ?

Dans le contexte actuel, tout relève du management. Avec le fonds, on peut impliquer beaucoup plus de monde. Une fondation se contente d’avoir un responsable et ne prend en charge des projets qu’en marge de l’activité de l’entreprise. Nous avons lancé Danone Communities en 2006, et nous lançons Écosystème aujourd’hui car il y a là des sujets différents, portés en interne par des opérationnels de Danone. Concrètement, ce sont les filiales du groupe dans le monde entier qui vont mettre en œuvre les projets financés par Écosystème.

Comment éviter que cette initiative soit perçue comme un nouvel outil marketing ?

Mon métier n’est pas de me coucher devant la dernière mode, mais de faire fonctionner Danone et de convaincre, notamment mes actionnaires. Je fais les choses parce que j’y crois. Lancer un tel projet est génétiquement inscrit dans l’histoire de Danone. Le Fonds Écosystème est sans doute bourré de contradictions, mais il faut savoir vivre avec ses contradictions. Pour moi, ce fonds est le double projet économique et social des années 70 poussé à son ultime, avec cette dimension d’ouverture sur le monde. Elle montre que nous n’avons pas une lecture nombriliste du double projet et que nous travaillons avec notre environnement. Le conseil d’orientation du Fonds Écosystème comprend des dirigeants de Danone, mais il accueille en majorité des personnalités extérieures qu’il nous semblait évident d’avoir avec nous pour nous guider et nous challenger : grands serviteurs de l’État, syndicalistes, universitaires.

Assumez-vous mieux le double projet aujourd’hui ?

Ce que j’assume plus aujourd’hui, c’est mon nom. Mon père était un homme d’exception ; il a dit et écrit dans les années 70 des choses qui sont plus que jamais d’actualité. J’ai mis du temps pour l’intérioriser. Je suis chez Danone depuis 1981 et P-DG depuis treize ans. Mais j’ai cité mon père pour la première fois en public il y a seulement deux ans, à l’occasion du lancement de Grameen Danone, avec Muhammad Yunus.

Propos recueillis par Sandrine Foulon et Laure Dumont

FRANCK RIBOUD 53 ans.

1980

Diplômé de l’école polytechnique de Lausanne.

1981

Entre chez BSN comme contrôleur de gestion chez Panzani.

1990

Directeur général des Eaux minérales d’Évian.

1994

Vice-président directeur général de Danone.

1996

Succède à son père comme P-DG du Groupe Danone SA.

Auteur

  • Laure Dumont