logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Dossier

Chômeurs : le casse-tête du maintien des droits

Dossier | publié le : 01.06.2009 | Valérie Devillechabrolle, Marie Duribreux, Bénédicte Foucher

L’accord national interprofessionnel de 2008 prévoit de maintenir la protection sociale des salariés privés d’emploi. Un autre accord vient d’en préciser le périmètre et les modalités d’application.

Enfin ! Après en avoir, par deux fois, repoussé la mise en œuvre, les partenaires sociaux ont conclu, le 18 mai, un accord précisant les modalités d’application, au 1er juillet, de la portabilité des droits concernant la santé et la prévoyance des salariés privés d’emploi. En vertu de cet accord, ces derniers vont avoir la possibilité de maintenir leur contrat santé-prévoyance « pour des durées égales à la durée de leur dernier contrat de travail dans la limite de neuf mois », tandis que leurs employeurs vont devoir cofinancer cette couverture « dans les proportions et les conditions applicables aux salariés de l’entreprise ». Mais, en choisissant de « déconnecter ce droit universel des évolutions futures de la convention d’assurance chômage », comme l’a rappelé Marcel Grignard (CFDT), patronat et syndicats ont surtout commencé à prendre la mesure de ce chantier ouvert au détour de l’accord national interprofessionnel (ANI) du 11 janvier 2008 relatif à la modernisation du marché du travail.

Une facture de 1 milliard d’euros ? Si, aux yeux des syndicats, ce nouveau dispositif ne constituait à l’origine que l’une des contreparties à la flexibilité accrue du marché du travail souhaitée par les entreprises, le texte traduit en fait « une avancée importante en étendant aux périodes de transition professionnelle des garanties jusque-là attachées à un secteur ou à un statut professionnels », souligne Laurence Lautrette, avocate associée du réseau Jacques Barthélémy. La crise et la remontée du chômage en ont, depuis, accru l’importance… et le coût potentiel aussi. L’article 14 ne faisant pas de distinction selon le mode de rupture (licenciement ou fin de contrat à durée déterminée), le maintien d’une couverture à tous les CDD en fin de contrat aurait en effet pu coûter, selon un document de travail de la CFTC, de l’ordre de 1 milliard d’euros, cette somme étant, d’après ce texte, « répercutée de manière inéquitable en raison de l’extrême hétérogénéité du recours aux CDD suivant les entreprises et les branches ». Pour apaiser les craintes des entreprises qui, à l’instar des hôtels, cafés, restaurants, de la grande distribution, de l’intérim ou encore des employeurs de saisonniers, recourent massivement aux contrats précaires, l’accord du 18 mai réserve donc le bénéfice de ce maintien de couverture aux seuls salariés dont les droits auront « été ouverts chez le dernier employeur ». Mais au risque d’en « exclure les titulaires des contrats les plus courts, qui ne bénéficient souvent pas de ces ouvertures », se désole Patrick Lichau, le négociateur de la CGT.

Pour des syndicats soucieux de ne pas limiter les droits des plus précaires , les premières propositions patronales visant à exclure de facto tous les CDD de moins de quatre mois étaient « inacceptables ». Pas question non plus de faire supporter le coût de la complémentaire santé à une entreprise qui romprait la période d’essai d’un salarié ayant acquis l’intégralité de ses droits à l’indemnisation chômage dans une autre entreprise. « Notre avenant permet de rendre les choses plus claires, simples et lisibles tout en préservant une équité », s’est félicité Benoît Roger-Vasselin, le chef de file de la délégation patronale.

Les modalités de financement de cette extension de couverture constituaient l’autre pomme de discorde. Pour les syndicats, « le principe d’un préfinancement de la cotisation des chômeurs, mutualisé sur celle des actifs et lissé de façon uniforme, constitue la meilleure solution », estime Gabrielle Simon, la négociatrice CFTC, qui n’a toutefois pas obtenu gain de cause. Car, face au silence de l’accord initial, l’avenant final prévoit en effet de laisser le choix aux entreprises entre un financement « conjointement assuré » par le demandeur d’emploi et son ancien employeur et une « mutualisation » sur le contrat des actifs. « Il est probable qu’un certain nombre de réticences patronales à l’encontre de la mutualisation se lèvent avec la mise en œuvre de l’accord », observe Benoît Roger-Vasselin.

Solidarité dans le BTP. Certaines branches n’ont de fait pas attendu l’échéance du 1er juillet prochain pour mettre en place cette mutualisation. Depuis le 1er janvier, Pro BTP a décidé de prendre à sa charge le maintien de la couverture santé pour les chômeurs de la branche sur toute la durée de la période de chômage pour les ouvriers et limitée pour les Etam et les cadres à huit mois pour les moins de 50 ans et à douze mois pour les plus de 50 ans. « Nous ne souhaitions pas que les salariés de la branche se retrouvent en difficulté du fait du retournement économique », souligne Stephan Reuge, directeur santé-prévoyance de l’institution de prévoyance du bâtiment, qui assure que « l’impact financier de cette mesure est absorbé sans difficulté par les actifs ». Une solidarité facilitée par le fait que 95 % des salariés du bâtiment sont couverts par des contrats standards de branche ou par des garanties collectives calées sur celles de la branche.

D’une façon générale, les assureurs, qui ne manquent pas de rappeler que le prélèvement de la cotisation reste une obligation de l’employeur, y sont très favorables. Car cette solution leur permet de faire l’économie de tout précompte patronal et salarial ou encore d’un hypothétique prélèvement sur solde de tout compte, très difficile à mettre en place. Elle leur évite surtout une fastidieuse gestion administrative mensuelle d’attestations Assedic dont le coût pourrait déboucher sur une majoration de la cotisation des chômeurs, qu’ils estiment à 30 %.

Les employeurs ne semblent toutefois pas pressés de négocier un accord pour instituer cette mutualisation. D’un côté, « ces entreprises se heurtent à la difficulté des assureurs de tarifer correctement le surcoût ainsi engendré, faute d’en connaître précisément le périmètre », remarque David Rigaud, avocat du cabinet Fromont, Briens & Associés. Dans un contexte où les assureurs anticipent une surutilisation des garanties par les chômeurs, un financement par les actifs se traduirait par une augmentation de la cotisation estimée entre 3 et 4 % en moyenne. Or « les employeurs n’ont pas envie de payer d’avance pour un coût incertain », témoigne Jean Kimmel, consultant senior du cabinet Watson Wyatt. D’autres sociétés hésitent à mutualiser par crainte de déstabiliser le contrat des actifs, en cas de plan social massif notamment. C’est par exemple le cas de La Redoute, qui a préféré maintenir aux salariés licenciés un cofinancement conjoint de leur couverture « pendant au moins six mois ».

Limiter les effets d’aubaine. Les partenaires sociaux se sont aussi accordés sur le périmètre et les modalités de couverture en matière de prévoyance. D’abord, ils ont limité les effets d’aubaine en plafonnant l’indemnité perçue par le chômeur au titre d’une éventuelle incapacité temporaire au niveau de son allocation chômage. En matière d’invalidité et de décès, en revanche, « ces prestations resteront calculées sur la base du salaire antérieurement perçu par le demandeur d’emploi et non pas sur son allocation chômage », se félicite Bernard Devy, de Force ouvrière. Les partenaires sociaux ont également demandé au gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour articuler ces dispositions conventionnelles avec celles de l’article 4 de la loi Évin prévoyant le maintien facultatif de la couverture santé aux anciens salariés, licenciés ou retraités.

Pour les syndicats, cet avenant ne constitue toutefois qu’une étape de l’édification des garanties collectives nécessaires à la sécurisation des parcours. « La prochaine étape devrait viser à la généralisation de la complémentaire santé », plaident la CFDT et la CFE-CGC. « Cela passe surtout par l’ouverture d’une négociation sur la complémentaire santé des retraités et l’organisation d’une mutualisation de la couverture de la dépendance, un risque aujourd’hui sous-évalué », leur rétorque Bernard Devy, de Force ouvrière.

V. D.

Auteur

  • Valérie Devillechabrolle, Marie Duribreux, Bénédicte Foucher