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Le grand ménage a commencé

Dossier | publié le : 01.05.2009 | Sabine Germain, Stéphanie Cachinero

Le marché du recrutement connaît régulièrement des crises. Mais jamais il n’avait plongé de façon aussi brutale qu’à l’automne 2008. Les conseils en recrutement peinent à s’adapter… quand ils n’ont pas mis la clé sous la porte.

Selon la conjoncture, le nombre de cabinets de conseil en recrutement peut passer de 800 à 1 600 », rappelle Jean-Paul Brette, responsable du recrutement chez Hudson France et vice-président du Syntec Conseil en recrutement. Sur ce marché, dont l’entrée n’est soumise à aucune obligation réglementaire, les barrières sont si faibles que les périodes de croissance voient éclore des dizaines de petits cabinets. Or le recrutement sort de quatre années de forte croissance. Résultat, sur les 1 600 cabinets en activité fin 2008, combien passeront l’automne 2009 ? « Une entreprise sur trois n’aura pas la trésorerie pour tenir », estime Olivier Gélis, directeur général de Robert Half International France. Les plus fragiles mettront vraisemblablement la clé sous la porte d’ici à la rentrée…

Une chute du jour au lendemain. Il semble en effet difficile de résister à la tornade de l’année 2008 : après un premier trimestre de croissance, les recrutements ont marqué un coup d’arrêt au printemps, avant de s’effondrer à l’automne. « Le marché s’est retourné du jour au lendemain, durant la semaine du 21 septembre, juste après la faillite de la banque Lehman Brothers, se souvient Philippe Cirier, P-DG du cabinet Opteaman. Les DRH ont reçu la consigne de geler les embauches dans les grandes entreprises comme dans les PME. » L’internationalisation des entreprises, plus marquée que par le passé, a rendu cette crise particulièrement foudroyante : « Depuis l’été et l’aggravation de la crise financière aux États-Unis, on a eu le temps de voir venir la crise économique, commente Alain Thibault, P-DG de Bernard Julhiet Group. Elle a pourtant été d’une violence qu’on ne pouvait imaginer. » Tous les secteurs d’activité ont plongé en même temps, dans l’ensemble des pays. « J’ai débuté en 1993, se souvient Fabrice Lacombe, président de Michael Page France. J’en suis donc à ma troisième crise ! Mais celle-ci est extrêmement brutale : en 2001, elle avait mis plusieurs mois à se propager dans le monde entier. » Facteur aggravant, « elle s’est produite au dernier trimestre, à un moment où les entreprises préparent leurs budgets, observe Damien Crequer, directeur associé du cabinet Taste RH. Résultat : toute l’année 2009 est plombée ».

La France semble pourtant mieux lotie que ses voisins : « En Europe, la baisse est de 50 à 60 %, estime Jean-Paul Brette. En France, elle est de 30 à 35 %. » (Voir ci-contre.) Des chiffres qui laissent sceptique Philippe Cirier, du cabinet Opteaman : « Nous sommes à – 60 %. J’ai du mal à croire ceux qui évoquent une baisse de 20 à 30 %. » Pour pallier la baisse d’activité, ce cabinet de 30 salariés (dont 15 consultants) a engagé un plan de réduction des frais généraux (– 10 %) en septembre 2008. Parallèlement, il développe des activités (l’évaluation et les bilans de compétences) qui permettent de compenser la chute du recrutement. Mais il n’exclut pas des mesures plus drastiques : « En tant que chef d’entreprise, je me dois de tout faire pour éviter de licencier. Avant d’en arriver là, je veux explorer toutes les pistes possibles : y compris les baisses de salaire ou la réduction du temps de travail. »

Complexe de mesurer le nombre d’emplois perdus par la branche. Les grosses structures ont réduit leurs effectifs, par non-renouvellement des CDD, non-remplacement des départs (démissions, départs à la retraite ou volontaires). « Il est malgré tout difficile de trouver du travail à tout le monde, souligne Fabrice Lacombe, de Michael Page. Nous avons donc envoyé une vingtaine de consultants en mission dans des pays comme la Russie, la Suède ou l’Allemagne, où notre marque a encore du potentiel. » À la tête de Bernard Julhiet Group (200 consultants), Alain Thibault est devenu fataliste au fil des crises. « Le marché des prestations intellectuelles a toujours été difficile à manager car il est extrêmement cyclique. Le jeu consiste donc à mettre à profit les périodes hautes pour préparer les crises à venir. » Quant aux petits cabinets, ils doivent se séparer de leurs consultants les moins productifs. Petits ou grands, qui résiste le mieux à la crise ? Il n’existe pas vraiment de règle. Adossés à des groupes solides, avec un matelas financier constitué durant les années fastes, les ténors du recrutement ont davantage de réserves que les petits. Ils bénéficient, de surcroît, de la prime au leader, toujours rassurante en période de crise. Mais ils commencent à s’essouffler. A fortiori quand leur maison mère est anglo-saxonne…

Les petites structures connaissent des fortunes très diverses : les cabinets plus récemment arrivés sur le marché, ceux qui n’ont pas de trésorerie, ceux qui ont eu tendance à surpayer leurs consultants durant les années fastes ou encore ceux qui interviennent sur des marchés industriels sinistrés n’ont aucune chance de tenir. En revanche, les plus spécialisés ne s’en tirent pas trop mal : avec six consultants très orientés high-tech, JPSC Executive Match reste confiant. « C’est notre troisième crise en quinze ans d’existence, sourit Françoise Farouz, l’une des associés. On ne va pas se laisser abattre ! Comme nous faisons tout nous-mêmes, nos frais de structure sont réduits. Si bien que nous n’avons pas besoin de faire du volume : avec une quinzaine de missions haut de gamme chaque année, un consultant s’en sort très bien. » Finalement, les plus pénalisés sont les cabinets de taille moyenne (de 20 à 80 consultants), qui cumulent deux handicaps, rédhibitoires en période de crise : des frais de structure élevés et une absence de réserves financières.

Surenchère. Pour enrayer leur chute d’activité, tous les prestataires se sont lancés dans une véritable surenchère commerciale. Au point de submerger, voire de harceler les services RH des entreprises. « Au pied du mur, les grands cabinets anglais sont en train d’inonder le continent de CV », observe Jean-Paul Brette, de Hudson France. La concurrence s’est clairement intensifiée : « On peut parler d’agressivité commerciale, mais certainement pas de déloyauté », commente Alain Thibault (Bernard Julhiet Group). Signe des temps : la fin des mandats de recherche exclusifs, jusqu’à présent taboue, commence à être évoquée dans les réunions du Syntec Conseil en recrutement.

Jean-Paul Vermès ne se sent pas vraiment concerné par la crise : le président fondateur de VMS France a recruté deux consultants depuis le début de l’année. « C’est en période de crise qu’il faut attaquer ! Cela dit, si j’étais convaincu que celle-ci allait durer encore plusieurs années, je réduirais la voilure. J’ai le sentiment que nous touchons le fond et que la fin de l’année 2009 devrait donner les premiers signes d’amélioration. Après un an d’interruption quasi totale du recrutement, les entreprises vont devoir rééquilibrer leurs équipes et préparer la sortie de crise. » On a évidemment envie de partager cet optimisme. L’Apec, elle, ne prévoit pas de reprise massive avant 2013.

S.G

De – 20 à – 50 % d’activité selon les cabinets

Difficile de chiffrer précisément l’effondrement du marché du recrutement. On peut toutefois se fier à quelques indices : au cours des six derniers mois, le nombre d’offres collectées par Pôle emploi a chuté de 45 %. L’Apec annonce, de son côté, une baisse de 35 %. Quant au job board Cadremploi, il recense 30 % d’offres en mois. Cela se traduit, pour les cabinets adhérant au Syntec Conseil en recrutement, par une baisse d’activité allant de – 20 à – 50 %.

Au palmarès des marchés sinistrés, l’automobile et le bâtiment arrivent largement en tête. Ce qui n’empêche pas certaines entreprises de ces secteurs de recruter ponctuellement. La banque et l’assurance, qui n’ont toujours pas réglé la question du papy-boom, continuent à embaucher massivement. « Alors que la banque d’investissement a tout arrêté, la banque de réseau reste active, commente Olivier Gélis, directeur général de Robert Half (spécialiste de ces marchés). De plus, certains profils hyperpointus (les experts en consolidation, en cash pooling, en optimisation du reporting) restent très recherchés. Les équipes financières, très sollicitées ces derniers mois, sont à bout de souffle : elles ont besoin d’être renforcées. » Enfin, le high-tech, les télécoms, l’énergie, les travaux publics, la santé, le conseil (notamment en réduction des coûts) restent très actifs. « Sur les marchés à cycle long, il est impossible de stopper le recrutement, commente Damien Crequer, directeur associé du cabinet Taste RH. Les crises antérieures ont montré que les entreprises qui n’intègrent pas de nouveaux talents hypothèquent leur avenir. »

Paradoxe de la période actuelle : de grandes entreprises cotées comme SFR ou PPR ont annoncé des plans sociaux d’envergure pour rassurer leurs actionnaires. « Mais elles continuent à recruter discrètement pour préparer l’avenir », assure un consultant. Info ou intox ?

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  • Sabine Germain, Stéphanie Cachinero