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“Notre école est la moins efficace et la plus injuste socialement”

Actu | Entretien | publié le : 01.05.2009 | Laure Dumont, Anne-Cécile Geoffroy

Pour le sociologue de l’éducation, le redoublement et la faible considération pour l’enseignement professionnel nourrissent l’élitisme et l’échec.

Vous avez étudié à la loupe avec Roger Establet la comparaison internationale des systèmes éducatifs réalisée par l’OCDE (Pisa). Quels enseignements en tirez-vous ?

Nous avons été heureux de constater que les statisticiens australiens qui réalisent ces enquêtes ont la même grille de lecture que la nôtre : en évaluant les compétences des élèves de 15 ans, en compréhension de l’écrit, en maths, en sciences, tous les trois ans depuis 2000, ils comparent l’efficacité et la justice sociale des systèmes scolaires. Sur ces deux points, les résultats français sont mauvais : notre école est la moins efficace et, surtout, la plus injuste socialement. C’est un constat très grave qui remonte aux origines de l’école, conçue par des clercs pour former des clercs. Aujourd’hui, cela n’a pas changé.

Comment en est-on arrivé là, dans la patrie de Jules Ferry ?

Le gros point faible de notre système, c’est le redoublement. À 15 ans, 40 % des jeunes Français sont en retard : c’est le record mondial ! Or le redoublement frappe les plus démunis et s’avère inefficace. Il ne sert à rien si ce n’est à stigmatiser les élèves, leur faire intérioriser une forme d’infériorité. C’est un moyen de fabriquer l’élite en excluant progressivement ceux qui n’en feront pas partie. Dans les pays les plus performants, comme la Finlande, la Corée du Sud, le Japon ou encore le Canada, le redoublement n’existe pas et l’on amène un maximum d’enfants au plus haut niveau possible. Au Japon, un enseignant qui a une queue de classe trop en retard est très mal vu par ses pairs. Pour lui, c’est un échec.

Les entreprises ont-elles raison de reprocher au système éducatif de ne pas préparer les jeunes au monde du travail ?

Je comprends leurs critiques. L’inertie de notre système est marquée du primat de l’enseignement général. En France, l’enseignement professionnel est considéré comme bon pour ceux qui sont mauvais. En Allemagne, la liaison est plus étroite entre l’école et l’entreprise. L’ouvrier et l’ingénieur reçoivent le même enseignement de base. On y considère l’ingénieur comme un ouvrier qui a réussi alors qu’en France l’ouvrier est un ingénieur qui a échoué. Chez nous, tout le monde – les jeunes comme les entreprises – est victime de la voie royale de l’enseignement long. Du coup, on prépare mal les jeunes aux emplois qualifiés, on les laisse s’engouffrer dans les formations tertiaires, qui se révèlent catastrophiques sur le plan des débouchés.

Faut-il réformer la politique d’orientation ?

Les pays les mieux classés sont ceux qui pratiquent le plus le tronc commun. La Pologne en est un exemple très intéressant : entre 2000 et 2006, elle a augmenté d’un an la scolarité obligatoire, et ses résultats ont nettement progressé sur cette période. Une orientation trop précoce renforce l’inefficacité et l’injustice du système. Jusqu’en 1995, le niveau des élèves français progressait. Mais, depuis, on observe une baisse, et cette masse croissante de mauvais élèves est préoccupante. Ce sont autant d’individus qui se retrouvent exclus de la société. La bonne nouvelle de Pisa est que plus une société est égalitaire, plus le niveau d’ensemble de la population est tiré vers le haut. L’élite est bonne quand la masse n’est pas mauvaise. L’égalité est un facteur de justice et d’efficacité scolaire.

La démocratisation de l’éducation a-t-elle échoué en France ?

L’école est un corps social frappé par tous les traumas de la société : désindustrialisation, chômage. Le collège unique a été mis en place juste après le premier choc pétrolier. Cette massification a permis un traitement scolaire du chômage mais elle a aussi favorisé une élévation sensible du niveau scolaire et une baisse des inégalités sociales. Aujourd’hui, 150 000 élèves quittent le système sans diplôme, mais ce chiffre a été bien supérieur. Ce qui a changé, c’est l’incapacité du marché du travail à absorber ces jeunes.

Quelles sont les pistes de réforme ?

Il faut mener à l’échec scolaire une lutte sans merci ! Tout le monde doit se sentir concerné. L’école ne peut plus être un enjeu au seul niveau des familles qui, aujourd’hui, contournent le système pour sauver la peau de leurs enfants. Il faut aussi combattre l’un des grands travers de notre école : les profs passent leur temps à dire aux élèves qu’ils sont nuls et les gouvernements ne cessent de stigmatiser les profs.

CHRISTIAN BAUDELOT

Auteur avec Roger Establet de l’Élitisme républicain. L’école française à l’épreuve des comparaisons internationales (Seuil, coll. « La République des idées », 2009).

Sociologues de l’éducation, ces deux chercheurs étudient ensemble notre système de formation depuis quarante ans.

Ils ont écrit l’École capitaliste en France (1971), Le niveau monte (1989), Allez les filles ! (1992).

Auteur

  • Laure Dumont, Anne-Cécile Geoffroy