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Politique sociale

Régime minceur pour les salariés en 2009

Politique sociale | publié le : 01.04.2009 | Éric Béal

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Régime minceur pour les salariés en 2009

Crédit photo Éric Béal

L’incertitude économique incite les directions à la prudence. Les négociations salariales s’en ressentent. Pour les salariés, la récolte est maigre.

Début mars, une centaine de salariés de Lapeyre se sont regroupés avec banderoles et sifflets devant le magasin d’Aubervilliers. En grève depuis une semaine, ils protestaient contre la politique salariale de la direction et réclamaient 5 % d’augmentation pour 2009. Une position très éloignée du 1,8 % assorti d’une prime exceptionnelle de 350 euros présenté par Jean-François Villard, le DRH du groupe. Classique en période de négociation annuelle obligatoire (NAO), ce décalage est amplifié, cette année, par le développement de la crise économique et par la brutale décrue de l’inflation, ramenée, en glissement annuel de 3, 6 % en juillet 2008 à 0,7 % en janvier 2009. Après avoir fait miroiter une enveloppe d’augmentation de 2,9 % de la masse salariale en décembre 2008, la direction de Michelin a finalement accordé 2,2 % en février, provoquant la fureur des syndicats qui demandaient entre 4 et 5 %.

Réalisée auprès de 67 entreprises du CAC 40 et du SBF 80 interrogées en juillet et novembre 2008 puis en février 2009, une étude du cabinet Towers Perrin révèle que 8 entreprises sur 10 (82 %) ont réajusté leur politique salariale pour 2009 au cours des derniers mois. En moyenne, les directions ont révisé à la baisse leurs augmentations salariales de 0,5 point en février par rapport à leurs prévisions de novembre. « Les responsables sont inquiets à propos des prévisions d’activité pour 2009. Ils s’inscrivent clairement dans une logique d’adaptation et de précaution », note Éric Wuithier, responsable de l’activité RH et rémunérations en France pour Towers Perrin. Les plus avisés ont attendu d’y voir un peu plus clair avant de commencer à négocier. « Les entreprises se sont épiées pendant l’automne et l’hiver. Les DRH s’informaient sur les intentions des concurrents et révisaient leurs propositions en conséquence », indique Bruno Rocquemont, spécialiste des rémunérations chez Mercer.

À l’instar de Michelin, près de la moitié (46 %) des entreprises interrogées par Towers Perrin ont revu à la baisse leurs propositions salariales. Mais une entreprise sur cinq (21 %) a décidé de différer ses augmentations. Les salariés du fabricant de pneumatiques français attendront ainsi le 1er juin pour bénéficier de l’augmentation générale de 1,5 %, soit un mois plus tard que d’habitude. Les cadres, eux, ne sauront qu’en septembre s’ils ont droit à une augmentation individuelle. « Le décalage des périodes de versement permet de limiter les augmentations sur l’année, sans désespérer les collaborateurs, tout en apprenant à remettre en cause le sacro saint rythme de douze mois entre chaque modification de la rémunération », décrypte Pierre Le Gunéhec, consultant chez Hewitt Associates.

Un risque de tensions sociales. Reste que 18 % des entreprises interrogées par Towers Perrin ont purement et simplement décrété un gel des salaires pour 2009. Au risque de susciter des tensions sociales. Les représentants syndicaux d’Alcatel-Lucent ont très mal réagi en découvrant l’absence d’enveloppe pour les augmentations de salaire lors de la première séance de négociations, en janvier. L’intersyndicale s’attendait à une proposition minimaliste et avait baissé ses revendications de 5 à 3 %, « pour prendre en compte le ralentissement de l’inflation », explique Hervé Lassalle, le délégué CFDT. Un effort, compte tenu de l’enveloppe globale de 3,3 % accordée en 2008, dont 2,5 % au titre des augmentations individuelles. Au cours des semaines suivantes, les salariés ont débrayé sur certains sites et la direction française a accordé une augmentation de 45 euros pour les salaires inférieurs à 2 300 euros brut – 10 % des 7 000 salariés français – et 0,8 % de budget afin de financer les promotions et des mesures de rattrapage pour faire progresser l’égalité hommes-femmes. Mais 200 suppressions de postes sont prévues dans les mois qui viennent…

La tactique de Peugeot : adopter une position dure tout en prévoyant de rediscuter dans six mois

Touchés de plein fouet par le ralentissement du marché, certains patrons de l’industrie automobile adoptent une position très ferme. Chez Peugeot, la direction n’a lâché qu’un petit 1 % d’augmentation générale le 1er janvier en expliquant qu’elle maintenait le pouvoir d’achat de ses salariés « dans un contexte de ralentissement de l’évolution des prix depuis plusieurs mois ». A contrario, Jean-Manuel Soussan, le directeur du développement des ressources humaines de Bouygues Construction, a accordé 4 % d’augmentation, hors primes, et clause de revoyure en avril-mai. À peine moins que les 4,2 % de 2008, année euphorique dans le BTP. Mais c’était à la mi-décembre, la chute de l’inflation n’avait pas encore marqué les esprits. Dans le secteur bancaire, malmené par la crise des subprimes, les négociations ont été tendues. À LCL, au Crédit agricole ou dans les Caisses d’épargne, les NAO n’ont pas abouti. BNP Paribas a signé un accord avec une partie de ses syndicats, donnant 1,6 % d’augmentation pérenne.

Face aux perspectives économiques incertaines, les DRH font preuve d’imagination pour maîtriser la masse salariale. Au Crédit du Nord, la direction a proposé une augmentation générale de 1,6 % en janvier et de 0,5 % en septembre. Ainsi qu’une consolidation de la prime individuelle dans le salaire, à hauteur de 1 % pour une grande partie des salariés. Une autre tactique consiste à adopter une position dure tout en prévoyant de rediscuter plus tard. Peugeot a ainsi proposé aux syndicats de les revoir en septembre pour « déterminer une éventuelle augmentation supplémentaire si l’inflation est supérieure à l’augmentation salariale et si la situation économique et financière du groupe s’est améliorée ». Mais la palme revient à la société Luxottica, basée à Milan. Le fabricant italien de montures de lunettes a conclu un accord avec ses syndicats pour offrir un panier de services (services médicaux, bourses d’études, produits de base) à ses 7 800 salariés. Il permettra au lunetier d’éviter les charges sociales tout en dopant le pouvoir d’achat.

Plus difficile à faire passer, la diminution de salaire, très en vogue dans les entreprises d’origine américaine. Les commerciaux d’IBM ont vu leur fixe réduit de 15 % le 1er janvier. Quant aux managers de niveau deux de Hewlett-Packard, ils subiront une diminution de 5 % dès le 1er mai. À charge pour la direction de soumettre ses propositions au CE et d’obtenir l’aval des salariés concernés. En prime, HP envisage de supprimer l’abondement aux sommes versées sur le plan d’épargne retraite collectif. « La démobilisation des troupes est totale. Nous aurons du mal à repartir en cas de reprise », déplore Marc Amiaud, délégué syndical CFDT. Le problème pour les négociateurs syndicaux, c’est que personne ne voit l’économie reprendre avant longtemps…

1993 :la récession

Avec un recul du PIB de 0,9 % sur l’ensemble de l’année 1993, la France entre en récession. Il en découle une modération salariale et un taux de chômage élevé, qui dépasse les 10 %. Cette année-là, les fonctionnaires ne seront pas augmentés. 1993 signe également le début des allégements de charges sur les bas salaires.

L’effet Aubry

Le passage aux 35 heures payées 39 n’est pas sans effet sur les salaires. Une part de l’augmentation du coût du travail liée à la réduction du temps de travail est absorbée par la mise en place d’une modération salariale. Cette augmentation, liée mécaniquement à la mise en oeuvre des 35 heures, s’élève à 11,7 %.

Des salaires plus individualisés

Les années 2000 marquent le développement progressif de certaines formes d’individualisation des salaires et, plus largement des rémunérations, avec l’essor des mécanismes d’épargne salariale.

L’harmonisation des smics

Le gouvernement décide de faire converger les différents niveaux de smics. Entre 1998 et 2005, la mise en place des 35 heures a en effet conduit à une hétérogénéité des niveaux de smics en fonction de la date de passage des entreprises aux 35 heures. Cette décision se traduit par des hausses de salaire plus importantes, pour les ouvriers notamment.

Désinflation et chute du SMB

Depuis 2006, la décrue du chômage a créé des tensions positives sur le marché du travail. Si l’on y ajoute la remontée de l’inflation en 2008 qui a eu un effet mécanique sur l’indexation du smic (qui a par ailleurs bénéficié de deux hausses en 2008), les salariés ont connu une période faste en matière de salaire. Un répit avant la crise économique.

Modération salariale, pour les patrons aussi ?

La rémunération des patrons fait polémique. Daniel Lebègue, président de l’Institut français des administrateurs, rappelait récemment que la rémunération des patrons du CAC 40 avait augmenté en moyenne de 15 % chaque année depuis 1997. Pour un petit 3 % du côté des salariés.

En attendant un éventuel texte législatif pour encadrer les rémunérations patronales, les dirigeants volontaires pour donner l’exemple et réduire leurs émoluments ne sont pas nombreux. Ceux de la Société générale ont finalement renoncé à leur bonus, mais sous la pression de l’Élysée. L’histoire s’est répétée avec le plan de stock-options qu’ils comptaient s’octroyer. Aux États-Unis, le scandale des bonus versés à certains salariés d’AIG, l’assureur sous perfusion de l’État, continue de faire des remous. Mais Bill Ford, le président du conseil d’administration de Ford, et Alan Mullaly, le directeur exécutif, ont proposé de leur propre chef de baisser leur salaire de 30 % en 2009 et 2010. En Chine, neuf entreprises d’État, dont Shanghai Automotive Industry Corporation, se sont engagées à réduire le salaire de leurs cadres supérieurs de 15 à 40 %. Pour assurer le maintien de l’emploi, Mark Hurd, le P-DG mondial de Hewlett-Packard, propose ainsi à ses cadres et employés de réduire leur salaire respectif de 5 % et 2,5 % en indiquant que son salaire de base sera amputé de 20 %, celui des membres du comité de direction de 15 % et celui des autres dirigeants de 10 % (voir également page 8). Une proposition qui n’enthousiasme pas la CFDT en France. Dans un tract distribué en février, le syndicat explique que les 20 % de réduction du salaire du P-DG américain portent sur son salaire de base, soit 1,45 million de dollars en 2008. Et non sur la totalité de sa rémunération, qui s’est élevée à 42,5 millions de dollars dans la même période… « Mark Hurd a une certaine idée de l’exemplarité », note le syndicat. Ces 20 % ne représentent que 0,68 % du total de sa rémunération…

Auteur

  • Éric Béal