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« Une nouvelle génération d’entreprises est en train de voir le jour »

Actu | Entretien | publié le : 01.04.2009 | Laure Dumont, Anne-Cécile Geoffroy

Le dirigeant de Laser pronostique une révolution positive, où les entreprises devront s’ouvrir et s’appuyer sur une jeunesse connectée au monde.

La crise économique et sociale que nous vivons est-elle le terreau de la révolution que vous annoncez dans votre livre la Nouvelle Origine ?

Oui, nous sommes à l’aube d’une révolution. Mais le terme de maelström me semble plus approprié à la situation actuelle. Il s’enracine dans trois crises qui se renforcent les unes les autres. La première est une crise de la valeur des choses : on ne sait plus définir un prix, un actif immatériel, la valeur réelle d’une entreprise… La deuxième est une crise de l’entreprise en elle-même qui se définissait par son appartenance à un secteur et qui, à force d’externalisations, a perdu sa substance. Impossible de savoir ce qu’est exactement Danone, par exemple. Une entreprise de yaourts ou une entreprise de santé ? La troisième crise touche le rôle des salariés. Il faut penser autrement la manière dont les jeunes sont mobiles, ­interactifs, responsables de leur propre employabilité. Le rapport est troublant : 800 000 naissances en 2008 et 330 000 créations d’entreprises, auxquelles s’ajoutent 70 000 « autoentrepreneurs » en deux mois. Un enfant sur deux naîtrait avec la fibre entrepreneuriale ?

Quelle forme prendrait cette révolution ?

Ce serait une révolution positive, fondée sur des alliances entre toutes les communautés qui coexistent dans la société, qu’elles soient militantes, artistiques, politiques, économiques, sans oublier la jeunesse. En créant la Fondation Clinton Global Initiative (CGI), l’ancien président américain est parti du principe qu’au niveau mondial les problèmes les plus importants ne peuvent être traités par les seuls États. Pour lui, l’action doit résulter d’alliances à construire entre les gouvernements, les entreprises et les ONG. Le sens jaillit de la relation entre ces différents acteurs.

Comment les entreprises peuvent-elles prendre part à cette révolution ?

Ce n’est pas aux entreprises de donner le sens. En voulant se doter de valeurs et en se bricolant une culture maison, elles se sont repliées sur elles-mêmes. Le secteur qui est le plus violemment touché par la crise est celui de l’automobile. Or c’est celui qui est justement passé à côté de toutes les idées nouvelles, comme le logiciel libre ou la révolution verte. Chez Laser, nous évitons d’employer des mots comme « sens » ou « valeurs », qui sont bien trop ambitieux et illégitimes pour l’entreprise. Je préfère parler de points de repère : nous cherchons par exemple à conjuguer l’innovation et la liberté, à promouvoir le développement personnel de nos collaborateurs.

La France est-elle capable de faire naître de jeunes entreprises innovantes ?

Oui, une nouvelle génération d’entreprises est en train de voir le jour avec des modes de fonctionnement en réseau. Il était temps, car si l’on observe les 100 plus grosses entreprises du pays, aucune n’est née au cours des trente dernières années, alors qu’en Europe on en compte 9 et aux États-Unis 63 ! La France a coutume d’avancer par à-coups. Les entreprises y naissent par grappes. Les années 50-60 ont vu naître une série d’entreprises comme Leclerc, la Fnac, le Club Med, JCDecaux, dont les fondateurs étaient issus du militantisme. Ils sont arrivés avec des modes de relation aux autres totalement nouveaux pour l’époque. Les journaux internes y étaient distribués comme des tracts.

Vous déplorez un décalage entre la jeunesse et les entreprises, figées dans leurs archaïsmes. Comment les réconcilier ?

La France est le pays au monde où la jeunesse s’est le plus rapidement approprié les usages liés aux nouvelles technologies, comme en témoigne le nombre élevé de blogs, le développement du wiki… Mais ce n’est pas très étonnant. Ces outils ont été créés aux États-Unis dans les milieux de la recherche informatique, nourris par des penseurs différentialistes comme Deleuze, Derrida, Foucault. La French theory a ainsi traversé l’Atlantique, car ces idées n’avaient plus d’audience dans la France des années 80. Le peer-to-peer, par exemple, y prend directement sa source. Et tout se passe aujourd’hui comme si la jeunesse française se réappropriait cette pensée. Le problème des entreprises va être aujourd’hui de tirer parti de cette génération connectée au monde et hétérogène. Il faut tourner la page d’une génération de DRH voulant faire le bien dans le monde fermé de l’entreprise, et reconnaître au salarié un droit opposable qui l’autorise à avoir voix au chapitre, à développer un projet à sa manière.

PHILIPPE LEMOINE

P-DG de Laser.

PARCOURS

Après l’IEP de Paris, il préfère l’Institut national de recherche en informatique et en automatique à l’ENA. Il participe à la rédaction du rapport Nora-Minc sur l’informati­sation de la société et à celle de la loi informatique et libertés. Il sera coprésident du directoire des Galeries Lafayette jusqu’en 2005. Fondateur du Forum d’action modernités, il publie en 2007 la Nouvelle Origine (éditions Nouveaux Débats publics).

Auteur

  • Laure Dumont, Anne-Cécile Geoffroy