logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Politique sociale

La mort des apparatchiks syndicaux ?

Politique sociale | publié le : 01.03.2009 | Fanny Guinochet

Vieillissants, bousculés par le changement des règles de représentativité, confrontés à de nouvelles demandes des salariés, les syndicats sont condamnés à bouger, et à se rapprocher du terrain.

Attention, le succès de la grande manifestation du 29 janvier dernier ne doit pas faire illusion. Les syndicats français sont en très mauvaise santé. « S’ils restent tels quels, ils sont morts », estime même l’analyste du social Hubert Landier. Patron de la CFDT, François Chérèque ne cache pas son inquiétude : « Je suis assez pessimiste. Sur 2008, le résultat des négociations est décevant : pauvreté de la méthode, archaïsme dans le débat… On voit bien que beaucoup sont plus accrochés à leur place dans le système qu’à la représentation réelle des salariés. Il faut que ça change. » Même son de cloche au Medef : « Notre système fonctionne avec un syndicalisme vieillissant, hérité de l’après-guerre ; il faut absolument entrer dans une nouvelle ère », clame Jean-Luc Placet, membre du comité exécutif et président du Syntec Conseil en management.

Fini, le club des cinq. Toute la question est de savoir comment. « D’abord, en terminer avec l’éclatement et la balkanisation des syndicats. Il y a trop d’organisations en France par rapport à la demande », constate Paule Masson, journaliste et auteur de Syndicalistes ! De la CFDT à la CGT (éditions Syllepse, 2008). En prenant l’élection comme seul critère de représentativité et en légitimant le délégué syndical par le suffrage aux élections professionnelles, la loi du 20 août 2008 va clarifier le paysage. Finie, la rente de situation du club des cinq. Certaines centrales ne siégeront plus aux tables de négociations interprofessionnelles ou de branche, et les plus petites resteront à la porte de l’entreprise. « Demain, il sera encore plus difficile pour SUD ou l’Unsa de percer dans une entreprise », assure Bernard Vivier, directeur de l’Institut supérieur du travail, qui prédit une plus grande diversité à la base. Pour atteindre les seuils de représentativité définis par la loi, les alliances vont se multiplier. Reste qu’elles se noueront davantage au niveau local qu’à l’échelon national. Si le chaotique projet de fusion entre la CFE-CGC et l’Unsa augure du mouvement de concentration à venir, il souligne aussi la difficulté des appareils à se rapprocher.

« La loi va surtout inciter les acteurs à négocier davantage au niveau de l’entreprise », décrypte Jean-Dominique Simonpoli, directeur général de l’association Dialogues. Les frontières du syndicalisme vont se redessiner. Déjà, les confédérations réfléchissent à la façon de s’adapter à ces nouveaux territoires. « Le marché du travail évolue : multiplicité des employeurs pour les salariés, précarité grandissante, nomadisme… La représentation syndicale ne doit plus être confinée au seul périmètre de l’entreprise », explique Bernard Thibault. Selon le secrétaire général de la CGT, un des enjeux sera de bâtir de nouvelles transversalités : « Le syndicalisme devra s’organiser pour concevoir des droits qui ne dépendent plus du seul poste que le salarié occupe. » Pour la plupart des centrales, un des champs évidents à investir est la PME. « Elle concentre les deux tiers des salariés et fait aujourd’hui figure de désert syndical. Dans ces petites structures, on a encore trop souvent affaire à des syndicats maison », regrette Stéphane Lardy, le négociateur FO. Autre levier, l’international. « Le syndicalisme sera transnational. Prenez les accords-cadres internationaux, il y a fort à parier qu’ils se multiplieront », estime Jean-Christophe Le Guigou, secrétaire de la CGT. Des instances comme la CES ou la CSI préfigurent les futures organisations. « Sauf que ces structures sont plutôt des coquilles vides dépourvues de pouvoir réel. Il faudrait qu’elles se densifient », nuance Claude-Emmanuel Triomphe, cofondateur de l’association Astrées et spécialiste des questions internationales.

Peu importe le niveau où l’on se place, l’enjeu majeur du syndicalisme sera sa capacité à retrouver des adhérents », assure Paule Masson. Et de rappeler que l’adhésion à un syndicat promet d’être motivée par le service rendu aux adhérents. « Le temps où l’on prenait sa carte au syndicat auquel toute la famille adhérait est révolu. Demain, on s’engagera auprès du délégué syndical qui semble sympa et surtout qui fait preuve d’efficacité », note Bernard Van Craeynest, le chef de file de la CGC. La tentation est grande, alors, de s’orienter vers un syndicalisme de service. « Oui mais, en France, le système à la mode scandinave où l’adhésion est obligatoire n’est pas près de se mettre en place », analyse Hubert Landier. Quelques organisations comme la CGC y sont pourtant favorables. Sans aller jusque-là, la professionnalisation n’en demeure pas moins indispensable. « La CFDT accompagne déjà les salariés dans leurs parcours, apporte de l’aide juridique, des accès à la formation… mais il faut aller plus loin », estime François Chérèque, qui mise sur un syndicalisme plus professionnel. Pour ce faire, les centrales devront bousculer leurs appareils. Toutes les organisations y réfléchissent, mais sans réellement déboucher. « Il y a un décalage avec les nouveaux militants. Aujourd’hui, les gens viennent au syndicalisme plus tard dans leur carrière, ils ne sont pas aussi bien formés politiquement et ils sont davantage tournés vers l’entreprise. Ils ne se définissent plus comme des opposants mais s’appuient sur leur profession, leur spécialité, leur expertise », relève Richard Robert, rédacteur en chef de Cadres CFDT. De plus, d’ici à dix ans, toute une génération d’adhérents partira à la retraite ; le problème de la relève syndicale devient crucial. La faute à une jeunesse qui ne joue plus collectif ? « Non, les jeunes sont au contraire dans une hypersolidarité, pour les causes de leur quartier, mais aussi pour l’événement à l’autre bout de la planète, répond Hubert Mongon, DRH et vice-président de McDo France. Les jeunes s’investissent, mais avec pragmatisme. Ils usent des nouveaux outils, les SMS, Internet, etc. Ils créent leur blog, filment les manifestations avec leur téléphone. » Ancien DRH d’un grand groupe de télécoms devenu consultant, Daniel Cholley se dit convaincu que « les réunions enfumées qui durent trois plombes, c’est fini. Demain, tout se fera sur le Net. Sur Facebook, des salariés d’entreprise se regroupent, ils échangent, y compris sur les négociations, sur les conditions de travail ou la bonne conduite de la direction ». Pour cet expert du dialogue social, « c’est même en France que le phénomène Internet jouera le plus, car c’est dans l’Hexagone que les syndicats répondent le moins aux demandes des salariés ».

Avec une génération entière à la retraite d’ici à dix ans, la relève syndicale devient cruciale

De là à assister à la disparition des idéologies ? Pas sûr. « La France est un village gaulois à forte tradition politique dans lequel les syndicats ne sont pas près de disparaître. Chez nous, ils sont beaucoup trop institutionnalisés », répond Pierre-Michel March, DRH de transition. Toutes les enquêtes d’opinion le montrent, les Français leur font confiance et les soutiennent. « Mais il leur sera de plus en plus difficile de prendre des positions uniquement dogmatiques », assure Marie-Hélène Plainfossé, DRH et directrice de la communication de The Phone House, qui anticipe « des interlocuteurs plus responsables, soucieux des comptes qu’ils rendront aux salariés qu’ils représentent ». La balle est cependant dans les deux camps. Si les organisations ont de gros efforts à faire pour se renouveler, les directions aussi devront balayer devant leur porte. « Prendre sa carte est trop souvent vécu comme un acte de défiance ou de déloyauté à l’égard de l’entreprise. Il faut dédiaboliser la syndicalisation », souligne Lydia Brovelli, cadre supérieure chez Axa et animatrice à Réalités du dialogue social d’un groupe de travail sur le sujet. Sans quoi les entreprises s’exposeront à la création de mouvements beaucoup plus difficiles à maîtriser. En témoignent les études menées par le ministère du Travail : si, en 2006, le nombre de jours non travaillés pour fait de grève a reculé de 23 % par rapport à 2005, de nouvelles formes de conflit – chahut collectif, grève du zèle, refus d’heures supplémentaires, absentéisme… – se sont multipliées. Ponctuels mais plus durs, ces mouvements pourraient bien dessiner aussi les contours du syndicalisme de demain.

“Il leur faut renouer les liens avec les salariés”

Dominique Andolfatto, politologue, auteur, avec Dominique Labbé, d’Histoire des syndicats (éd. Seuil, 2006) et d’un rapport en 2007 sur les syndiqués en France.

Quel est l’avenir des syndicats ?

Il se joue dans les PME, avec les nouvelles générations de salariés. Les syndicats se sont repliés dans les grandes unités et dans de multiples appareils départementaux, régionaux ou nationaux le plus souvent déconnectés du terrain. Le syndicalisme du futur pourrait revêtir la forme de réseaux, en lien avec le monde des salariés « ordinaires ».

Quel serait le rôle du syndicalisme ?

Si elles restent des administrations de dialogue social, les organisations participeront à la mise en œuvre de politiques publiques sans capacité de peser sur elles et prendront le risque d’être instrumentalisées. Certes, en tant qu’appareils, leur avenir paraît assuré, mais elles ne compteront que des fonctionnaires du social ou des experts, loin des entreprises. Subsisteront alors des équipes militantes dans des monopoles de type SNCF ou EDF et, plus largement, la fonction publique, le secteur public ou semi-public. Le décalage avec le reste du salariat sans syndicats ne cessera de se creuser. Comme en témoigne ce qui s’est passé à la gare Saint-Lazare, le syndicalisme pourra prendre la forme de petits « commandos » prêts à tout pour défendre des revendications catégorielles.

Qu’est-ce qui peut sauver le syndicalisme ?

Ce serait le retour à des réseaux locaux, dynamiques, transparents, à l’écoute, inventant une sorte de militantisme postindustriel, dépassant des étiquettes incompréhensibles pour les salariés. On peut imaginer la formation de « cartels » entre militants issus d’organisations diverses, prêts à travailler ensemble, à porter des projets innovants. Leur indépendance est une question cruciale. Pour être fort et reconnu, le syndicalisme devra s’appuyer sur des adhérents.

Va-t-on vers un syndicalisme de service ?

Cette évolution serait nécessaire pour renouer les liens avec les salariés. Plus encore, c’est la fonction de défense individuelle des salariés que les syndicats doivent retrouver. Il importe d’assurer une visibilité à la base, de remplir des fonctions plus modestes mais perceptibles par tous. Si ce n’est pas le cas, le syndicalisme du futur ne sera qu’une administration avec une vision macro tandis que les salariés seront livrés à eux-mêmes.

Propos recueillis par F. G.

Auteur

  • Fanny Guinochet