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Enquête

2020 : l’inconnue des métiers

Enquête | publié le : 01.03.2009 | Laure Dumont

Nul n’est devin. Et si l’exercice de prospective est indispensable pour faire le lien entre emploi et formation, les interrogations restent nombreuses. Une chose est certaine en revanche : les emplois de demain seront plus qualifiés que ceux d’aujourd’hui.

Motion designer. Ce nom peut paraître obscur. Il s’agit pourtant d’une formation très sérieuse que va proposer Gobelins, l’école de l’image, à partir de septembre 2009. C’est par ce cursus que les futurs directeurs artistiques, designers graphiques et autres spécialistes du multimédia en 3 D vont désormais pouvoir passer pour répondre aux besoins des agences de communication et des studios intégrés de création graphique. Inconnu il y a une décennie, à la pointe de la modernité aujourd’hui, ce nouveau métier sera sans doute banal, voire totalement dépassé dans dix ans. « Pour prévoir les métiers de demain, il suffit d’ajouter nano, bio, éco, techno devant les fonctions d’aujourd’hui ! » lance dans une boutade René Sève, le directeur général du Centre d’analyse stratégique. Si les choses étaient si simples, ce serait formidable. Car si cela fait une dizaine d’années que l’État et les branches professionnelles se sont dotés d’outils fiables de prévision de l’évolution des métiers et des besoins du marché, la prospective à proprement parler – au-delà des cinq années à venir – reste un exercice périlleux, bordé d’hypothèses, de tâtonnements et d’incertitudes.

À la question : « Quels métiers exercerons-nous en 2020 ? », il est donc impossible de répondre sérieusement. Quand on le leur demande, les experts en tout genre entonnent en chœur que la boule de cristal ne fait pas partie de leurs outils de travail. « Mais l’exercice de prospective est essentiel pour montrer que les tendances actuelles ont des conséquences lourdes à long terme, explique George Asseraf, président du programme Prospective des métiers et des qualifications (PMQ), qui vient d’être relancé (voir encadré). Il s’agit de faire le lien entre ce que nous savons des besoins du marché à venir et ce que notre système de formation produit. Or les décalages sont nombreux, il est urgent de trouver les moyens d’y remédier. » Précisément, depuis l’accord national interprofessionnel, signé en 2003, les branches professionnelles doivent par exemple toutes s’être dotées d’observatoires des métiers pour évaluer leurs besoins à moyen terme.

Certaines branches, comme l’assurance, la pharmacie ou l’intérim, font figures de pionnières avec des observatoires aujourd’hui rodés. Elles montrent la voie grâce à des scénarios à cinq ans qui établissent les besoins de leurs secteurs avec précision. « L’assurance est très affectée par le vieillissement, décrypte ainsi Gérard Lobjeois, de l’Observatoire des métiers de l’assurance ; 30 % des salariés de notre secteur auront atteint 60 ans d’ici au 31 décembre 2014. Nous venons de signer un accord sur le maintien des seniors. »

Sur un autre registre, la pharmacie, du fait de la transformation de son modèle économique, réfléchit aussi à l’avenir. L’observatoire du Leem (Les Entreprises du médicament) affronte autant les questions liées aux emplois en diminution que celles de la formation des jeunes générations aux futurs métiers de la pharmacie. « Des 22 000 visiteurs médicaux actuellement en poste, il n’en restera que 16 000 à 17 000 dans cinq ans, note Emmanuelle Garassino, de l’observatoire du Leem. Nous avons donc décidé d’aider ces salariés à envisager leur reconversion. Pour cela, nous avons mené une étude paritaire avec les partenaires sociaux et BPI sur leur employabilité, leurs aspirations professionnelles et sur les passerelles possibles vers d’autres métiers, dans la pharmacie, mais aussi hors de la santé. » Parallèlement, les laboratoires multiplient les liens avec l’université, des partenariats avec des facultés de pharmacie aux interventions directes auprès des étudiants, sans oublier les offres de stages. « Dès que l’on crée un lien avec les professeurs et les étudiants, l’impact est réel sur le volume d’étudiants qui choisissent à la rentrée suivante la filière industrie », constate Emmanuelle Garassino.

Faudra-t-il aller chercher les salariés de demain jusque sur les bancs de la fac ? Formons-nous aujourd’hui des profils adaptés aux besoins du futur ? Jusqu’alors, le système éducatif se laissait difficilement approcher par le monde de l’entreprise, refusant d’être réduit au rôle de pourvoyeur de salariés, dans une vision exclusivement utilitariste de sa fonction. Mais les mentalités changent et, cette fois, les experts en PMQ vont aussi se pencher sur les sortants du système scolaire.

Objectif : étudier la corrélation entre la formation initiale et le marché de l’emploi. Une enquête publiée dans la revue Formation emploi en juillet 2007 indique par exemple que 40 % des jeunes salariés ont, cinq ans après leur entrée dans la vie active, un emploi qui ne correspond pas à leur formation. Ce décalage est-il inquiétant ? « Non, répond Emmanuel Sulzer, chercheur au Cereq, car, à l’exception des professions très réglementées comme les médecins, le glissement est fréquent et naturel entre la formation et les premiers emplois occupés. Dès la première année de vie active, le diplôme perd de sa valeur. » Inutile, donc, de tenter d’ajuster au plus près formation et emploi. André Gauron, conseiller maître à la Cour des comptes et spécialiste des questions de formation, est quant à lui moins tolérant à l’égard de cet écart qui révèle les limites du système éducatif : « Les entreprises embauchent à un niveau de qualification, pas de spécialisation. On accroît l’employabilité des gens en augmentant leur niveau général de qualification, pas en les spécialisant. Or, dans notre système, plus le niveau d’un élève est faible, plus on le spécialise tôt. »

Comme le souligne le Centre européen pour le développement de la formation professionnelle dans une enquête publiée en décembre 2008, les emplois de l’avenir seront dans l’ensemble nettement plus qualifiés qu’aujourd’hui. Une tendance que l’on perçoit déjà, notamment dans le dernier baromètre de l’Observatoire de l’évolution des métiers de l’assurance. Ainsi, 45,7 % des moins de 26 ans travaillant dans ce secteur ont un bac + 2 et 11,5 % un bac + 5. Le niveau monte, certes, mais cela ne signifie pas qu’il n’y aura plus de gens faiblement qualifiés. Et quel avenir leur réservons-nous ? « Cent cinquante mille jeunes quittent le système sans diplôme chaque année, ce qui constitue au bout de quelques années un groupe considérable de non-qualifiés, caractérisé par une employabilité beaucoup plus faible que celle des diplômés, rappelle George Asseraf, qui s’interroge : « Nous avons aujourd’hui une réduction très forte des emplois d’ouvriers non qualifiés, occupés principalement par des hommes. Or, en 2015, les emplois non qualifiés se concentreront dans les services à la personne et concerneront essentiellement des profils féminins. Comment prépare-t-on cette évolution qui doit se faire dans les sept, huit ans à venir ? »

Cas d’école ou casse-tête ? L’accord récent sur la formation professionnelle, qui s’intéresse aux moins qualifiés, pourrait apporter des réponses. Voilà en tout cas une vraie question pour les experts de la prospective des métiers et des qualifications, qui révèle à quel point l’exercice auquel ils se livrent est aussi délicat que concret.

31,5 % des emplois nécessiteront des travailleurs hautement qualifiés en 2020. Source : Cedefop.

PAROLE D’EXPERT

“L’externalisation est une tendance majeure. Dans les grandes entreprises, il est impossible d’impliquer tout le monde. Or la motivation et la quête de sens sont au cœur de tout, chacun doit pouvoir accomplir son destin et s’inscrire dans un projet à taille humaine.”

Antoine Bello, créateur d’entreprise et romancier, auteur des Éclaireurs (Gallimard, 2009).

Le fer à repasser

Qui l’eût cru ? Cet objet domestique pourrait devenir l’outil de travail de salariés de plus en plus nombreux, employés par des particuliers.

Gisement d’emplois

D’après le Conseil d’analyse stratégique, (rapport les Métiers en 2015), les services aux particuliers représentent un gisement d’emplois important pour les dix prochaines années.

Ce domaine – qui offrirait plus de 25 000 postes d’ici à 2015 – recouvre des métiers très divers : aide-ménagère, esthéticienne, garde d’enfants, gardien…

Ces emplois, féminisés et peu qualifiés, méritent d’être encore valorisés.

De nombreuses structures se sont créées et proposent un cadre et des formations adaptés.

Les services aux personnes fragiles (jeunes enfants, personnes âgées…), à domicile ou dans des institutions telles des crèches, font appel à des compétences pointues.

En 2015, ils représenteraient 1,7 million d’emplois, dont plus de 350 000 créations nettes entre 2005 et 2015.

ENTRETIEN AVEC JEAN-YVES BOULIN
“Chacun sera porteur de son temps de travail”

Les Français travailleront-ils plus en 2020 ?

La durée hebdomadaire du travail ne devrait pas beaucoup augmenter. Je crois plus à une diversification-individualisation. La loi Tepa d’août 2007, qui défiscalise les heures supplémentaires, et celle d’août 2008, qui laisse plus de place aux accords d’entreprise pour la régulation du temps de travail, vont dans ce sens. Si les entreprises ne se bousculent pas pour remettre en cause les accords 35 heures existants, ni les salariés pour faire des heures supplémentaires, la tendance à la flexibilisation ne faiblit pas. Cet « opt-out » (possibilité de déroger, NDLR) au regard des 35 heures s’inscrit d’ailleurs dans la même logique que celui mis en place à l’échelle de l’Union européenne, par la directive temps de travail révisée par le Conseil européen au printemps dernier.

Elle maintient à quarante-huit heures la durée légale hebdomadaire du travail mais généralise les possibilités de dérogation individuelle.

Mais ils travailleront plus longtemps ?

Sur l’ensemble de la vie sûrement, compte tenu des évolutions démographiques. Mais l’idée d’une augmentation de la durée hebdomadaire est contradictoire avec cette nécessité : les horaires longs ne sont pas une organisation du temps de travail soutenable. Il faut, en revanche, mettre l’accent sur les possibilités de souplesse pour les salariés afin qu’ils puissent mieux articuler leur temps de travail avec les autres temps sociaux sur l’ensemble du cours de leur vie : temps partiel réversible et non pénalisant, compte épargne temps, congés formation, congés parentaux, congés sabbatiques… À terme, chacun sera porteur de son temps de travail, dont la durée et l’organisation varieront sur la vie. En France, les outils existent (CET, DIF) mais sont peu utilisés. La sécurisation des parcours professionnels demeure un slogan.

Comment l’expliquer ?

La France reste engluée dans un débat idéologique sur le temps de travail qui l’empêche de repenser le contrat liant l’individu à la société, à partir de l’idée que l’identité ne se résume pas à l’activité de travail. On risque ainsi de développer une individualisation du temps de travail sans garantie pour les salariés.

JEAN-YVES BOULIN, sociologue au CNRS, spécialiste de l’articulation entre temps de travail et autres temps sociaux.

Propos recueillis par Anne Fairise

Auteur

  • Laure Dumont