Le principe de l'égalité des chances fait aujourd'hui consensus. Le contenu de l'égalité des chances et ce qu'il faut faire pour la garantir peut faire débat, mais tout le monde s'accorde à reconnaître qu'il faut que les individus, quels que soient leur sexe, leur âge, leur origine sociale ou ethnique, aient les mêmes possibilités de s'élever dans la hiérarchie sociale.

L'égalité des chances s'impose donc dans les esprits comme horizon indépassable de la justice sociale. Et pourtant, conçue dans une perspective strictement individualiste, elle autorise et rend invisibles les inégalités sociales les plus durables. Derrière son étendard se redéfinissent des privilèges et, surtout, un discours stigmatisant sur ceux qui ne savent pas saisir leur chance, brefs, les incapables. Ce discours capacitaire, qui traverse toute la société, de l'école à l'entreprise, et qui concerne même aujourd'hui les personnes écartées de l'emploi pour cause de santé ou de chômage, est un facteur de « décohésion sociale » puisqu'il finit par justifier l'injustifiable de la misère.

A l'aune de la méritocratie, celui qui n'a pas réussi est toujours un peu responsable de ses échecs et ne peut s'en prendre qu'à lui. Il n'a que ce qu'il mérite, justement ! On voit là le caractère extrêmement dangereux d'un tel discours qui vient conforter ceux qui ont pu ou su tirer leur épingle du jeu féroce de la concurrence sociale.

Patrick Savidan est président de l'Observatoire des inégalités, professeur de philosophie sociale et politique à l'université de Poitiers.