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« L'égalité ne doit pas progresser au détriment de la santé des femmes »

Enjeux | Plus loin avec | publié le : 06.04.2010 |

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« L'égalité ne doit pas progresser au détriment de la santé des femmes »

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Les effets du travail sur la santé des femmes ne sont pas les mêmes que pour les hommes. Des études montrent comment les emplois tenus par des femmes induisent des conditions de travail différentes, notamment dues aux contraintes de la «double journée». Les femmes réduisent leur temps mais pas leur charge de travail.

E & C : Une des douze problématiques retenues par le contrat de progrès 2009-2012 de l'Anact concerne la prise en compte du genre dans l'amélioration des conditions de travail. Pourquoi ce choix ?

Florence Chappert : La question de l'égalité professionnelle est principalement traitée sous l'angle des écarts de salaire, de l'accès à l'emploi et du plafond de verre, jamais sous celui des conditions de travail. Or, que serait une égalité acquise au détriment de la santé ? Il s'avère, en effet, que des progrès en termes d'égalité ont parfois des conséquences néfastes sur ce terrain. Ainsi de la levée de l'interdiction du travail de nuit pour les femmes en 2001. Non seulement le travail de nuit progresse, depuis, plus rapidement chez les femmes que chez les hommes, mais, du fait de la répartition des contraintes familiales qui les empêche de prendre suffisamment de repos compensateur, ce sont elles qui subissent le plus durement l'impact du travail nocturne.

E & C : L'Anact aurait également, dites-vous, été alertée par un certain nombre d'indicateurs statistiques récents...

F. C. : Les «effets de genre» sur la santé ou le stress professionnel commencent timidement à être pris en compte par les études statistiques. L'enquête Sumer de 2003 faisait déjà état d'une prévalence d'exposition des femmes au job strain de 40 % supérieure à celle des hommes - à un niveau de 28,2 contre 19,6. Six ans plus tard, une enquête de l'Institut de veille sanitaire [INVS] de 2009 relève, à son tour, que 37 % des femmes déclarent un «mal-être» au travail contre 24 % des hommes. Il a également été démontré qu'être une femme augmente de 22 % l'exposition à des facteurs de troubles musculo-squelettiques (TMS) au travail. En novembre 2009, le rapport du Centre d'analyse stratégique sur la santé mentale évoque, de son côté, une « vulnérabilité et des réponses genrées différentielles » à l'égard des risques psychosociaux. Pour autant, le chemin à accomplir est encore long : il semble qu'aucune des grilles d'analyse des risques psychosociaux en entreprise n'intègre actuellement la dimension de genre. Un des principaux objectifs du projet «Genre et conditions de travail»* est d'ailleurs d'outiller les intervenants de notre réseau.

E & C : Quelles causes génèrent, ainsi, des écarts entre l'état de santé des femmes et celui des hommes au travail ?

F. C. : Elles sont multiples et - fait troublant - concordent très souvent avec les causes structurelles des écarts de salaire. Les interventions en entreprise menées par le réseau Anact ont démontré que la répartition sexuée des métiers, que l'on connaît bien par ailleurs - le fait que 52 % des femmes travaillent dans 12 familles de métiers, aux premiers rangs desquels les agents d'entretien, les institutrices, les vendeuses et les aides-soignantes -, se retrouve au sein d'une même entreprise.

Dans une usine du secteur agroalimentaire confrontée à une plus grande prévalence des arrêts maladie et des TMS chez les salariées de son atelier de découpe de viandes, alors même qu'hommes et femmes effectuaient, apparemment, le même métier, il s'est avéré que les opératrices de production étaient systématiquement affectées à des activités de découpe fine de la viande - tâches minutieuses et répétitives entraînant des TMS -, tandis que les opérateurs portaient les charges et effectuaient les plus grosses découpes. Or, le port de charges physiques n'est pas seulement la grande priorité des politiques de prévention en entreprise : il est également une des premières sources de valorisation salariale. On ne sera donc pas étonné d'apprendre que, dans l'atelier en question, les salaires des ouvriers étaient bien supérieurs à ceux des ouvrières. Autre cause analysée : du fait de la forte part des tâches domestiques et familiales qui leur revient encore, les femmes souffrent plus que les hommes des contraintes liées à l'organisation du temps de travail. Une intervention récente menée par le médecin du travail d'un bureau d'études confronté au burn out de ses salariées a ainsi décelé d'importantes différences de charge de travail entre les sexes : sans se rendre compte que les femmes travaillaient sous pression constante, sucrant leur pause-déjeuner pour pouvoir rentrer tôt chez elles, le management, croyant qu'elles n'étaient pas assez occupées, leur confiait toujours davantage de nouveaux projets. Une fois encore, un tel phénomène n'est pas sans incidence sur le plan salarial. On sait bien que les femmes qui demandent un temps partiel pour des raisons familiales divisent d'autant leur salaire, pas leur charge de travail.

E & C : Face à ces constats, que préconisez-vous ?

F. C. : Les entreprises peuvent, dans un premier temps, envisager la question des conditions de travail dans leurs plans d'action ou accords sur l'égalité professionnelle. Au-delà des crèches d'entreprise et des chèques emploi service, les progrès passeront par une réflexion sur l'aménagement des horaires de travail. Inversement, la question du genre gagnera à être abordée dans le cadre des négociations sur le stress, la santé ou la qualité de vie au travail. Sans en faire un objectif absolu, la mixité des métiers est une autre piste : si l'arrivée des femmes dans certains métiers contribue parfois à en atténuer la pénibilité, l'introduction des hommes dans des métiers très féminisés peut permettre de réduire temps partiels et horaires atypiques et entraîner des revalorisations salariales. L'Anact se préoccupe, enfin, de la question du vieillissement des salariées. Du fait des carrières interrompues pour maternité, on sait que l'âge de départ en retraite des femmes est amené à dépasser celui des hommes. Là encore, les négociations sur l'emploi des seniors peuvent être une occasion de se pencher sur une question jusqu'à présent totalement occultée.

* Pour plus d'informations, dans le dossier «Genre et conditions de travail» : < www.anact.fr>

PARCOURS

• Florence Chappert est responsable du projet «Genre et conditions de travail» à l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (Anact). Elle intervenait précédemment sur les questions de négociation de la GPEC.

• Ingénieure de formation, elle est titulaire d'un DESS en psychosociologie des organisations. Avant de rejoindre le réseau Anact, en 2006, elle travaillait, au Maroc, comme consultante RH sur des problématiques de management du changement et d'interculturalité.

LECTURES

La Tentation de Pénélope, B. Cannone, Stock essais, 2010.

Syngué sabour. Pierre de patience, A. Rahimi, POL, 2008.

Comprendre le travail des femmes pour le transformer, K.Messing (sous la direction de), Bureau technique syndical européen pour la santé et la sécurité, 1999.

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