Savoir théoriquement qu'il existe une crise et que cela retentit sur l'emploi est une chose, comprendre comment la vie des gens en est affectée en est une autre. Florence Aubenas s'est glissée dans la peau de ces salariés de la «France d'en bas» qui écrèment les agences d'intérim et celles de Pôle emploi pour trouver un gagne-pain. Ces salariés que l'on oriente au mieux vers des stages bidon ou des petits boulots qui ne leur permettent pas de gagner leur vie, mais qui leur prennent tout leur temps, toute leur énergie et peut-être, surtout, tous leurs espoirs, s'épuisent à chercher la sortie... Non de la crise, mais de l'angoisse quotidienne : se nourrir, acheter des baskets, une voiture pour pouvoir travailler, garder un téléphone portable...

Le pire, c'est peut-être les exigences exorbitantes auxquelles ils doivent satisfaire pour un salaire de misère. On impose à l'un deux heures de transport pour une heure de travail. On propose à l'autre un emploi du temps plus troué qu'un gruyère. On s'adresse à tous comme si on leur faisait la charité, en assortissant toutes ces offres miteuses de la menace d'être radiés de la liste des demandeurs d'emploi s'ils n'acceptent pas ces conditions de travail.

Ce que l'auteur décrit se passe presque à nos portes. Florence Aubenas a, en effet, choisi de présenter à Caen, sous son vrai nom, un CV sur lequel ne figuraient qu'un bac et quasiment aucune expérience professionnelle. A défaut de se demander, avec l'un des personnages du livre, si les patrons ne leur font pas le coup de la crise pour les obliger à accepter n'importe quoi, force est de reconnaître que le résultat est là. Comment, alors, ne pas penser à Marx, qui définissait les chômeurs comme « l'armée de réserve du capitalisme » ?

Florence Aubenas est grand reporter au Nouvel Observateur.