Depuis les années 1970, les discours de l'école, de l'entreprise ou de l'Etat se sont focalisés sur l'égalité des chances entre les individus quels que soient leur sexe, leur origine sociale, leur religion, leur âge, etc. Cette égalité doit, bien entendu, être favorisée et il n'est pas de société juste tant que des franges entières de la population sont ségréguées. Cependant, ce discours, axé sur la méritocratie, a l'inconvénient de reléguer au second plan une réflexion sur l'égalité des places, c'est-à-dire sur la justice entre les différentes positions sociales.
Paradoxalement, en effet, le discours consensuel sur l'égalité des chances a historiquement contribué à élargir le fossé entre les gagnants de la course au mérite et les autres. Pour François Dubet, sociologue, il n'est pas question de faire l'impasse sur l'une ou l'autre de ces formes de justice, mais plutôt d'établir une priorité entre elles. Contrairement à la doxa dominante, il montre les dangers, pour les plus fragiles, de cette course effrénée vers les meilleures places et insiste sur le fait que l'égalité des places doit prendre le pas sur l'égalité des chances, car elle resserre la structure sociale et donne confiance, de ce fait, à chacun. Mais, qui plus est, elle constitue sans doute le meilleur moyen de réaliser l'égalité des chances. En effet, si les chances sont définies comme la possibilité de s'élever dans la structure sociale en fonction de sa valeur, cette fluidité est d'autant plus grande que la distance entre les places diminue. Très convaincant!
François Dubet est professeur de sociologie à l'université de Bordeaux et directeur d'études à l'EHESS.