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« Il faut créer un ministère de l'apprentissage »

Enjeux | Plus loin avec | publié le : 09.03.2010 |

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« Il faut créer un ministère de l'apprentissage »

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Reconnu pour son efficacité, l'apprentissage ne se développe pas, pour des raisons historiques mais aussi faute de lisibilité. Les tutelles sont trop nombreuses, la taxe d'apprentissage présente des dysfonctionnements. Une réforme s'impose, qui doit passer par la création d'un ministère dédié.

E & C : Depuis vingt ans, l'apprentissage constitue une voie d'insertion professionnelle efficace. Pourtant, le nombre d'apprentis ne progresse guère. Pourquoi ?

Christian Gury : Le problème de fond est historique. Dans les années 1920 et 1930 se sont produits trois phénomènes simultanés. D'abord, un combat entre le patronat et les syndicats sur l'objectif de la formation professionnelle : former des employés compétents mais bien sages, ou former des gens libres et indépendants face aux employeurs. Ensuite, la création d'une taxe d'apprentissage, qui a permis aux entreprises de se dédouaner de leurs responsabilités en termes de formation. Enfin, l'apparition de l'enseignement public en tant que force politique qui a privilégié le diplôme sur la formation professionnelle. Ces trois problématiques sont encore vivantes, aujourd'hui, dans l'esprit du public. Devant la montée du chômage des jeunes et la réussite de l'apprentissage en Allemagne, l'Etat a relancé l'apprentissage dans les années 1970 et 1980. Mais, malgré l'objectif des différents gouvernements d'atteindre 500 000 apprentis, on stagne à 350 000-380 000 depuis six ans. Le nouvel objectif de Laurent Wauquiez - un jeune sur cinq en apprentissage en 2015 - paraît donc difficile à atteindre.

E & C : Outre ces raisons historiques, l'apprentissage souffre de certains maux que vous avez vécus de l'intérieur lorsque vous étiez à la tête du Centre de formation universitaire de Paris-6. Quels sont-ils ?

C. G. : L'apprentissage souffre d'un problème d'image parce que celle-ci est complètement brouillée, tant les intervenants sont nombreux. Au niveau du gouvernement, officiellement l'apprentissage dépend du ministère du Travail, mais aussi, pour la délivrance du diplôme, du ministère de l'Education nationale et de celui de l'Enseignement supérieur et, pour la taxe d'apprentissage, du ministère des Finances.

Ensuite, l'apprentissage relève, comme tout ce qui est du domaine de la formation professionnelle, de la responsabilité des conseils régionaux. Enfin, pratiquement tous

les syndicats professionnels, les CCI et les chambres des métiers ont des centres de formation d'apprentis (CFA), plus ou moins concurrents les uns des autres. On a donc quatre ministères, tous les conseils régionaux, toutes les chambres de commerce, tous les syndicats professionnels qui sont intéressés par le système de l'apprentissage et qui s'organisent sans coordination. Cela rend aussi les décisions très compliquées.

E & C : La taxe d'apprentissage pose aussi beaucoup de problèmes...

C. G. : La taxe d'apprentissage est un impôt collecté par des organismes qui, à la fois, collectent, conseillent les entreprises dans l'affectation de la taxe et utilisent l'argent pour eux-mêmes. Ce n'est pas terrible sur un plan éthique ! Comment expliquer, d'autre part, la lenteur extrême entre la collecte, achevée fin février, et la répartition de l'argent dans les CFA, au mois de septembre ?

La répartition de la taxe défavorise les CFA formant des CAP, BEP, bacs pro dans l'artisanat, car les entreprises de ces secteurs sont souvent des TPE générant peu de taxe d'apprentissage. Tandis qu'une grande école de commerce peut réclamer 17 000 euros de taxe pour un seul apprenti, sous le prétexte que c'est le coût réel de la formation. L'assèchement de la taxe pour les métiers avant bac est, d'ailleurs, l'un des dangers du développement de l'apprentissage dans le supérieur. Enfin, il existe tout un verbiage autour de la taxe d'apprentissage qui la rend totalement incompréhensible et jette le discrédit sur tout le système.

E & C : Que proposez-vous pour réformer et promouvoir l'apprentissage ?

C. G. : Première proposition : créer un ministère de l'apprentissage qui soit la tutelle de tout le système avec pour objectif à long terme - mais annoncé dès aujourd'hui - que l'apprentissage devienne, non pas une voie de rattrapage pour les jeunes en échec, mais une des deux voies de formation initiale possibles : la voie «pratique» pour ceux qui apprennent mieux par la pratique ; la voie «classique», basée sur la théorie, pour ceux qui, moins doués pour les choses pratiques, préfèrent apprendre à partir de la théorie. Je pense que chaque voie représente la moitié de la population. Il faut donc viser, non pas un jeune sur cinq en apprentissage, mais un sur deux.

Ensuite, remettre à plat la taxe d'apprentissage et simplifier le système pour le rendre plus efficace : l'Etat fixe les grandes règles, les régions fixent les objectifs de formation et délèguent aux CFA la responsabilité de la vie de tous les jours.

E & C : Les entreprises ont-elles intérêt à s'investir dans l'apprentissage et comment pourraient-elles peser en faveur d'une réforme de ce système ?

C. G. : Les entreprises sont, pour la plupart, convaincues de l'efficacité de l'apprentissage. Si elles ne prennent pas plus d'apprentis, c'est parce que c'est plus cher, plus lourd et plus compliqué que de prendre des stagiaires. Les entreprises paient une taxe d'apprentissage, qu'elles prennent ou non un apprenti. La remise à plat de la taxe avec la possibilité, comme la taxe à l'Agefiph pour les salariés handicapés, de payer moins quand on embauche des apprentis ferait avancer les choses. Je pense que, comme les parents et comme les élèves, les entreprises se mobiliseront le jour où elles sentiront que l'Etat aura décidé de s'en occuper vraiment.

PARCOURS

• Christian Gury est conseiller en gestion de carrière et responsable des carrières à l'Association des centraliens. Il a dirigé pendant sept ans le centre de formation d'apprentis (CFA) universitaire de Paris-6-UPMC.

• Diplômé de l'Ecole centrale de Paris, Christian Gury a exercé des fonctions de cadre dirigeant en entreprise, notamment chez IBM, et a créé sa propre entreprise de services informatiques.

• Il a publié Les 5 Clés pour rebondir et piloter sa carrière (éd. A2C Médias, 2009) et L'Apprentissage, une autre manière de réussir (Bourin éditeur, janvier 2010).

LECTURES

Un asesinato piadoso, de José Maria Guelbenzu, éd. Alfaguara, 2008.

Taï Chi Chuan, de James Kou et Eric Yiou, éd. Marabout, 2005.

Minuit Chrétien, pièce de théâtre de Tilly, éd. Actes Sud, 1999.